Expositions
Les portraits de famille de Frans Hals
Une Réunion de famille
C'était un très grand tableau de plus de trois mètres quatre-vingt sur près d'un mètre cinquante de haut, il représentait une famille de la bonne bourgeoisie de Haarlem et avait été peint par l'enfant terrible du siècle d'or hollandais, Frans Hals (1582/3 - 1666). Las, au cours des siècles l'œuvre fut dépecée pour mieux en vendre les éléments sans doute et il n'en restait qu'à peu près la moitié gauche représentant le père, la mère et une partie de leur progéniture. Les autres éléments, dispersés, avaient perdu jusqu'au souvenir de leur appartenance. La Fondation Custodia à Paris accueille une petite exposition venant de Toledo (Ohio, USA) qui conserve aujourd'hui l'élément principal, puis de Bruxelles ; exposition petite par la taille mais importante pour le fond, car ont été ajouté au portrait familial deux autres toiles que la critique a réattribué à l'ensemble, ce pour tenter une reconstitution de la composition originelle. Ils ont profité de l'occasion pour accrocher les trois autres portraits collectifs familiaux de Frans Hals qui nous sont parvenus, ils viennent de Madrid (collection Thyssen), de Cincinnati (Art Museum) et de Londres (National Gallery). Enfin en parallèle, la fondation, essentiellement consacrée à l'art des Pays nordiques, propose, en puisant dans ses riches collections, un panorama dédié aux Enfants du Siècle d'or.
Gijsberts Claesz van Campen (1585 – 1645), demi étendu contre un talus, décontracté, regarde le visiteur. C'est un homme dans la force de l'âge, nez aquilin, l'œil vif, barbu, moustachu, coiffé d'un chapeau à large bord, vêtu de noir (la couleur la plus luxueuse), la fraise impeccablement empesée, tenant une paire de gants, tout proclame la réussite du personnage qui cependant n'affiche aucune arrogance. À côté de lui son épouse, Maria Jorisdr (1582 -1666) tout aussi élégamment habillée, pose, en geste plein de tendre confiance, une main sur la cuisse de son époux. Tout autour s'égaillent comme une couronne leurs enfants aussi souriants, aussi heureux.
Il y a quelque chose d'insatisfaisant dans la composition qui se termine à droite trop brutalement et donne une impression d'étouffement. La critique a remarqué un tableau, appartenant aujourd'hui au musée royal des Beaux-Arts de Bruxelles, montrant trois enfants dont le plus jeune était assis dans une voiture tirée par un bouc. Le groupe rigolard et aux attitudes contrastées, formant un sujet se suffisant à lui-même, s'ébattait dans un paysage campagnard avec dans le fond le clocher d'une église. Après enlèvement de repeints il s'est révélé que se cachait l'amorce de personnages et il est rapidement devenu évident que l'on se trouvait devant la partie droite manquante de la toile de Toledo qui du coup s'enrichissait de trois enfants. Mais il était tout aussi évident que l'œuvre n'était pas encore complète puisque le même allègement de repeints sur la droite faisait apparaître l'amorce de deux autres personnages : une robe sur le sol et un visage féminin coupé vers le haut. Enfin dans une troisième étape, la critique a repéré dans une collection particulière, le portrait d'un jeune garçon qui manifestement faisait partie de l'ensemble. Tableau complet ? Non car il manque de ce côté et en bas un large espace vide qui sans doute ne sera jamais rempli.
Un moniteur, placé dans un coin de la salle permet au visiteur de remonter ce jeu de piste et offre une image plausible du tableau entier. La reconstitution rend enfin justice à l'architecture efficace sur laquelle Frans Hals a organisé l'espace : deux diagonales formant comme une sorte d'accent circonflexe inversé, dégageant au milieu une large échappée vers un lointain qui allège et fait respirer la vaste toile. Deux triangles, le père accoté au talus d'un côté, de l'autre un groupe hypothétique se faisant face stabilisent la scène. Ce travail de reconstruction produit des recherches de Lisbeth De Belie et Catherine Van Herck pour retrouver l'identité de la famille représentée et l'histoire du tableau est remarquable.
On a longtemps cru, jusqu'en 1970, sur la foi d'une signature disposée sous la semelle de la petite fille assise à gauche que la famille représentée était celle du peintre Jan de Braij (1627 – 1679) ce qui était impossible puisque cet ajout date de 1628... en fait cette enfant n'était pas née au moment où Frans Hals a terminé le tableau et ses parents l'ont fait rajouter au groupe en confiant la tâche à Salomon de Braij (1597-1664) père de Jan, peintre lui aussi, d'où la signature.
Le tableau est le premier, dans le temps, des portraits familiaux de Frans Hals. Il date des années 1620, probablement de 1624. Le peintre est déjà un portraitiste renommé, il était surtout le spécialiste des représentation de groupe qui font la renommée du musée de Haarlem aujourd'hui : de bons bourgeois qui aimaient se faire représenter en soldats, en armes, pavillon déployé, banquetant très prosaïquement lors de leur fête annuelle, tout cela plus convivial que martial, souvenir des temps où l'on devait toujours redouter un raid armé espagnol. La peinture est brossée largement avec la virtuosité habituelle de Frans Hals, les visages plus finement travaillés en glacis permettent de saisir la personnalité de chacun des personnages. On a déjà noté la complexité et l'élégance de la composition ce qui n'est nullement incompatible avec le grand naturel des personnages qui sourient, jouent, s'amusent, en une série de scènes charmantes. La famille van Campen était-elle aussi enjouée ? C'est une autre histoire.
Gijsberts Claesz van Campen et son épouse Maria Jorisdr étaient catholiques, ce qui dans la société hollandaise protestante de l'époque en faisait des dissidents, ils eurent quatorze enfants, huit filles et six garçons. Cette famille importante à Haarlem et à Leyde dont ils étaient originaires, habitait une grande maison Kerkstraat et c'est pour cette demeure que fut peinte la Réunion de famille. Le nombre d'enfants peut sembler effarant aujourd'hui, il ne faut pas oublier la terrible mortalité infantile en ces siècles où ni l'hygiène, ni la médecine n'avaient atteint le niveau d'aujourd'hui. De plus les van Campen, membres éminents de la communauté catholique, n'envisageaient même pas de pratiquer la seule méthode contraceptive d'alors, le coïtus iterruptus. On notera enfin l'exceptionelle tolérance de la Hollande du siècle d'or où les religions les plus diverses voisinaient. Les Catholiques n'avaient pas le droit de pratiquer leur culte en public, mais ils avaient la possibilité de la faire dans des espaces privés. Il existe encore aujourd'hui un de ces lieux à Amsterdam, le musée du Bon Dieu sous le toit, ravissante chapelle baroque se nichant sous les combles d'une maison tout à fait semblable aux autres. On comparera cette situation aux bûchers de l'Espagne, au siège de La Rochelle, aux futures dragonnades et aux galères de Louis XIV...
Gilles Coÿne
1 – Proposition de reconstitution du portrait de famille originel de Frans Hals, incluant l'enfant peint par Salomon de Bray.
2 – Frans Hals, La Famille van Campen dans un paysage (fragment), huile sur toile 151 x 163,6 cm.,Toledo, Museum of Art.
3 – Frans Hals, Enfants de la famille van Campenavec une voiture tirée par un bouc (fragment), huile sur toile 152 x 107,5 cm., Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.
4 - Frans Hals, Portrait d'un jeune garçon de la famille van Campen (fragment), huile sur toile 54 x 47,4 cm. collection particulière.
5 - Frans Hals, Portrait de famille dans un paysage, huile sur toile 202 x 285 cm., Madrid, Museo NacionalThyssen-Bormenisza.
Frans Hals. Portraits de famille.
Trois expositions à la fondation Custodia
8 juin – 25 août 2019
121, rue de Lille, Paris VII
- Tél. : 01 47 05 75 19
- Internet : www.fondationcustodia.fr
- Horaires et tarifs : ouvert tous les jours sauf le lundi de 12h à 18h ; tarifs 10€ et 7€. le billet d'entrée donne droit à la visite des deux autres expositions : Enfants du siècle d'or, œuvres de la fondation Custodia ; Marian Plug, Peintures et œuvres sur papier.
- Publication : Les Portraits de Frans Hals, Une réunion de famille.- 2018, Bruxelles, Fonds Mercator, 112 p., reliè, 29,95 €.