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Disegno et couleurs
Dessins italiens et français du XVIe au XVIIIe siècle
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
C'est la fête du dessin ancien au musée des Beaux-Arts de Tours qui propose une sélection de soixante quinze œuvres italiennes et françaises des XVIe au XVIIIe siècles provenant du Musée royal des Beaux-Arts de Bruxelles. Le Musée tourangeau consacre un mur à une sélection de dix-huit pièces de son propre fond, sélection qui n'est pas moins excitante. L'institution belge a été fondée par Napoléon, alors que la Belgique faisait partie de l'Empire, elle n'est pas issue de collections princières et royales comme le Louvre, L'Albertina de Vienne, l'Ermitage de Saint Petersburg et si elle possède aujourd'hui plus de cinq mille feuilles, c'est grâce à des achats et à des donations privées dont la plus importante fut le legs Jean de Grez en 1911, legs comportant 4.250 pièces ; l'ensemble est surtout célèbre pour ses œuvres sur papier des écoles nordiques, flamandes comme hollandaises, les ensembles italiens et français, en comparaison, peuvent paraître moins prestigieux aux yeux du profane, en dépit de quelque grands noms – Gian Domenico Tiepolo ou Gian Lorenzo Bernini -, ils ne s'en révèlent pas moins passionnants.
Le dessin est la base de tous les arts plastiques professaient les Italiens de la Renaissance : la peinture bien évidemment mais aussi la sculpture, l'architecture et les arts décoratifs. Trois oeuvres ici justifient cette affirmation : la belle feuille de Jean Cousin l'Ancien (France 1490 – 1560) représentant en un trait menu et nerveux les armées de Pharaon englouties par les flots. c'est un modèle pour un de ces plats en matériaux précieux sur-décorés dont la Renaissance raffolait- on se demande quel pouvait être l'usage pratique de tels objets ; le Projet d'intérieur d'église de l'entourage des Galli-Bibiena (XVIIIe siècle) fait plus penser à un décor qu'à un bâtiment religieux crédible, il se classe dans la lignée de cette dynastie de décorateurs de théâtre ; enfin la superbe esquisse à la plume et au lavis bistre de Gianlorenzo Bernini pour le tombeau de la Comtesse Mathilde de Canosa à Saint Pierre de Rome, d'une étonnante liberté, est plus vivant que le lourd monument ; sa réalisation ayant sans doute été confiée en grande partie à des assistants.
Les études pour la peinture se taillent la part du lion bien entendu. Il s'est réalisé en Europe du XVIe siècle à nos jours des centaines de milliers d'œuvres sur papier qui expliquent la taille imposante de certaines collections – plus de 150.000 pièces pour le seul Louvre. La création d'une œuvre peinte obéit dans l'art ancien au schéma théorique suivant, schéma où l'art graphique occupe une place décisive : depuis le gribouillis informe d'où surgira l'idée, puis à travers quelques tâtonnements, en passant par les différentes études d'ensembles et de détails, on arrive au projet final soumis au commanditaire pour approbation. La réalisation d'un tableau ou d'une fresque supposait donc un très grand nombre d'études. Elles étaient conservées dans l'atelier - la « bottega » en Italie - qui réunissait autour du maître élèves et aides, elles serviront de répertoire pour les productions futures. Dans le même ordre d'idée, l'artiste peut être amené à garder le souvenir de l'œuvre terminée ce sera un « ricordo » qu'il est parfois difficile de différencier du projet. Une étude de la collection du musée de Tours pour la femme qui se voile la face dans les Licteurs rapportant à Brutus les corps de ses fils, de David, montre le travail de carroyage en vue de transposer la figure sur la toile. Travail qui bien entendu était dévolu à un assistant. On retrouve cette mise au carreau dans le joli dessin préparatoire pour La Vierge à l'enfant avec sainte Catherine de Denys Calvaert (1540 – 1619), un artiste flamand qui fit sa carrière en Italie, ou encore pour le Saint Grégoire le Grand consacre l'église Sainte-Agathe à Rome de Cesare Nebbia (1536 – vers 1614). On remarquera, et on peut le faire pour d'autres artistes ici, en comparant ces dessins préparatoires à la composition achevée, combien l'œuvre a perdu en nervosité, en élégance au passage. C'est que, comme pour le tombeau de Bernini (voir plus haut), les aides sont passés par là ; c'est aussi qu'un créateur peut être un remarquable dessinateur (et tous l'étaient à cette époque) et un piètre peintre. Les hiérarchies de la peinture et de l'art graphique ne se recoupent pas toujours...
On a parlé de schéma créatif, bien entendu il y a des exceptions. Quelques artistes dessinent très peu et se passant pratiquement d'études préliminaires, torchent l'oeuvre en coups de pinceau hardis : L'Adoration des Mages, à la pierre noire, de Claude Vignon (cabinet de Tours) est une rareté, elle est typique d'un artiste qui a beaucoup peint - pas toujours de façon convaincante – et peu dessiné. On reconnaît sa fougue, sa manière d'aller à l'essentiel, de camper une composition dynamique toute en lignes contrastées et en formes bouclées.
Le dessin n'est pas qu'un outil, il est aussi une discipline à part entière. Depuis les superbes figures que Michel-Ange avait l'habitude d'offrir à ses amis, il existe de nombreuses feuilles qui sont des œuvres achevées, elles se vendaient, s'offraient, étaient collectionnées par les amateurs. Aux temps classiques elles étaient les plus prisées, aujourd'hui nous aurions plutôt tendance à leur préférer l'esquisse, l'inachevé, le moins fini, le plus spontané, ce qui est en devenir, « work in progress » comme le disent les Anglo-saxons... Le paysage à l'encre, au lavis et à la gouache blanche sur papier bleu de Gherardo Cibo (1512 – 1600) a bien du charme, même si la composition est un peu banale. Plus vigoureuses, en revanche, sont les petites scènes de genre familières où Remigio Cantagallina (1575 – 1656) décrit les eaux de Spa. Que l'on imagine pas un riche établissement thermal, mais de de simples sources dans la nature autour desquelles se pressent quelques curistes habillés jusqu'au menton.
Objet de délectation personnelle, de plaisir raffiné qui permet de rentrer dans l'intimité du créateur, de vivre ses hésitations, de participer à sa sensibilité, cet art, que Paris célèbre dans ses grandes institutions culturelles comme dans ses galeries, expositions et ventes de prestige, est magnifiquement illustré à Tours et l'amateur qui se presse dans la capitale aurait tout intérêt à faire un détour ici.
Gilles Coÿne
- Jean Cousin le Vieux (vers 1490 - vers 1560) Pharaon englouti dans la mer Rouge (détail), © Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.
- Giovanni Domenico Tiepolo (Venise, 1772 - 1804), le Retour du fils prodigue © Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles
- Jacques-Louis David (1748 - 1825), Étude pour les Licteurs rapportant à Brutus les corps de ses fils, © Musée des Beaux-Arts, Tours
- Gherardo Cibo (1512 - 1600), Paysage traversé par une rivière avec berger et troupeau © Musées royaux des Beaux-arts de Belgique, Bruxelles
Disegno et couleur
Dessins italiens et français du XVIe siècle au XVIIIe siècle
16 mars – 17 mai 2013
Musée des Beaux-Arts
18, place François-Sicart
37000 Tours
- Téléphone : 02 47 05 6873
- Internet : www.mba.tours.fr
- Horaires et tarifs : de 9h à 18H, tous les jours sauf le mardi, fermé le 1r mai ; 5€, tarif réduit, 2,5€ groupes de plus de 10 personnes, étudiants, personnes de plus de 65 ans.
- Publications : Dessins italiens et français de XVIe au XVIIIe siècle, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.- 2013, Bruxelles, Musées royaux des beaux-Arts de Belgique / Silvana Editoriale, 256p., 34€ ; Dessins du Musée des Beaux-Arts de Tours.- 2013, Tours, Musée des Beaux-Arts / Silvana Editoriale, 64p., 16€ ; Livret à destination du jeune public, 20p. et 2 planches « patchwork » proposés au jeune public pour une visite ludique.
- Programme culturel :visites commentées ; Une heure une œuvre ; concert, consulter le site du musée.