Expositions
Le Sidaner, le peintre des crépuscules
Il aimait cette heure paisible où le jour n'est plus tout à fait le jour, où la nuit n'est pas encore tombée, quand les formes s'estompent, se brouillent, les couleurs s'adoucissent, quand l'activité s'apaise, quand le silence tombe et qu'avec lui arrive la quiétude, le repos. Il était le peintre des crépuscules, moment mélancolique et poétique où l'on dit au revoir à la lumière tandis que l'on entre dans le mystère de l'ombre. Il n'y a rien de plus émouvant que ces maisons plongées dans l'obscurité où seule une fenêtre brille doucement. Faible lumignon qui trahit le foyer clôt, la pièce où l'on imagine la famille est réunie autour de la table, la bibliothèque où l'intellectuel lit, alors qu'alentour tout repose et s'apprête au sommeil. Le Sidaner (1862 - 1939) fut un peintre côté, connu, adulé, un artiste dont la carrière s'est déroulée pendant près de soixante ans harmo-nieusement, sans accroc. Quatre musées du Nord de la France, Le Touquet, étaples, Cambrai et Dunkerque ont eu l'heureuse idée de rendre hommage à cet artiste, né dans le Nord dont il ne s'est jamais tout à fait détaché, artiste qui n'a pas encore trouvé sa place dans l'histoire de l'art moderne français ; ils le font chacun privilégiant un aspect de son art. Le musée du Touquet-Paris-Plage, installé dans une magnifique villa des années trente, privilégie ses amitiés artistiques, la musée des Beaux-arts de Cambrai illustre le peintre de la douceur de vivre, celui de Dunkerque s'intéresse à ses années de jeunesse tandis que la Maison du port d'étaples est dédiée au peintre voyageur. Cela dit, que l'on se rassure, l'amateur n'aura pas à courir aux quatre coins de la région Nord/Pas-de-Calais pour avoir une idée de l'ensemble de sa production, chaque exposition étant un tout suffisamment varié pour qu'il puisse connaître ce maître attachant malgré quelques facilités auxquelles il n'a pas toujours su résister.
Le Sidaner trouve ses modèles essentiellement – même s'il se voulut peintre voyageur – dans son atelier, sa maison, son jardin, son village, les villes où il vécut. C'est un peintre intimiste, catégorie qui a pratiquement disparu aujourd'hui, qui trouve le meilleur de son inspiration dans son environnement immédiat : l'échappée sur le jardin à travers une porte dans l'appartement de Versailles, une fenêtre encombrée de pots de fleurs, le service à thé qui attend les invités, la table dans la cour de Gerberoy, sa maison de campagne, sa demeure préférée que domine - couve? Protège? - l'église médiévale... témoignages d'une vie quiète, faite de luxe calme (sans la volupté), de la tranquillité, de la paisible présence des choses familières. Ses toiles reprennent inlassablement des thèmes que l'on aurait tort de mépriser car ils forment la trame d'une existence heureuse. Elles sont les témoins d'une civilisation disparue, celle de la bourgeoisie de l'entre-deux-guerres qui avait ses limites certes mais qui avait aussi son charme ; ce fut un moment d'équilibre de la civilisation française que les événements tragiques de la guerre allaient balayer.
Le Sidaner est né à Port Louis dans l'île Maurice en 1862 ; à l'âge de dix ans il suit son père qui revient de France et s'installe à Dunkerque. C'est là qu'il poursuivra ses études et surtout fera ses premiers pas en peinture. À dix-huit ans il s'inscrit dans l'atelier de Cabanel à Paris et réussit l'année suivante le concours d'entrée à l'école nationale des Beaux-Arts de Paris. Après des débuts difficiles, il acquiert une notoriété qui lui assure une aisance certaine. Il fait partie des peintres, français comme étrangers, que la lumière fine de la Côte d'Opale inspire. Les exposition d'étaples et du Touquet pré-figurent d'ailleurs le futur musée sur cette école pratiquement inconnue en France, mais appréciée des Anglo-saxons, que le conseil général du Pas-de-Calais est en train de créer.
On ne s'étonnera pas de voir ce peintre discret commencer sa carrière par un épisode symboliste : La Bénédiction de la mer, La Communion in extremis, la Promenade des orphelines de par le choix des sujets et par leur traitement délicat baignent dans une ambiance mystique. Il se mesure au même moment aux grands formats, La bénédiction de la mer, dont seule une réduction est proposée ici, mesure 3m40 sur 5m40, l'Autel des Orphelines, vaste composition qui doit être restaurée pour le futur musée d'étaples est encore plus imposante. Il abandonnera assez rapidement ce registre.
Il adopte une facture pointilliste et à la différence de son ami Henri Martin – pointilliste lui aussi mais que les grandes surfaces n'intimidaient pas -, il se cantonne dans des formats plus modestes a dire vrai plus compatibles avec une vision intimiste du monde. Il s'éloigne dans le même mouvement d'une représentation humaine, qui se fait de plus en plus discrète au point de disparaître pratiquement ; une absence / présence ( car à qui est destiné ce service à thé? Qui vient de quitter cette table? Qui veille si tard?) fait le charme de bien des compositions et leur donne un poids et un mystère certain. Il a voyagé beaucoup à la recherche de nouveaux sujets, comme tant de peintres de sa génération, le sud de la France, la Bretagne, l'Italie lui serviront de modèles. Mais paradoxalement il peint peu les sites connus et il donne de ces lieux une vision légèrement décalée, et, lui qui recherchait la lumière du sud, il continue à peindre des paysages crépusculaires telles la Treille d'Isola Bella, ou une sombre Venise ; seuls quelques vues de la lagune ou le lumineux Soleil dans la maison à Villefranche-sur-mer font exception...
Si Paris connaissait de nombreuses révolutions, révolution des mœurs, révolution culturelle et artistique, Le Sidaner s'est volontairement placé en dehors de cette agitation. Est-ce une raison pour, à notre tour, le snober comme on le fit au lendemain de la seconde guerre mondiale?
Gilles Coyne
1 - Le canal à Venise, 1918, Musée des Beaux-Arts de Cambrai, © Droits réservés
2 - La promenade des orphelines, 1888, Musée des Beaux-Arts de Dunkerque © Droits réservés.
3 - Le Soleil dans la maison, Villefranche-sur-Mer, 1926, Paris, musée d'Orsay © Yves Le Sidaner
4 - Table bleue à Gerberoy, collection Singer Laren the Nethermand © Droits réservés
1 - Henri le Sidaner, Voyages d'études
21 mars – 22juin 2014
Maison départementale du Port d'étaples
1, boulevard de l'Impératrice
62630 étaples-sur-mer
Ouvert tous les jours, sauf le lundi et le jeudi, de 10h à 13h et de 14h à 18h. Entrée libre
2 – Henri Le Sidaner et ses amitiés artistiques
5 avril – 28 septembre 2014
Musée du Touquet-Paris-Plage
Angle de l'avenue du Golf et de l'avenue du Château
62520 Le Touquet-Paris-Plage
Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 14h à 18h et de 10h à 18h pendant les vacances scolaires.
Tarifs : 3,50€ et 2€
3 – Henri Le Sidaner et la douceur de vivre
15 mars – 8 juin 2014
Musée de Cambrai
15, rue de l'épée
59400 Cambrai
Ouvert du mercredi au dimanche de 10h à 12h et de 14h à 18h. Lundi et mardi réservés aux groupes.
Tarifs : 3,50€ et 2,50€
4 – Henri Le Sidaner, années de jeunesse
Musée des Beaux-Arts de Dunkerque
15 mars – 8 juin 2014
Place du Général de Gaulle
50.140 Dunkerque
Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10h à 12h15 et de 14h à 18h
Tarifs : 4,50€ et 3€
Publication : Yann Farinaux – Le Sidaner : Henri le Sidaner, paysages intimes. - 2013, Saint-Rémi-en-l'Eau, éditions Monelle Hayot, 304p., 39,50€.