Expositions
Pierre Loti,
une oeuvre au long cours
Un livre, une exposition : à l'occasion de la parution d'un livre consacré aux dessins de Pierre loti par les éditions Bleu autour installées à Saint-Pourçain proche de Moulins, les responsables du musée Anne de Baujeu organisent une exposition sur le même thème. La publication comme l'exposition viennent opportunément rappeler au lecteur un homme de lettres doublé d'un artiste à qui il n'est pas entièrement rendu justice aujourd'hui.
Julien Viaud (1850 – 1923), plus tard il prendra le nom de lettre Pierre Loti, est né à Rochefort dans une famille protestante qui avait des attaches avec l'île d'Oléron.
C'est dans sa famille qu'il va faire ses premiers pas dans l'art du dessin. Son père était aquarelliste amateur, sa mère maniait le crayon et le pinceau, enfin sa sœur aînée Marie, qui abandonna une carrière prometteuse pour se marier, était mieux qu'un peintre amateur : elle fut l'élève du maître Léon Cogniet et on connaît d'elle une centaine de portraits et près de deux cents paysages. Le jeune homme parachèvera cette première formation à l'école navale où il entre pour devenir officier de marine. En effet, à l'époque où la photographie était dans les limbes, tout officier, de terre comme de mer, se devait de savoir dessiner.
Un drame familial va faire de Julien Viaud un dessinateur professionnel. Son père, comptable de la ville de Rochefort, fut accusé, à tort, de détournement de fonds. Réhabilité, Il lui fallut néanmoins rembourser les sommes disparues. On songea même à vendre la maison de famille. Cette maison dont, plus tard, beaucoup plus tard, Pierre Loti fera un ensemble extraordinaire où derrière le salon bourgeois bien sage se cachent plusieurs folies : une salle médiévale, une mosquée syrienne, un salon oriental, et même une pagode japonaise (aujourd'hui disparue)... Une des maisons d'écrivain les plus originales de France.
Qui eut l'idée d'exploiter le talent du jeune officier et d'en faire un métier? Sans doute sa sœur qui avait de nombreuses relations à Paris. Pendant des années il expédiera aux journaux parisiens, l'Illustration et le Monde Illustré principalement, des dessins exécutés lors de ses escales tout autour du monde. Ainsi il sauvera la maison familiale.
Les premières salles montrent ses premiers essais : figures fantastiques finement déliées à la plume, bande dessinée inspirée du Genevois Toepffer, décor pour une pièce de marionnettes, ce sont les témoins d'une enfance heureuse où l'on cultive les talents et l'imagination d'un garçon doué.
Les organisateurs ont ensuite reclassé les dessins selon un ordre géographique qui ne recoupe pas nécessairement l'ordre chronologique mais qui a l'avantage de mettre en valeur les pays qui l'ont particulièrement inspiré : Tahiti et les îles françaises du Pacifique, l'île de Pâques, Istanbul, le monde musulman d'Afrique du nord, l'Afrique noire à Dakar, tous lieux qui sont le théâtre de l'expansionnisme colonial français. On ne doit jamais oublier que les dessin de Loti sont, pour une grande part, liés à cette aventure. Si on lui demande la représentation de ces « étranges étrangers », c'est pour montrer leur singularité, voire leur sauvagerie, leur retard par rapport à l'Europe et justifier ainsi la conquête. Il est vrai que Loti ne sera jamais vraiment dupe de ce prétexte civilisateur et qu'il regrettera souvent le formatage du monde à l'aune de l'Occident (déjà!).
La confrontation de certains dessins avec les gravures parues dans les illustrés parisiens est éclairante de la manière de procéder de l'artiste et de ses interprète : on peut voir ainsi que les graveurs n'ont pas hésité à enjoliver la réalité pour la rendre plus exotique ou plus horrifique, il arrive aussi que le dessinateur livre un simple canevas à charge pour les interprètes de le remplir ; par exemple dans la gravure parue dans le Monde illustré du 15 décembre 1877 et représentant le banquet offert par la reine Pomaré (de Moorea) aux officiers de la frégate la Flore, les interprètes n'ont pas hésité à tripler le nombre des serviteurs et doubler celui des convives, pour faire plus « royal » sans doute. Une autre fois il ont habillé de pagnes pudiques les danseuses nues de l'île de Pâques de La fête religieuse célébrée par les naturels (cérémonie sortie tout droit de l'imagination du reporter!). L'artiste lui-même parfois donne des indications en ce sens. N'écrit-il pas en marge de l'effigie du Marocain qui apporte un plat de couscous « l'augmenter (le plat) de un quart environ » ?
Plus que les sites, plus que les monuments – ils ne sont nombreux bien entendu - ce sont les hommes qui l'intéressent : inlassablement il dessine les personnages, leurs habits, leurs tatouages, leurs coutumes dont il se fait le témoin. Il fournit ainsi un témoignage précieux à l'ethnographe comme à l'historien. En témoigne le magnifique portrait du Chef de la baie Tchitchagov à la fois chef d'œuvre du dessin et document scientifique de par la reproduction minutieuse des tatouages. Il fait preuve d'une attention mais aussi d'une empathie certaine envers ces modèles qui vivent le drame de l'acculturation : leur monde est mort, ils n'ont pas de place dans celui qui émerge. N'écrit-il pas parlant de la reine Vaékéhu des Îles Marquises : « Cette reine déchue, avec ses grands cheveux en crinière et son fier silence, conserve encore une certaine grandeur... » ? Son regard profondément humain donne à ces documents une dimension unique : ils dépassent la simple curiosité exotique et nous touchent encore.
On retrouve le même regard quand il représente les marins des différents bâtiments où il a servi. Il les montre posant dans leur uniforme, en action sur le bateau ou nus. On remarquera combien les têtes sont petites par rapport aux corps. Disproportion choquante chez un artiste académique mais qui ne surprend pas ici : il exprime ainsi la force et l'héroïsme de ces garçons simples qui vivaient une aventure dangereuse sans y penser. Croquis et œuvres achevées, serviront serviront d'ébauches aux héros de Mon Frère Yves ou des Pécheurs d'Islande. De même doit-on mettre en relation le portrait d'un jeune Basque avec Ramuntcho le roman où il scrute l'âme de ce peuple.
Gilles Coÿne
1 - étude d'un homme assis et accoudé, Pierre Loti, crayon, vers 1870/90, coll. particulière
2 - Ariinoore Moetia/(Tahiti), Pierre Loti, crayon et aquarelle, coll. Particulière.
3 - Starue de l'île de Pâques, Pietrre Loti, crayon et encre bleue, coll. Particulière.
Pierre Loti
Dessinateur au long cours
10 octobre 2009 – 3 janvier 2010
Musée Anne de Baujeu
Place du colonel Laussedat 03000 Moulins
Tél. : 04 07 20 48 47
Site internet :
Publication : Alain Quella et Bruno Vercier : Pierre Loti dessinateur – Une œuvre au long cours. - 2009, Saint-Pourçain-sur-Sioule, éditions Bleu autour, 296 p. 500 dessins. 34,50€.
étude d'un homme assis et accoudé, Pierre Loti, crayon, vers 1870/90, coll. particulière
Ariinoore Moetia/(Tahiti), Pierre Loti, crayon et aquarelle, coll. Particulière.
Starue de l'île de Pâques, Pietrre Loti, crayon et encre bleue, coll. Particulière.