Expositions
Niki de Saint Phalle (1930 – 2002)
Niki de Saint Phalle est surtout célèbre pour les « Nanas », de joyeuses drôlesses, géantes aux formes amples et arrondies, vivement colorées qui cabriolent, chahutent et paraissent s'amuser follement ; un cercle plus restreint connaît son engagement contre le sida par le charmant petit livre illustré de dessins faussement naïfs, écrit pour ses petits enfants et destiné à contrer les idées perverses que l'on avait au moment le plus dramatique de l'épidémie ; d'autres enfin, plus au fait de l'art contemporain, se rappèleront le scandale des œuvres exécutées à coups de carabines dans des pots de peinture ; le grand public français et les touristes à Paris, quant à eux, auront en tête la fontaine Stravinsky entre le centre Pompidou et l'église Saint Merry, fontaine réalisée avec son second mari, le plasticien suisse Jean Tinguely. L'exposition, quasi exhaustive, au grand Palais à Paris, qui lui est consacrée vient mettre de l'ordre dans ces images un peu éparses et démontrent la cohérence de ce parcours exemplaire où la conviction marche de pair avec la création.
Catherine, Marie-Agnès Fal de Saint Phalle naît le 29 octobre 1930 à Neuilly ; son père était banquier et sa mère américaine. Elle effectue sa scolarité dans des institution religieuses assez strictes. Un parcours lisse et convenu, pour une enfant de sa classe sociale, qui sera troublé par ce que notre jargon actuel appèle les « attitudes inappropriées » de son père quand elle avait onze ans, un viol pour parler crument – ce qui, au passage, prouve une fois de plus que le problème n'existe pas seulement dans le tiers monde comme on le pense généralement. Elle en sera durablement marquée et il lui faudra de nombreuses années avant qu'elle puisse en parler. Ce drame ainsi que le souvenir d'une éducation rigoriste, seront le substrat d'une révolte très violente contre l'agressivité d'un monde tel qu'il allait alors et tel qu'il va encore aujourd'hui. Elle va décliner ce haut le cœur en performances, en films, en dessins, en peinture et en sculpture.
En tant qu'artiste elle fut une autodidacte, et elle ne commença à pratiquer qu'assez tard. Autodidacte? N'oublions pas le milieu elle où évoluait en compagnie de son premier mari américain un poète qui fit partie de l'Oulipo quand ils se sont installés à Paris ; elle était familière des intelligentsias new-yorkaise et parisienne : les modèles étaient là, à portée de main... c'étaient ses amis, ses relations. Les premières créations qui occupent la première salle ne sont pas sans rappeler ce que faisait Jean Dubuffet lequel d'ailleurs ne s'y est pas trompé, ou Jackson Pollock.
Les organisateurs de l'exposition ont fait le choix d'une approche thématique et non chronologique ce qui ne va pas sans entrainer quelques incohérences : les tirs à la cabine sont, pour la plupart, exposées en fin de parcours alors qu'il s'agit d'un acte fondateur par lesquels l'artiste exorcise ses démons, pulvérise ses haines. Enfin son long compagnonnage artistique avec Jean Tinguely est à peine évoqué ici, ce qui est quand même une grave lacune : ils ont si souvent œuvré de concert... Enfin on pourra regretter l'absence de « Hon » la gigantesque Nana édifiée à Stockholm assise, jambes écartées, dans laquelle le visiteur était invité à rentrer par le vagin béant ; sans doute était-ce trop difficile à réaliser. Les quelques photos exposées ici ne sauraient remplacer le choc que devait provoquer cette énorme statue et surtout le thème du vagin béant dans lequel il fallait s'engouffrer...
Elle effectua son premier tir dans la cour de l'atelier de Jean Tinguely passage Ronsin à Paris, en 1961 : elle tire symboliquement sur tout ce qui faillit la détruire, et, par cet acte libérateur, elle fait table rase de l'art tel qu'on le conçoit habituellement. Elle tire sur le père violeur, sur les préjugés et les convenances, sur un monde bipolaire qu'elle abhorre, elle tire sur l'art pour reconstruire sur ces ruines. Selon elle, les artistes, même les plus audacieux, ne sont que les « chiens de garde du capitalisme », une caution intellectuelle et esthétique offerte au marché (cela a-t-il tellement changé ?) Elle redonne vie à la célèbre formule choc que Paul Nizan, au début du XXe siècle appliquait aux philosophes pour les démasquer, eux qui se pensaient volontiers en intellectuels détachés des contingences du monde réel... Grand tir – Séance galerie J (1961) est typique de cette production : C'est une sorte de bas-relief de plâtre sur armature de grillage dans lequel on été incrusté différents objets, masques, jouets etc., et aussi des poches de couleurs qui vont éclater et dégouliner. Le résultat est tout ce que l'esthétique, même la plus indulgente, déteste ; le relief n'en est que plus fort. En un acte cathartique, Niki de Saint Phalle, transforme l'œuvre d'art, objet de délectation, en geste de révolte. Elle redonne du sens à une activité artistique qui bien souvent se perdait – et se perd encore – dans des recherches formelles.
On devine une rage identique dans « La Mariée » (ou le rêve de Madame Haversham ou quand vous aimez quelqu'un, 1963) : une sorte de mannequin géant, aux épaules de déménageur, courbé drapé dans une robe blanche, voilé de tulle et tenant dans ses bras un bouquet de mariée dérisoire fait de baigneurs en celluloïd... Plus lourdement symbolique encore la « Leto ou la Crucifixion » énorme ouvrage de dame en forme de prostituée arborant porte jarretelle et bas noirs, la toison pubienne d'une exubérance obscène. Corps disproportionné par rapport à la petite tête, c'est un violent pamphlet contre l'image la femme, telle qu'elle existait alors et telle qu'elle existe encore dans l'esprit de beaucoup de nos contemporains.
Niki de Saint Phale avait la volonté de s'adresser à tous quelle que soit leur culture artistique d'où l'aspect ludique et joyeusement coloré d'une grande partie de sa production : les fameuses « Nanas » ces géantes peintes de couleurs vives, joueuses, amusantes, douces, maternelles, les dragons en mosaïque de miroir, les serpents multicolores, les crânes empruntés au carnaval mexicain, les totems inspirés des peuples du Nord de l'Amérique, les palais de Dame Tartine qu'elle décline en temple de la sagesse, en jardins des merveilles, en constructions baroques inutiles (comme si le plaisir n'était pas utile). Derrière tout cela se cache une forte conviction féministe dont il n'est pas sur qu'elle touche le grand public : « Le Communisme et le capitalisme ont échoué. Je pense qu'est venu le temps d'une nouvelle société matriarcale. Vous croyez que les gens continueraient à mourir de faim si les femme s'en mêlaient ? Ces femmes qui mettent au monde ont cette fonction de donner vie. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'elles pourraient faire un monde dans lequel je serais heureuse de vivre. »
Le Grand Palais retrace le parcours de cette femme hors norme, qui eut le courage de choisir l'aventure esthétique aux dépends d'une vie familiale, qui eut l'audace de s'attaquer à des ouvrages de grands formats, à des constructions dont on crédite plutôt les hommes. Une femme qui eut surtout le courage de vivre ses rêves jusqu'au bout, avec générosité et sans regret. Merci !
Gilles Coyne
Photos de l'auteur :
- Arbre serpents-fontaine, 1992, 260x213x140, Polyester, peinture polyuréthane, vernis, or., collection particulière.
- Nana, danseuse noire (grande danseuse Négresse), vers 1968)230x150x60 cm, collection particulière ; Nana jambe en l'air, vers 1966, 190x135x90 cm., collection particulière ; Nana noire Upside down, 1965/66, 135x105x108cm., collection particulière.
- Head of States (Study for King Kong) printemps 1963, peinture et masques sur panneau de bois, 122,5x198x41 cm., Sprengel Museum, Hanovre, donation de l'artiste en 2000.
- La Toilette, 1978, femme: 169x150x100 cm., table 126x92x80 cm., collection MAMAC, Nice, donation de l'artiste en 2001.
Niki de Saint Phalle
17, septembre 2014 – 2 février 2015
Galeries nationales du Grand Palais
Entrée Champs-élysées
- internet : www.grandpalais.fr
- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 10h à 22h, fermeture à 20h les dimanches et lundis ; 13€, tarif réduit 9€ (16-25 ans, demandeurs d'emploi, familles nombreuses, gratuité pour les moins de 16 ans.
- Publications : Catalogue de l'exposition, 368p., 390 ill., 50€ ; album de l'exposition, Camille Moreau : Nanas, mères, déesses, les femmes de Niki de Saint Phalle, 48 p., 40 ill., 10€ ; Niki de Saint Phalle, l'expo, 352p., 220 ill., 12€ ; Lucia Pesapane : Le Petit dictionnaire de Niki de Saint Phalle en 49 symboles, 128p., 60 ill., 12€.
- Activités culturelles : Visites guidées, visites conférences, visites ateliers, visites et activités en famille, films, conférences, consulter le site de l'exposition.