Expositions

 

 

 

Hokusaï (1760 – 1849)

 

 

 

 

 

« Sous la vague au large de Kanagawa » de la série des trente –six vues du mont Fuji, plus connue sous le nom simplifié de « La Vague » est devenu une icône aujourd’hui. Tout le monde l’a plus ou moins vue une fois et n’a pu être qu’impressionné par la force expressive de l’image. Elle représente une vague puissante qui s’apprête à tomber sur de frêles esquifs pilotés par de petits bonshommes. Elle a été utilisée et réutilisée dans tous les domaines possibles et imaginables, qui vont de la publicité à la bande dessinée (voir un regard, une image) - voir un regard une image.

 

hokusa 3

L’œuvre est un des moments forts de l’exposition consacrée à Hokusaï (1760 – 1849), le fou de dessin comme il se décrivait lui-même, qui a été organisée par le grand Palais. Près de cinq cents pièces, de la plus prestigieuse à la plus modeste, sont offertes aux visiteurs, dessins, grandes peintures, gravures sur bois. Cela dit, on peut se demander si les vastes salles aux hauts plafonds du Gand Palais offrent des conditions idéales pour la découverte d’un art aussi intimiste. Les décorateurs ont eu beau multiplier les espaces d’expositions, fragmenter le parcours, il n’en demeure pas moins que ces pièces faites pour la délectation de l’amateur dans son cabinet sont un peu perdues ici.

hokusa 6L’artiste dont les débuts sont assez obscurs a vécu dans la seconde moitié de ce que l’on a appelé la période Edo du Japon (1603 -1868). Une période de calme pour le pays après une instabilité génératrice de guerres civiles qui avaient duré des siècles. Le Japon se ferme alors aux influences étrangères, seuls quelques marchands, Hollandais et Chinois, ont le droit de commercer dans des ports étroitement surveillés. L’économie se développe en quasi autarcie ce qui ne va pas sans entrainer troubles et famines (1782 – 100.000 morts) ; malgré tout une civilisation plus aimable voit le jour. La production d’objets et d’œuvres d’art prospère, dont peintures, gravures et dessins consacrés aux charmes de la vie quotidienne et aussi au « monde flottant » celui des théâtres, des maisons de thé, des courtisanes. Ces œuvres n’étaient pas très prisées des Japonais qui ne voyaient en elles que des produits de consommation courante - on en a même retrouvé utilisées comme emballage dans les caisses de porcelaines et autres objets d’exportation ; ce sont les esthètes occidentaux qui initieront les Japonais au raffinement de cet art. On a à juste titre signalé l’influence des artistes japonais sur les créateurs européens de la seconde partie du XIXe siècle : leurs cadrages insolites, leur synthétisme, leur expressivité ont profondément modifié le regard des artistes et des amateurs ; en revanche on sait moins que les productions de l’Occident, autorisées d’importation à partir de 1720, on influencé le Japon. Hokusaï est l’un des artistes qui ont trouvé dans ces images insolites pour lui et ses contemporains une source de renouvellement et d’approfondissement de son art. Plus que tout autre artiste de sa génération, il utilise, les règles de la perspective pour simuler de façon convaincante l’espace (c’est sans doute une des raisons de son succès auprès du public occidental). Le Fossé d’Ushigafuchi à Kudanzaka, entre 1804 et 1807, est très caractéristique à cet égard avec le raccourci du bas-côté de la route montante, les plans suggérant la profondeur des lointains, les personnages décroissant en fonction de l’éloignement ; ou encore le chemin sur les digues qui serpente dans la gravure Ejiri dans la province de Sunshu.

Hokusaï est l’auteur de milliers de dessins, gravures, livres illustrés et peintures grandes ou plus intimistes. Ce fut un artiste inventif qui sut parfaitement s’adapter aux formats des œuvres depuis les grands kakémonos destinés à une riche clientèle aux gravures plus petites à usage modeste : emballages de gâteaux par exemple, découpages pour enfants etc. Pour les kakémonos, ces œuvres en rouleau à sujets « nobles », sa facture se fait plus large, plus léchée, il modèle les formes, tandis que pour les petits sujets plus spontanés le trait se fait hachuré, tremblé comme bousculé par l’excitation de la création. C’est un merveilleux observateur du monde ; tout l’intéresse, les charmantes femmes plus ou moins galantes, les guerriers nobles, les paysans, les artisans, les colporteurs ; les animaux, tous les animaux (que ses grenouilles sont sympathiques !), depuis les grands fauves jusqu’au plus misérable insecte, (qu’il réunit souvent en des saynètes amusantes) ; les objets de la vie quotidienne dont avec le poète on peut se demander s’ils n'ont pas une âme. Tout le Japon de l’époque est là magnifiquement illustré.

 

hokusa 5

hokusa 7Le visiteur admirera, outre l'extraordinaire fécondité du maître, la virtuosité et la sureté de son trait comme la beauté et l'éclat de ses couleurs. Hokusaï travaille rapidement et frappe toujours juste. Il s'adapte au médium : pour les gravures sur bois il synthétise la composition en se cantonnant à l'essentiel, son trait se fait économe, les couleurs, franches, varient en intensité grâce à un travail direct sur la planche : chaque impression devient ainsi unique. Pour les peintures, le travail du pinceau par de subtiles variations de leur intensité fait vibrer les couleurs (voir le Coq). Enfin ses croquis, d'une saveur inégalée et d'une vigueur étonnante par l'emploi rude du bambou, vont là aussi à l'essentiel, et sont très séduisants – il y en a peu hélas dans l'exposition. Enfin ses lavis sont d'une infinie poésie et donnent à rêver... voir les quelques paysages brumeux exposés ici.

On n'insistera jamais assez sur le profond humanisme d’un homme qui passait pour irascible auprès de ses contemporains. Sa production allie l’humour à le tendresse – que ce soient un pêcheur hirsute en équilibre instable sur son rocher, des carpes dans une panière prêtes à être cuisinées, au regard presque humain, de l’oiseau sur la branche petite boule de plume et de tendresse, un coq, une poule et des poussins véritable portrait familial, ou encore des fleurs représentées avec virtuosité, les arbres... Le monde Hokusaï est un monde familier, dynamique et sympathique abordé avec un regard plein de bonhommie et d’indulgence : même la pluie ou un coup de vent dispersant chapeaux et feuilles d’un lettré font sourire sans méchanceté ; les féroces guerriers – dont on sait par ailleurs la réelle cruauté - ont beau froncer leurs sourcils broussailleux et rouler des yeux furieux, on a beaucoup de mal à les prendre au sérieux, quant aux tigres ils ressemblent à de gros chats. On n’aura garde d’oublier une veine fantastique elle-même plus curieuse qu'effrayante. Les Japonais croyaient aux esprits plus ou moins bien intentionnés et étaient friands d’histoires de fantômes, de dragons, de créatures surnaturelles, que le maître a portraiturées avec une aisance et un humanité égales : le Dragon dans les nuées avec ses grosses moustaches intriguera plus qu'il ne terrorisera et que dire de l'air triste de « Spectre d'Oiwa-san » ?

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Katsushika Hokusaï, Choshi dans la province de Soshu, série, Mille images de la mer, 1830/34, Paris, Musée national des arts asiatiques - Guimet © Rmn-Grand Palais / Thierry Olivier

Katsushika Hokusaï, Tigre regardant la lune, Kakelono, (1844) © Katsushika Hokusaï Musuem of Art

Katsushika Hokusaï, Album de peinture, (1808-1809), Londres Victoria and Albert Museum © Vistoria and Albert Museum

Katsushika Hokusaï, Dragon dans les nuées, (1849), Paris, Musée national des arts asiatiques-Guimet, © Musée Guimet, dist. Rmn-Grand-Palais / Thierry Olivier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1r octobre 2014 – 18 janvier 2015 (relâche entre le 21 et le 30 novembre)

Galeries nationales du Grand Palais

Avenue Georges Clemenceau, Paris

- Téléphone : 01 44 13 17 17

- internet : www.grandpalais.fr

- Horaires et prix : tous les jours sauf mardi ; lundi, mercredi, jeudi et vendredi de 10h à 22h, samedi de 9H à 22h, dimanche de 9h à 20h. Pour les vacances de la Toussaint et de Noël ouvertes de 9h à 22h. Le 25 décembre, fermeture. Tarif normal 13€, tarif réduit 9,50€ (16-25 ans, demandeurs d'emploi, famille nombreuses.)

- Publications : Catalogue, 416p., 590 ill., 50€ ; Hokusaï, l'expo, 368p., 200 ill., 18,50€ ; Laure Dalon : Le petit dictionnaire Hokusaï en 48 mots, 12€ ; Béatrice Alemagna et Olivier Charpentier : Hokusaï et le cadeau de la mer, 32p., 13 il., 14€ ; Laure Dalon : Hokusaï, Hors série Découvertes Gallimard, 8 modules, 40 ill., 8,90€ ; audioguides, 3,59€.

- Film : Visite à Hokusaï, par Jean-Pierre Limosin, 52 minutes, 19,95€ ; DVD-vidéo Edition © 2014 – RMN / Arte, Zadig productions

Programmation culturelle : rencontres du mercredi à 18h30, entrée libre ; les films du vendredi les 12, 19 décembre et 9 janvier ; concerts à la Maison de la culture du Japon, 01 44 37 95 95. Consulter aussi le site du Grand Palais.