Expositions
Montparnasse Saint Germain-des-Près.
Abstraction d'après-guerre
L'exposition intitulée Montparnasse Saint-Germain-des-près, abstraction d'après-guerre, à la galerie des beaux-Arts de Bordeaux rend un hommage implicite à un conservateur du musée des beaux-arts de cette ville, Gabriel Lemoine. Aujourd'hui bien oublié, hier critiqué, il fut naguère un des premiers responsables d'institutions culturelles en France à acquérir et à exposer des peintures abstraites. Grâce à lui le musée comprend aujourd'hui une petite mais signifiante sélection de toiles an-iconiques. Les Bordelais, qui n'ont jamais passé pour fanatiques des recherches les plus avancées de l'art moderne, purent ainsi, dès le lendemain de la seconde guerre mondiale et pendant quelques années, découvrir et se familiariser avec un art qui jusqu'alors leur était assez étranger.
Le propos de l'exposition n'est pas de montrer de manière exhaustive ce qui se faisait à Paris dans les années 50/80, alors que la ville avait renoué avec son rôle phare et attirait encore de nombreux artistes étrangers, mais plutôt de s'attacher à quelques personnalités qui se connaissaient sans pour cela former un groupe et que des liens d'amitié et une même esthétique réunissaient. Quelques uns de ces artistes furent les élèves de Roger Bissières dont deux oeuvre appartenant à la collection ouvrent la manifestation. Six peintres se retrouvent ainsi sur les cimaises de la Galerie : Olivier Debré (1920 - 1999), Jean Le Moal (1909 - 2007), Alfred Manessier (1911 -1993), André Marfaing (1925 – 1987) et leurs aînés le Suisse Gérard Schneider ( 1896 – 1986) et le Hollandais Geer Van Velde (1898 - 1977).
Paradoxalement, c'est au cours de la seconde guerre mondiale, alors que l'époque n'était pas franchement favorables aux innovations esthé-tiques, que s'est effectué un renouveau de la scène artistique française grâce à l'abstraction. Les jeunes peintres de l'époque y voyaient un outil de libération : libération du sujet, alors que tout concourait à imposer un discours univoque, oppressant, basé sur un retour aux valeurs tra-ditionnelles ; libération de la couleur en réaction à la grisaille de l'époque ; libération du sentiment jusqu'au lyrisme en contraste avec un art d'avant guerre excessivement intellectualisé. Le 10 mai 1941 est une date importante qui vit l'inauguration à la galerie Braun à Paris de l'exposition, « Vingt jeunes peintres de traditions françaises » organisée par Pierre Bazaine. Parmi les exposants se trouvaient Jean Le Moal et Alfred Manessier qu'une longue amitié et un compagnonnage esthétique réunissaient. Après la Libération, ce fut une explosion au point que l'Abstraction, de révolutionnaire qu'elle fut à ses origines, devint un académisme et qu'aux yeux de la critique comme du grand public son succès finit par occulter toute autre forme d'esthétique.
C'est devant un tableau de Chardin au Louvre, où les deux jeunes gens selon une tradition séculaire venaient se former en copiant les grands maîtres, que se sont rencontrés Jean Le Moal et Alfred Manessier. Il devait s'ensuivre une amitié qui a duré toute leur vie. Ils se retrouveront plus tard dans la classe d'initiation à la fresque que Roger Bissières animait au sein de l'école Ranson. Ils ne pratiquaient ni l'un ni l'autre une abstraction pure mais plutôt ce que l'on pourrait appeler une peinture non figurative. Que l'on regarde attentivement L'hommage au Cubisme de Le Moal (1955) : on retrouvera dans la toile le système de représentation du monde tel que l'ont inventé Picasso et Braque au cours de leur brève période de cubisme analytique (1910) ; mais ici une explosion de couleurs, bien différente des tons sourds et sombres utilisés par les fondateurs du mouvement, dynamise la composition. C'est une toile qui fait référence à la réalité sans pour autant la copier : les formes courbes sont-elles des seins? Des pommes? Des roues? Qu'évoquent les angles droits? La lectures du tableau est ardue à la différence de celles des deux précurseurs qui donnaient des clés de compréhension. Le Moal vise avant tout à une expression lyrique pure. Sable VII (1983) d'Alfred Manessier fait référence, jusque dans son titre, à une réalité que chacun peut observer dans la nature. Ici les rides que la mer laisse sur le sable quand elle se retire. Il n'est jusqu'à la tonalité du dessin (qui possède les dimensions monumentales d'un tableau), un grège pâle dû à l'encre de chine lavée, qui n'évoque le sable. Cependant la construction, organisée autour d'une plage ovoïde au centre du tableau n'a rien à voir avec ce que l'on peut observer dans la nature, elle se suffit à elle-même par une présence quasi mystique : « Que tu peignes une baie de Somme, une Sainte face ou une toile « politique » (ayant le souci du politique et non de la politique) tout doit être dans la perspective de l'amour et de la lumière. »
Olivier Debré et Jean Le Moal appartiennent à une génération plus jeune pour qui l'abstraction était un langage « naturel ». Le premier adopte rapidement une matière colorée fluide quasi conceptuelle tandis que la trajectoire de André Marfaing, le benjamin, est plus austère, plus rude, voire ascétique, en dépit de riches empâtements. Ce dernier se limite au noir, au blanc et à des bruns subtilement dégradés. Dans ce registre maitrisé il livre quelques toiles d'une grande force en dépit de l'économie des moyens : Les premiers tableaux exposés ici aux tonalités austères que l'on pourrait qualifier « d'espagnoles » proposent comme une sorte de dévoilement de la lumière, puis la touche s'épaissit, s'élargit, le noir envahit l'espace ne laissant qu'un rai de blancheur comme si au delà de lourds rideaux le visiteur allait découvrir...
Tout semble opposer l'abstraction du Hollandais Geer Van Velde à celle du Suisse Gérard Schneider : l'un, le premier représenté ici par deux toiles et six gouaches, élabore des compositions à la géométrie adoucie, en des tons d'une grande subtilité ; cela n'a rien à voir avec le travail drastique de son contemporain Piet Mondrian, même si cela s'en inspire. Ces oeuvres sont l'aboutissement d'un long travail méditatif issu de ses premiers travaux figuratifs. Des natures mortes, des paysages, des scènes sublimées? Qu'importe... Tout au contraire, le second travaille sur des toiles de dimensions conséquentes à grands coups brosse avec des couleurs aussi fortement contrastées que vives. Le tableau, longuement médité, est rapidement brossé en amples gestes spontanés, parfois rageurs : les traces de la gestuelle sont aussi importantes que le tableau achevé.
On ne manquera pas de découvrir au sous-sol les toiles du peintre bordelais Edmond Boissonnet, elles rappèlent que la ville fut un centre créatif et qu'il y eut ici toute une génération de peintres abstraits.
En guise de conclusion écoutons Gérard Schneider : « Il faut voir la peinture abstraite comme on écoute la musique, sentir l'intériorité de l'œuvre sans lui chercher une identification avec une représentation figurative quelconque ».
Gilles Coyne
Geer Van Velde, Composition, circa 1950/55, Photo Bastiaan Van den Berg © ADAGP, Paris 2012
Jean Le Moal, Espace, 1973, photo Batiaan van den Berg © ADAGP, Paris 2012
Montparnasse
Saint-Germain-des-prés
Abstraction d'après-guerre
Jusqu'au 10 février 2013
Galerie du musée des Beaux-Arts
Place du colonel Raynal, 33000 Bordeaux
- Tél. : 0556965160
- Fax : 0556102513
- mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
- internet : www.bordeaux.fr/ville/museeBeauxArts
- Horaires et tarifs : tous les jours sauf les mardis et les jours fériés, de 10h à 18h. Entrée, 5€, tarif réduit, 2,5€ ; visites commentées, billet+3€
- Publication : Catalogue, français et anglais, 72p., 15€