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Dynamo
Un siècle de lumière et de mouvement dans l'art 1913-2013
D'abord et avant toute chose, le jeu. L'exposition Dynamo est parcourue par des hordes d'enfants, parfois très jeunes, qui s'amusent comme des fous courant dans les salles, tripotant les boutons des machines, voire s'accrochant comme autant de lianes ou de cordes aux filins du Pénétrable bleu de Soto, le tout sous le regard impassible des gardiens. Beaucoup de jeunes aussi. Les salles d'exposition du Grand Palais à Paris ont rarement été fréquentées par un public aussi précoce manifestement séduit par les ambiguité du regard, ses méprises et aussi par tous ces bricolages ou ces installations électriques sophistiqués. L'exposition Dynamo draine un public atypique qui n'en est que plus enthousiaste. Il n'est pas sûr cependant que ce goût pour le ludique, le surprenant qui séduit tant ces filles et ces garçons, réponde entièrement au souci scientifique des organisateurs... La manifestation, qui occupe la totalité des galeries et réunit quelques cent cinquante artistes, est donc l'événement à ne pas rater en ce printemps 2013, d'autant plus quelle aborde un sujet rarement traité dans toute sa complexité et sa richesse : les noces de l'électricité et de l'optique au travers de peintures, sculptures, objets et installations.
À la fin du XIXe siècle, les travaux scientifiques sur la vision et la couleur, puis le développement de l'électricité élargissent le champ d'expression des artistes et très tôt, au début du XXe siècle, alors que le Cubisme et le Fauvisme (en France) ont cassé définitivement les codes classiques de l'esthétique, ils se lancent dans la réalisation d'œuvres qui font appel à la technologie. Ces travaux pionniers, relégués de façon assez paradoxale en fin de parcours, ont un charme nostalgique certain avec leur côté un peu bricolo... mais ce charme ne doit faire oublier ce qu'ils avaient de révolutionnaires en leur temps : que ce soient les toiles et dessins de Robert Delaunay (1912/3) ou celles de Kupka (années 1920) ou encore la Rotative Plaque Verre de Marcel Duchamp (1920), sans parler des mobiles et stabiles d'Alexander Calder (années 1930), ni oublier les Naum Gabo, Laszlo Moholy-Nagy et Anton Pavsner... toute une pléiade de plasticiens utilisant les techniques modernes et les matériaux nouveaux pour saisir l'essence du mouvement et son expression plastique.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la tendance va connaître un essor remarquable, à ce propos on se souviendra de l'exposition tenue il y a quelques années au musée d'art moderne de Strasbourg, « L'œil moteur », consacré à l'art cinétique. Le titre, un rien sibyllin, faisait référence à une phrase du tract du groupe GRAV : « L'œil humain est notre point de départ. » C'est effectivement l'œil du spectateur qui par ses propriétés physiques – la fameuse persistance rétinienne – au cours des déplacements, semble faire vibrer, bouger les œuvres. Les plasticiens composent alors des objets abstraits, mouvants, d'une grande élégance mais d'où la plus petite trace de subjectivité est bannie – contrairement aux tableaux an-iconiques qui, en dépit à ce que l'on pense souvent, « disent » quelque chose. Cet art atteint son acmé avec le grand prix de la biennale de Venise en 1966 décerné à l'Argentin vivant à paris Julio le Parc. Les Sud-Américains en effet excellent dans ce registre, Julio Le Parc, dont une rétrospective s'achève en ce moment au Palais de Tokyo, en est le figure emblématique et il est représenté ici d'abondance : que ces plaque striées de noir, ces cercles ont de l'élégance ! Une élégance froide, clinique, parfaite.
Les jeux sur les surprises du regard sont connus depuis des siècles, et l'on songe aux anamorphoses imaginées par Léonard de Vinci qui d'un paysage faisait surgir une figure à la vue du spectateur selon qu'il se déplace d'un point A vers un point B - on en rencontre quelques exemples ici ; en vertu d'un principe voisin, celui du point de vue unique pour découvrir la composition de Philippe Varinicer qui paraît éclatée autrement, on ira voir dans la colonnade les Vingt-Trois Disques Oranges évidés, Plus Douze Moitiés et Quatre Quarts que l'on cherchera à reconstituer. De même, sur le modèle de ces tableaux en accordéons montrant d'un côté une image, de l'autre une seconde qui lui est associée, Yaacov Agam crée un grand panneau coloré évoluant avec le déplacement du visiteur. Enfin tout un chacun se souviendra des kaléidoscopes de son enfance devant les jeux de miroirs de Timo Nasseri reflétant tout sauf le spectateur qui logiquement devrait pourtant se voir.
Mais il ne faut pas se tromper : derrière cette forme de beauté pure, souvent distractive, que l'on croit débarrassée de tout affect, peut se cacher, un message secret qui interpelle le visiteur et sollicite ses sens, brouille ses repères : vertiges des miroirs qui le plongent dans un abîme sans fin de Christian Mégert ; malaise, devant les effets stroboscopiques de néons alternant ombre et lumière à un rythme infernal ; euphorie, à parcourir les espaces illuminés de halos aux couleurs acidulées ; apaisement, en pénétrant dans la sombre pièce de méditation (Cherry 1998) proposé par James Turell ; inquiétude, quand on se place au milieu des trois miroirs concaves et noirs d'Anish Kapoor où se reflète de manière inquiétante sa propre silhouette inversée, telle un spectre (Peut-on évoquer à ce propos les miroirs déformants des foires d'antan ?). Si la manière dont Victor Vasarely, Philippe Decrauzat ou Bridget Riley font onduler les rayures ou les points s'apparente à un jeu au premier abord, ne fait-elle pas naître aussi un sentiment de déséquilibre, une perte de repère, proche de celle de l'ivresse?
Ce dynamisme, ce mouvement sans cesse renouvelé, cette « Instabilité visuelle », que recherchaient et réalisaient, entre autres, les artistes réunis sous le sigle du GRAV (Groupe de Recherche d'Art Visuel) ne symbolisent-ils pas, au fond, notre époque placée sous le double signe de la fugacité et de la vitesse ? Ne faudrait-il pas rechercher là les clefs de leur succès auprès des Jeunes ? Ces artistes parlent un langages dont ils comprennent les codes et cela dépasse le simple plaisir du jeu.
Gilles Coyne
- François Morellet, Sphère Trame, 1969, Aluminium, diamètre 200cm. Ludwigshafen, Wilhelm-Hack Museum, prêt permanent de l'association des Amis du Wilhelm-Hack museum © Musée de Grenoble © Adagp, Paris 2013
- Christian Megert, Environment, documenta 4, 1968, Miroirs, bois acrylique 400x400x400 cm, Berlin avec l'amabilité dela galerie Volker Diehl et Christian Megert, photo © Peter Lengemann © Adagp, Paris 2013
Dynamo
Un siècle de lumière et de mouvement dans l'art 1913-2013
10 avril – 22 juillet 2013
Grand Palais, Galeries nationales
Entrée Champs élysées
- Internet : www.grandpalais.fr
- Horaires et tarifs : tous les jours sauf mardi de 10h à 20h, 22h le mercredi ; de 14h à 20h le 14 juillet, fermeture exceptionnelle à 18h le 30 juin. Tarif : 13€ et 9€ (pour les 16-25 ans et pour les familles nombreuses), gratuité pour les moins de 16 ans.
- Publications : Catalogue, sous la direction de Serge Lemoine. - 2013, éditions de la RMN – Grand Palais, 368p., 350 illustrations, 45€. L'Album de l'exposition, 2013, 48p., 50 illustrations, 10€.
- Activités et programmation culturelle : visites guidées (enfants et adultes), visites-atelier (enfants et adultes), conférences-rencontres, soirées cinéma, Dynamo live... consulter le site internet