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Keith Haring,
the political line
Un message clair et fort s'adressant à tous, un dessin synthétique empruntant à la signalétique sa lisibilité et son efficacité, des couleurs franches et vives, l'art de Keith Haring (1958 - 1990), puissant, plein d'humour et de générosité tranche sur notre époque qui prise plutôt le narcissisme et le discours abscons. L'artiste est de retour dans Paris, ville qu'il aimait bien, grâce à l'exposition que lui consacre le musée d'Art moderne de la ville. C'est une bolée d'air frais dans un printemps parisien aigrelet, asphyxié par la violence et la mauvaise foi. Il nous rappèle que le sida est encore là, même si on l'a peu ou prou domestiqué, que le combat contre l'intolérance et la méchanceté, la minable méchanceté, n'est jamais terminé et que le sourire plus que la véhémence est efficace. La manifestation se tient en deux lieux : le musée d'art moderne et le Cent-quatre, ce magnifique espace polyvalent ouvert il y a quelques années, par la municipalité dans les quartiers nord-est de la capitale pauvres en institutions culturelles.
À vingt ans ce jeune homme dégingandé au physique de professeur Nimbus est propulsé dans le New-York d'Andy Warhol et de Jean-Michel Basquiat. Il a obtenu de son père les moyens de parfaire la formation reçue dans une école d'art appliqué de Pittsburg et ses premiers essais d'autodidacte, à la prestigieuse School of Visual Art. Là, il étudie le dessin, la peinture et la sculpture, il suit aussi des cours de sémiotique qui influenceront ses créations futures. Le New-York des années 80 est une ville fabuleuse, en pleine effervescence, où se côtoient les talents les plus coruscants de l'Amérique. Keith Haring, tournant le dos à une carrière artistique « normale », fraie avec le monde turbulent de l'underground new-yorkais dont il devient une des figures majeures. Il refuse de s'insérer dans le circuit traditionnel de diffusion artistique car il ambitionne de créer un « Art pour tous », accessible à tous. Un art qui se veut résolument politique et sexuel, car, pour le jeune homosexuel qu'il était, issu, de surcroit, d'une petite ville où l'on ne devait pas être tendre pour les déviances quelles qu'elles fussent, le sexe était politique. Ah la série des Pénis devant Tyffany (1978)!
Pour ses débuts à New-York, ce sera donc le squatt, le monde underground avec ses graffeurs, ses musiciens, ses poètes, cette vie souterraine multiforme, cette liberté de créer sans souci de plaire ou de déplaire. Il peint des fresques sur les murs de la ville - elles ont toutes disparu, sauf une -, il intervient dans le métro où il dessine sur les espaces publicitaires inoccupés, ce qui lui vaut d'être plusieurs fois arrêté. Son Untitled 1979 est une grande feuille de papier noir (près de 2m sur 1,36 m.) sur laquelle papillonnent une multitude de petits sexes masculins dessinés à la craie. Paradoxalement l'œuvre n'a rien d'agressif ou de choquant mais au contraire vibre de manière assez poétique, dessinant parfois comme des papillons. Pendant cette période de liberté absolue il va créer son propre vocabulaire graphique qui évoluera peu : un petit personnage stylisé qui évoque les silhouettes des panneaux indicatifs, un chien anguleux gueule ouverte, tantôt agressif - il est alors affublé d'une gueule de crocodile - tantôt sympathique, un grand Satan aux cornes émoussées qui tient du robot comme de la créature démoniaque, des serpents et des symboles – la Croix entre autres ...
Un galeriste non conformiste lui ouvre ses cimaise et lui propose de peindre non sur de toiles mais sur des bâches : le succès est au rendez-vous. S'il devient un artiste arrivé, il ne change rien à son style de vie et reste toujours le marginal révolté par les faux semblants et les oppressions de la société libérale avancée, par l'abrutissement d'une sub-culture américaine dont, à la différence des artistes « pop », il dit les effets démobilisateurs (Untitled 1984 sur plaque métallique Coca Cola). Il se situera toujours du côté des Exclus, des Sans Grades, des Offensés, des Humiliés. À ce titre, il peint et dessine pour la libération sexuelle, contre les tabous dont il rend responsable les grandes religions ; contre le racisme et l'apartheid ; puis, plus tard alors qu'il est lui-même touché par la maladie, pour la compréhension et le soutien des victimes du SIDA. Et ce n'était pas évident dans le pays profondément religieux que sont les états Unis où, en dehors de quelques grands centres, on avait tendance à voir dans le « Cancer gay » une punition divine frappant une communauté qui avait fait de l'hédonisme une règle de vie.
Panneaux sur toile libre, dessins, mais aussi objets que l'artiste couvre de petits graphes : on remarquera l'étonnant moulage du buste du David de Michel-Ange peint en rose tyrien pour les chairs et vert pomme pour la chevelure, comme tatoué sur toute la surface de petites effigies, parmi lesquelles quelques phallus. Plus loin de hautes poteries de formes traditionnelles amérindiennes, un sarcophage égyptien, la Statue de la Liberté, la petite Sirène de Copenhague sont décorés de même.
Le dessin de Keith Haring est simple, fait d'un trait épais, noir ou de couleur, net ou avec des coulures ; le fond s'anime entièrement d'une multitude de signes qui évoquent une écriture sacrée, ésotérique en tous les cas. Ce remplissage, comme si l'artiste avait horreur du vide, donne à l'ensemble on ne sait quoi de primitif, voire de barbare, mais en même temps le fait vibrer. On insistera à nouveau sur l'inspiration amérindienne de ces tatouages, de ces scarifications qui couvrent toiles et objets.
Un autre versant de sa création se rapproche de l'expressionnisme, il n'est pas sans rappeler l'art d'un Combas par exemple, où des créatures monstrueuses, aux couleurs agressives, jettent à la gueule du visiteur une « imago Mundis » d'une rare violence : une truie, – Untitled 1984 – écartelée sur la surface de la toile, vomit une sanie vert épinard charriant postes de télés, dollars, ordinateurs... tandis que de petits personnages émergent de ce cloaque pour venir s'allaiter à ses tétines.
De grands totems assez effrayants, des masques ponctuent l'exposition, mais au Cent-quatre des groupes monumentaux en acier peint de couleurs vives offrent une vision charmante et gaie, un aspect de sa création moins connu en France. Ici sont exposés aussi le Tokyo Pop Shop, un container entièrement décoré, sol et plafond compris - espace total où le visiteur peut évoluer - et, enfin, les dix grands panneaux peints pour sa première exposition dans une institution publique, le CAPC de Bordeaux. Mais alors que la puissance de ces grands retables contemporains (7m70 sur 5m) pouvaient se développer dans les deux grandes nefs quasi romaines de l'institution bordelaise, ils paraissent bien à l'étroit ici : la surface ne permet pas le recul. Dommage ! La violence des Dix Commandements (1985) s'en trouve singulièrement affaiblie.
L'oeuvre de Keith Haring étonne par son abondance et son foisonnement, lorsque l'on songe qu'elle fut produite en un peu plus de dix ans seulement ! L'artiste a beaucoup travaillé, comme s'il avait eu la prescience que le temps lui était compté. Il est mort du sida le 16 février 1990.
Gilles Coyne
1 - Keith Haring, Untitled, 25 août 1983, coll. part. © Keith Haring Foundation
2 - Keinth Haring, Untitled 1985, coll. Keith Haring Foundation © Keith Haring Foundation
3 - Keith Haring, Untitled 1988, coll. Keith Haring Foundation © Keith Haring Foundation
4 - Keith Haring, Untitled 1985, coll. part. © Keith Haring Foundation
Keith Haring
The Political Line
19 avril – 18 août 2013
Musée d'Art moderne de la ville de Paris
11, avenue du Président Wilson, 75016 Paris
Tél. : 01 53 67 40 00
Fax : 01 47 23 35 98
Intenet : www.mama.paris.fr
Centquatre
5, rue Curial 75019 Paris©
- Tél. : 01 53 35 50 00
- internet : www.104.fr
- Horaires et tarifs : du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h pour le Musée d'Art moderne, de 13h à 19h30 pour le Centquatre. 11€ pour le Musée d'Art moderne, 8€, tarifs réduits, 5,5€ pour les demi-tarifs et les possesseurs du billet d'entrée de l'exposition du Centquatre ; 8€ et 3€ pour les possesseurs du billet pour l'exposition du Musée d'Art moderne.
- Publications : Catalogue, nombreux auteurs.- 2013, Paris, Paris Musées, 320p., 34€ ; Petit Journal, - 3€ ; audioguide (au Musée d'Art moderne), parcours commenté par Odile Berluraux, 5€ ; application i-phone, 1,98€. Une aide à la visite en Français et en anglais est poposé au Musée d'Art moderne.
Animation culturelle : visites guidées, visites conférences, atelier pour les familles, concerts consulter le site du musée.