À la Une

 

 

 

Un Artiste voyageur en Micronésie,

l'univers flottant de Paul Jacoulet

 

 

 

L'étrange trajectoire que celle de Paul Jacoulet (1896 – 1960) que nous présente le musée du quai Branly : né en France, arrivé à l'âge de quatre ans au Japon où son père était professeur de français auprès de l'école des hautes études commerciales de Tokyo et de l'école militaire des officiers de cette même ville, il passera toute son existence dans ce pays et, en dépit des aléas de l'histoire, y mourra n'ayant fait que de courts séjours en dehors de l'archipel. En France, en compagnie de son père alors qu'il était âgé d'une dizaine d'années, puis plus tard en Micronésie et aux états-Unis. Il fit ses études au sein des établissements scolaires japonais, s'initia à l'art du pays qui finalement est devenu le sien : ayant perdu jeune son père gazé pendant la première guerre mondiale, sa mère étant revenue en France avant de se remarier en Corée avec un Japonais résident à Séoul, il adopte le style de vie du Japon où il évolue au sein de la haute société cultivée ; plus tard, il se composera, dans sa maturité, une famille de substitution en créant un atelier de gravure qui rapidement deviendra prospère.

 

 

pp0207022-1 - copie

 

 

 

Son oeuvre, qui se compose essentiellement de gravures d'une rare beauté, était jusqu'à aujourd'hui pratiquement inconnu en France où, en dehors d'une exposition à la Bibliothèque nationale en 2011, il ne fut jamais montré. Seuls quelques rares collectionneurs, très au fait de ce qui se faisait au japon connaissaient sa production. C'est donc à une découverte qu'invite le musée en proposant ce rassemblement significatif. Ajoutons que la manifestation actuelle doit tout aux héritiers de l'artiste, dont sa fille adoptive, qui viennent de faire un don exceptionnel au musée, après celui dont bénéficia la Bibliothèque nationale : dessins, gravures, objets quotidiens, documents, oeuvres qu'il collectionnait – il possédait une vaste collection de gravures japonaises et plus de trente mille papillons dont les riches coloris le fascinaient... Grâce à cette générosité les institutions parisiennes conservent aujourd'hui la plus grande collection en Europe des oeuvres de cet artiste.

 

pp0205506 - copieLa manifestation du musée du quai Branly est consacrée, pour l'essentiel aux oeuvres créées dans les îles de la Micronésie et en Corée. Il découvrit ce dernier pays bien évidemment en visitant sa mère, quant à la Micronésie cela commence comme dans une comédie musicale : un jour de 1928 où l'artiste s'était fait surprendre par une de ces averses torrentielles fréquentes dans les pays tropicaux, une grand et beau jeune homme lui offrit l'asile de son parapluie. Une amitié devait s'ensuivre. La nature exacte de cette amitié ne nous regarde pas, mais grâce à ce garçon (il avait quatorze ans) fils d'un marin breton et d'une jeune femme de l'île de Chuuk en Micronésie, il va découvrir l'univers d'un archipel qui s'étend sur un immense espace de l'Océan pacifique. Il est séduit : la lumière incomparable de ces terres entourées d'eau, les couleurs d'une vivacité inconnue ailleurs, les plantes, la faune, la beauté d'une population vivant quasiment nue et selon un rythme encore ancestral... « Les couleurs des mers du Sud, tant qu'on ne les a pas vues, et même alors, elles restent inconcevables. » Il y revint souvent au cours des trois années qui suivent, « Huit à quatorze fois » se souviendra-t-il. Il accumule dessins et aquarelles, commence une collection de papillons, rapporte des objets de parures, des coquillages et de ce matériau il va tirer de somptueuses gravures qui forment l'essentiel de ce qui est montré ici. Le jeune chef Saragan et son esclave Forum – 1949 -, l'un assis, l'autre debout, semblent deux vigies, l'un fixant l'horizon, l'autre perdu comme dans un rêve intérieur – la mélancolie des tropiques?

 

Une vitrine au début de l'exposition décrit le travail par lequel l'aquarelle originale est traduite en gravure sur bois (Paul Jacoulet se refusera aux facilités de la lithographie). Il renoue et revivifie une tradition japonaise vieille de plusieurs siècles. Si l'intervention d'une équipe de spécialistes est nécessaire à la réalisation de l'œuvre, il intervenait tout au long du processus faisant preuve d'une exigence incroyable : le dessin est reproduit sur plusieurs planches de bois, une par couleur – cela peut aller jusqu'à soixante matrices pour une seule gravure ! On remarquera que le format de l'estampe, plus petit, se différencie du dessin original, de même le travail des couleurs, intenses et lumineuses, est assez différent de celui du modèle qui, du coup, paraît assez fade ; à l'instar des artistes japonais traditionnels - il admirait et possédait une collection de d'estampes d'Utamaro - il mélange à ses pigments du mica et d'autres matières pour en varier la texture et l'éclat, introduisant jusqu'à de la poudre de perles pour donner un velouté incomparables à certaines plages. Par son dessin, ses cadrages audacieux, la linéarité sinueuse de son trait il renouvelle profondément l'art traditionnel de l'Ukuyo-e (XVIIe au milieu du XIXe siècles), genre alors en pleine décadence et, d'ailleurs, profondément méprisé par l'intelligentsia japonaise de l'époque dans laquelle il évoluait. : il substitue son univers personnel à la description traditionnelle du monde flottant des geishas, des acteurs, des musiciens, des gens de la rue.

 

pp0205513 - copie

L'art de Paul Jacoulet est un art précieux, maniériste et d'un grand raffinement malgré un hiératisme certain : Il sait redonner à ses personnages, en dépit d'une grâce naturelle, une noblesse qui a souvent échappée au regard occidental et même japonais. Le Vieil Aïnou (une peuplade aborigène du Nord du Japon et discriminée en tant que telle) au visage mangé par une barbe et une chevelure immaculées est l'image même de la sérénité. L'artiste trouvait de la beauté même dans ce qui rebutait alors les Japonais et les Occidentaux : les tatouages qui revêtent les aborigènes des îles de la Micronésie. En cela il fait preuve de talents d'ethnologue – bien involontairement car cette démarche ne l'intéressait guère. Et aujourd'hui ses aquarelles et gravures se révèlent être des document précieux car cet art corporel a totalement disparu aujourd'hui, comme a disparu la société traditionnelle des îles et ses hiérarchies.

 

On aurait tort de ne voir en Paul Jacoulet qu'un simple avatar de l'art japonais ou le chroniqueur de société disparues. Certes, l'artiste reprend les formules et le style d'un art traditionnel dans lequel il se meut avec aisance; il est aussi profondément japonais dans sa manière de vivre comme sa façon de ressentir les choses. Cependant, le visiteur ne manquera pas de remarquer à quel point ses dessins et ses gravures s'inscrivent dans l'air de son temps : le style épuré et élégant des années vingt et trente en Europe. Même sens de la ligne, souci identique de la simplification des formes, goût des couleurs faussement simples posées en à-plat, modelé discret... On songe à Iribe, à Charles Martin. C'est peut-être ce métissage réussi qui fait tout le prix d'un art plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Paul Jacoulet, Guiltamag, jeune homme de l'île de Yap, crayon et aquarelle sur papier, 1934, © musée du quai Branly, photo Claude Germain

- Paul Jacoulet, Vieil Aïno, gravure sur bois en couleurs, 1950 © musée du quai Branly, photo Claude Germain

- Paul Jacoulet, M. Keen et M. Lee, gravure sur bois en couleurs, 1951 © musée du quai Branly, photo Claude Germain

 

 

 

 

 

 

 

Un artiste voyageur en Micronésie

L'univers flottant de Paul Jacoulet

Jusqu'au 19 mai 2013

Mezzanine Est

Musée du quai Branly

37, Quai Branly, 75007 Paris

- Tél. : 0156617000

- Internet : www.quaibranly.fr

- Tarif et horaires : Mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h, jeudi, vendredi, samedi de 11h à 21h, fermé le lundi ; accès avec le billet d'entrée du musée, 8€50 et 6€.

- Publication : le catalogue, reflet de l'exposition, sélectionne 200 oeuvres et propose un portrait de Paul Jacoulet. coédition musée du quai Branly / Somogy, 352p., 1182 illustrations, 49€.

- Animation culturelle : visites guidées ; Before Paul Jacoulet, vendredi 05, 04 de 19h à 23h, performances musicales et chorégraphiques.