Expositions

 

 

Edvard Munch, l'œil moderne

 

 

 

 

 

Le Norvégien Edvard Munch, qui est né en 1863 et s'est éteint en 1944, a vu la naissance du cinéma, la démocratisation de la photographie, le développement de la presse illustrée populaire et, dans un autre registre, la découverte du radium et son application, la radiographie... et il a été loin d'être indifférent à cette culture populaire, à ces découvertes. Au contraire elles ont renouvelé sa vision, irrigué son art, voire même l'ont aidé à évoluer.

Tel est le thème de l'exposition que le Centre Georges Pompidou présente ; L'œil moderne peut décontenancer le visiteur. Certes, le Munch classique, si l'on peut dire, ouvre le parcours ; peu de toiles mais signifiantes et fortes réunies autour de La jeune fille malade sa première composition importante, si mal accueillie par le public et la critique à l'époque ; toile née du traumatisme de l'enfant qui très jeune portera le deuil de sa mère, puis, adolescent, celui d'une soeur tant aimée atteinte d'un mal identique, la tuberculose. Le Baiser, Vampire, Puberté, Trois jeunes filles sur le pont, Deux êtres humains, déclinent les grands thèmes qui inspirent son art : l'incommunicabilité entre les êtres, la force de la Femme, le tragique de la vie... Mais l'essentiel de la manifestation de Beaubourg est consacrée aux années du XXe siècle, les plus longues de sa vie et tout aussi fécondes.

travailleursrentrantchezeux - copieMunch a aimé le cinéma dont il était un fervent spectateur, il s'y est même essayé après avoir acheté une petite caméra – on ne peut pas dire que ce qui a survécu, cinq minutes, offre un intérêt autre que documentaire ; en revan-che, il a pratiqué de façon assidue la photographie dont il a fait un usage assez égotiste : il fait des clichés de son environ-nement, de ses ateliers, de ses maisons, de son chien... Mais surtout il s'auto-portraiture avec le petit appareil qu'il a acheté. Quelle ne sera pas la surprise du visiteur de découvrir un blond Viking, chapeauté, menton volontaire, mâchoire serrée, oeil d'épervier proche de ces images de propagande vantant la pureté de la race, comme on les aimait tant à l'époque – même dans les démocraties... qu'il semble loin l'être torturé, hanté par la maladie, la folie, l'alcoolisme qu'il fut ! Sur un cliché plus curieux pris dans une clinique où il était en cure de désintoxication il s'est représenté en Marat dans sa baignoire... Dans un autre, par un habile jeu de surimpression, sa silhouette semble se dissoudre dans les tableaux comme un fantôme – mais est-on un fantôme en costume cravate et coiffé d'un feutre? En fait ces photos étaient d'un usage personnel, elles ont valeur de témoin plus que d'oeuvre d'art à part entière comme tenterait de le faire croire l'accrochage. Elle étaient un moyen d'auto-analyse, tout comme les auto-portraits qu'il a accumulés au cours des ans, une façon de traquer la marche inexorable de l'âge.

Les personnages de Travailleurs rentrant chez eux, 1913-14, semblent sur le point de sortir du cadre et de bousculer le spectateur. La toile est marquée par un dynamisme nouveau directement inspiré du cinéma ; de la Sortie des usines Lumière ? La projection du premier film de l'histoire du cinéma le suggère. On notera en outre la transparence des personnages, comme dans la photo au costume ou dans une radiographie... Enfin, il fait preuve dans cette toile d'une sensibilité sociale nouvelle. Tout autant inspirés par le cinéma le Cheval au galop qui bondit vers le spectateur ou encore La Bagarre qui oppose deux hommes, l'un vêtu de blanc l'autre de noir comme dans les films muets, dans une rue représentée selon une perspective photographique qui approfondit le champ...

femmeenpleurs - copieLe femme en pleurs est un cas exemplaire : Dans un premier temps Munch fait une photo de sa com-pagne nue dans une chambre d'hôtel. La sil-houette immense, par effet d'optique due à la prise de vue, occupe toute la hauteur du cliché. L'effet, qu'il ac-centue dans le tableau, donne une présence forte au nu, comme s'il étouffait dans le cadre étroit de cette chambre ; mais il ne reprend pas le spectre de la dame ha-billée en surimpression dans le cliché et qui semblait dialoguer avec son incarnation nue – un reproche? En revanche, il peint l'exacte configu-ration des lieux, le décor avec le lit défait, le motif tristounet du papier peint. Par ailleurs, on peut s'interroger sur l'équivalence larmes/sexe du titre : il eut une vie sentimentale mouvementée... Selon son habitude il fera plusieurs variantes qui sont exposées ici. Multiplication, ce n'est jamais une simple copie mais une recréation, qui lui fut reproché comme une faiblesse d'inspiration. En fait, ce travail obéissait à plusieurs motivations : il fallait répondre aux commandes des collectionneurs ; il se résolvait ensuite difficilement, comme de nombreux artistes, à se séparer de ses oeuvres – ses enfants – alors il les reproduisait pour en conserver le souvenir ; enfin et de manière plus profonde quand un thème le hantait il le dupliquait pour en évacuer la forte pression émotionnelle par une sorte de catharsis. C'est ainsi que Le Baiser qui dans la première salle montre le couple fusionnel au point que les visages se fondent l'un dans l'autre en une plage vide, s'évanouit quasiment dans les nervures d'une très belle gravure sur bois exécutée quelques dizaines d'années plus tard ; Puberté est repris en une facture plus lâche, plus libre, plus colorée ; Deux êtres humains debout sur une plage, seront placés dans une forêt au bord de la mer qu'éclaire un soleil dont le reflet sur l'eau forme un I... Peut-on voir dans ce travail une préfiguration des « séries » chères à nos plasticiens d'aujourd'hui?

En fait, le travail de Munch répond à un sentiment très profond de « perte » : perte de l'intégrité de l'être de par l'âge ou la maladie, perte de l'amour, perte de ceux qui nous sont chers ; tout son art est une tentative désespérée de lutter contre la chute inexorable de l'existence. C'est en cela qu'il nous est proche.

Gilles Coyne

 

 

 

 

Travailleurs rentrant chez eux, 1913-1914, 201 sur 227 cm © Munch Museum / Munch Ellingsen / BONO 2011 © ADAGP, Paris 2011

Femme en pleurs, 1907, 121 sur 119 cm. © Munch Museum / Munch Ellingsen / BONO 2011 © ADAGP, Paris 2011

 

 

 

 

 

Edvard Munch, l'ɶil moderne

21 septembre 2011 – 9 janvier 2012 prolongée jusqu'au 23 janvier 2012

Centre Pompidou

75191 Paris cedex 04

Tél. : 01 44 78 12 33

internet : www.centrepompidou.fr

Tarifs : 12 à 10€ selon la période ; tarif réduit, 8 à 9€

Ouverture : tous jours sauf le mardi de 11h à 21h ; nocturne le jeudi

Publication : Catalogue, 320p., 44,90€