Expositions
Initiés du Bassin du Congo
C'est une des constantes des civilisations humaines : l'enfant, l'adolescent, avant d'atteindre l'âge et le statut d'adulte doit passer par un certain nombre d'étapes formatrices, étapes scandées de cérémonies, de fêtes, véritables « rites de passage », qui marquent son accès au monde des hommes. Que l'on songe, dans la France traditionnelle de naguère à la communion solennelle pour les Catholiques, au certificat d'études primaires, au service militaire pour les jeunes hommes... Les civilisations traditionnelles du bassin du Congo, auxquelles le musée Dapper à Paris consacre une belle exposition, ne dérogent pas à la loi commune bien que ce parcours prenne, bien évidemment, des formes différentes.
Le visiteur entre, comme il est d'usage au musée Dapper, dans une première salle où est exposée l'œuvre d'un artiste contemporain. Le choix s'est porté sur le Béninois Romuald Hazoumè ; le plasticien détourne de ses fonctions un objet très présent dans les villages et les quartiers populaires de villes africaines, le bidon de plastique, pour réinventer des masques, frères de ceux qui sont utilisés lors des cérémonies traditionnelles exposés plus loin. Il les réutilise, tel quels, usagés, sales, maculés, portant les stigmates d'une longue utilisation et les transforme à l'aide de plumes, de tissus, de déchets plastiques etc. C'est à la fois cocasse, d'un expressionnisme certain et inventif. Une tentative de marier tradition et modernité ? Une manière d'héroïser le quotidien ?
La dramaturgie de l'exposition vise à rendre aux pièces exceptionnelles exposées ici l'aura religieuses qui étaient la leur à l'origine : on entre dans des salles plongées dans une sourde lumière propice au recueillement, puis on chemine de vitrine en vitrine faiblement éclairées - sécurité et conservation obligent. Les objets – éléments de parure, masques, statues, meubles... -, surgissent ainsi que des apparitions mystérieuses animées d'une vie secrète, parfois carrément inquiétante, leur beauté et leur rareté ne doit cependant pas faire oublier leur signification profonde : ces œuvres, qu'aujourd'hui se disputent institutions et collectionneurs, servaient au déroulement de cérémonies initiatiques loin des regards profanes, et le public le sent bien qui adopte spontanément une attitude retenue. L'essentiel de l'exposition provient des collections du Musée royal de l'Afrique centrale de Tervuren à Bruxelles, fermé pour cause de rénovation. Une occasion unique est ainsi offerte aux Parisiens de découvrir quelques chefs-d'œuvre d'une des plus belles et des plus riches collections d'art africain au monde.
Initiés ? à la vérité, le terme possède deux acceptions dans ces régions. D'un côté il s'agit d'un enseignement que les jeunes gens d'une même génération devaient suivre pour entrer dans l'âge adulte - initiation obligatoire si l'on voulait participer à la vie du village, se marier... D'autre part, certains hommes ayant atteint leur maturité, désireux d'entrer une société secrète devaient eux aussi suivre un parcours éprouvant, parcours scandés d'étapes selon le grade que l'impétrant voulait atteindre. Il existait une formation de niveau transversal puisqu'elle intéressait toute une génération et une autre de niveau vertical pour les adultes soucieux d'atteindre un niveau de connaissance supérieur et le prestige qui en découlait.
L'initiation se déroulait, à l'abri des regards indiscrets – tant pour le secret qui était de rigueur que pour marquer la rupture avec la vie d'avant -. Elle avait lieu, loin du village dans un enclos entouré d'une haute clôture ; elle intéressait surtout les garçons, les filles faisant rarement l'objet d'une initiation. Les jeunes subissaient une série d'épreuves physiques et morales, destinées à tester leur endurance et leur habileté : humiliations, douleur (et l'on songera aux scarifications, à la circoncision, à l'excision... ), épreuves d'endurance, d'habileté, que double l'explicitation des mythes fondateurs de la communauté, son histoire, ses divinités, ses mythes, le dévoilement du sens profond des rites religieux.
Bien évidemment tout ceci faisait appel à un matériel varié : bijoux, coiffes, masques, statues... Parmi tant de pièces superbes mais qui n'étonnent plus, un objet très expressif, pour ne pas dire expressionniste, surprendra le non spécialiste : le masque, assez informe, birombirombi fait de plumes, de peaux, de becs et de pigments, utilisé chez les Nyanga, une petite ethnie du Nord Kivu, lors des rites marquant la circoncision. On imagine assez bien la terreur du jeune homme et de ses amis, s'ajoutant à une appréhension justifiée, quand ils doivent suivre le Kintubu - le circonciseur - vêtu de cet étrange couvre-chef jusqu'au Mufinda - le lieu de réclusion et de l'opération. Ils y resteront deux mois. Cela dit, au moment crucial, le chef se découvre, pour se recouvrir après. Cet objet baroque, inquiétant pour ne pas dire repoussant, s'insèrerait bien dans ce que le Centre Georges Pompidou appelait naguère « l'Informe » dans une exposition qui fit date.
Cet objet déroutant rappèle, au milieu de tant d'œuvres magnifiques à la géométrie et au synthétisme expressifs, que masques et statues dépouillés de tout ce qui les entourait - tissus, fibres, plumes, perles de verre, amulettes etc. - ont perdu une grande part de leur signification originelle. Heureusement quelques pièces complètes sont exposées ici : d'extraordinaires masques comme celui qu'enfilait comme une seconde peau l'officiant Luba, ou encore celui qu'utilisaient les Yaka noyés das une couronne de franges végétales ; la statue reliquaire Songuye avec ses colliers de perles, ses vêtements de peau, ses tresses végétales, sa corne en guise de coiffure. Leur grandeur barbare nous fait toucher la complexité de rituels qui faisaient aussi appel à la gestuelle corporelle, à la musique, aux chants, à la peintures en une sorte d'œuvre d'art totale.
Gilles Coyne
- Romuald Hazoumè, masque, cliché de l'auteur.
- Songye, statue nkishi, bois, corne, métal, perles de verre, fibres végétales, peaux, agglomérat rituel, pigments, Museen aan de Stroom, Anvers © MAS et Bart Huysmans (photographe).
- Nyanga, masque birombirombi, Plumes, peaux, becs et pigments, Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren, cliché de l'auteur.
- Yaka, masque tskedye, kholuka ou ndeemba, bois, fibres végétales et pigments, Wereldmuseum, Rotterdam, cliché de l'auteur.
Initiés, bassin du Congo
Jusqu'au 6 juillet 2014
Musée Dapper
35bis, rue Paul Valéry, 75116 Paris
- Tél. : 0145009175
- Internet : www.dapper.fr
- Horaires et tarifs : tous les jours sauf mardi et jeudi de 11H à 19h. ; tarif, 6€ ; tarif réduit, 4€ (séniors, familles nombreuses, enseignants, demandeurs d'emploi) ; gratuité pour les enseignants, les moins de 26 ans, les étudiants et le dernier mercredi du mois.
- Publication : Catalogue, sous la direction de Christiane Falgayrettes-Levreau, éditions Dapper, 272p., 39€.
- Animation culturelle : consulter le site du musée.