Expositions
Auguste Perret
Le Conseil économique et social s'élève non loin du Trocadéro à Paris. Les passants ne remarquent guère que la rotonde marquant l'entrée du sobre bâtiment disposée à la pointe d'un terrain triangulaire assez malcommode pour la construction. L'émerveillement gagne le visiteur quand il entre : lui fait face un superbe et aérien escalier que rien ne semble soutenir et à côté une salle hypostyle lumineuse qui se déploient en un ensemble d'une rare grandeur sans pour cela être écrasant ; c'est fastueux malgré une absence totale de décoration. On y retrouve la majesté des stoas qui bordaient les agoras des cités grecques antiques. Ici règne une beauté architecturale toute de simplicité et de pureté, un poème de béton. Le bâtiment a été édifié à la veille de la seconde guerre mondiale pour abriter un musée des transports publics. Le projet n'étant plus de circonstance, il sera affecté, la paix revenue, à une toute nouvelle institution, symbole d'un renouveau sociétal que l'on espérait après la tourmente.
Cet espace magique est, pour quelques temps, consacré à une exposition sur son auteur, l'architecte Auguste Perret. Un artiste peut-être un peu oublié aujourd'hui du grand public mais qui est un des pères de l'architecture moderne au même titre que Le Corbusier, nettement plus médiatique (le jeune Charles Édouard Jeanneret, futur Le Corbusier, fit d'ailleurs ses premières armes dans l'agence des frères Perret). Des générations d'étudiants viennent du monde entier visiter et analyser ses constructions. Pour familiariser le public avec une œuvre copieuse, huit monuments ont été retenus : outre le lieu de l'exposition, l'immeuble de la rue Francklin, tout proche de l'autre côté du Trocadéro, Le théâtre des Champs-élysées, Le Garde-meuble du Mobilier national, la salle Cortot de l'école normale de musique, l'église du Raincy et, en dehors de l'agglomérations parisienne, l'Hôtel de ville et l'église Saint-Joseph du Havre, ville dont on lui confia la reconstruction au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Le dispositif retenu par l'agence artistique OMA MAO est cohérent, malheureusement sa présence envahissante gâche quelque peu la fête : un grillage dont on ne voit guère l'utilité sépare le lieu propre à l'exposition, on a jugé bon d'orner l'escalier d'un gigantesque poster, façon Mao, avec le visage du maître, enfin, et c'est le plus grave, on a obturé les baies par de grands rideaux noirs, privant galerie et escalier des jeux de lumières et surtout cachant le dessin des claustras. Tout ceci ajouté à l'encombrement de l'espace, dénature l'âme du lieu et le rend incompréhensible. Au visiteur de dépasser sa déception pour entrer dans une architecture d'une élégante évidence. Les maquettes, plus que les dessins forcément rébarbatifs pour le non initié, les photos, les meubles, les objets, les échantillons de matériaux le feront entrer dans la logique d'un art de bâtir où technique et esthétique se marient étroitement.
Le famille Perret, deux frères, était avant tout une entreprise de construction. Auguste, l'architecte, saura, grâce aux possibilités du béton armé que l'on découvre alors, créer une esthétique où la rigueur et l'austérité génèrent la beauté. Plus que la maison de le rue Franklin, qui intéressera surtout les spécialistes, l'histoire du théâtre des Champs-élysées (1911) permet de comprendre ce mariage de la technique et de l'art. À la fin de la première décennie du XXe siècle, un imprésario fait appel à l'architecte belge Van de Velde pour construire un théâtre sur un terrain qu'il vient d'acheter avenue Montaigne. Ce dernier livre un projet post art-nouveau impossible à réaliser sur un terrain trop exigu, il est fait appel à l'expertise de Perret. Celui-ci prévoit une grande grille en trois dimensions dans laquelle les différents éléments (salle à l'italienne, foyer, escalier, deux salles plus petites) viendront s'insérer. Van de Velde démissionnera quelques mois plus tard et Auguste Perret et R. Bouvard (architecte en titre) signeront finalement l'édifice. Le bâtiment qui paraît aujourd'hui très raffiné, choqua alors par son brutalisme : façade toute en lignes orthogonales, sans concession, avec pour seul décor les bas-reliefs de Bourdelle volontairement archaïques, utilisation de simples « poteaux » en guise de colonnes etc. Pour la petite histoire c'est là qu'eurent lieu les premières représentations du « Sacre du printemps ». La grille, ici exposée, où les éléments s'insèrent comme des tiroirs rend bien compte de l'élégante simplicité de la solution.
L'église du Raincy (1922-23) est de prime abord infiniment moins séduisante : son implantation le long d'une avenue sans dégagement ne la met pas en valeur, le gris du béton n'améliore pas les choses. Il faut rentrer dans l'édifice pour être conquis par ce vaste espace que clôturent d'immenses parois en résille transparente qui semblent flotter ; ici A. Perret a su aller jusqu'à la limite de la logique des bâtisseurs gothiques qui voulaient transformer les murs des églises en de grandes verrières lumineuses. Là, faisant de nécessité loi – il fallait faire économique -, il invente le béton brut de décoffrage.
Au Conseil économique et social, le visiteur admirera la grande salle hypostyle mais surtout l'escalier qui semble s'envoler en une arabesque aérienne, prouesse que seul le béton permet. Il remarquera aussi les « colonnes Perret » - qui évoquent les troncs des palmiers, d'autres plus irrévérencieux y ayant vu des pieds de table -, colonnes à la base étroite qui s'évasent au sommet en une résille prismatique. En fait cette forme, loin d'être un élément de décor gratuit, résulte d'un calcul précis des tensions auxquelles est soumis ce type de support. Il le réutilisera au Hâvre lors de la reconstruction. On remarquera l'épiderme de ces éléments où l'alternent lignes lisses et plages rugueuses.
Le grand chantier d'Auguste Perret à la fin de sa vie sera le Havre presque entièrement détruit au cours de la seconde guerre mondiale. S'il ne put faire ce qu'il désirait - le projet de séparer la circulation des piétons et celle des véhicules à moteurs sur deux niveaux fut recalé car trop révolutionnaire - il conçut une ville bâtie largement ouverte sur la mer scandée par deux hauts amers : la tour de l'hôtel de ville, véritable beffroi, et l'église-phare Saint-Joseph. Cette dernière, bâtie en collaboration avec l'architecte R. Audigier, est un des plus prodigieux bâtiment érigé après guerre : il faut rentrer dans l'édifice qui s'élève d'un seul jet jusqu'à plus de cent mètres de hauteur pour admirer la performance. Toute la beauté de l'édifice réside dans l'accord/contraste entre une structure à la vigueur brutale et la légèreté du réseau des claustras où filtre et joue une lumière colorée.
Si l'exposition du CESE présente bien le créateur, l'architecte, elle est plus succincte en ce qui concerne son environnement culturel. A. Perret fut l'ami de tant d'artistes, peintres sculpteurs, écrivains : Maurice Denis pour qui il travaillera et qu'il emploiera au théâtre des Champs-élysées, Théo Van Rysselberge qui le portraitura, sans oublier Bourdelle avec qui il voyagera. C'est un monde au modernisme bien tempéré, proche de ses convictions esthétiques, loin des excentricités et des provocations de ses contemporains. Un critique a parlé de Jansénisme à propos de son art, c'est peut-être le compliment auquel il fut le plus sensible.
Gilles Coyne
- Auguste Perret, Palais d'Iéna, Paris, siège du CESE, escalier © Benoît Fougeirol
- Auguste Perret, Palais d'Iéna, Paris, siège du CESE, salle Hypostyle © Benoît Fougeirol
- Le Havre, vue aérienne vers l'église Saint-Joseph © CNAM/SIAF/CAPA, archives d'architecture du XXe siècle/Auguste Perret/UFSE/SAIF
Auguste Perret
Huit chefs-d'œuvres!/?
Architectures du béton armé
27 novembre 2013 – 19 février 2014
Conseil économique et social
Palais d'Iéna, 75016 Paris.
Site internet : www.expositionperret.fr
horaires et tarifs : entrée libre, tous les jours de 11h à 18h ; fermeture exceptionnelle Le 25 décembre et le 1r janvier.