Expositions
Splendeur des Han, essor de l'empire céleste
Les musées de province chinois à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'ouverture des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la République française ont prêté au musée Guimet de Paris de nombreux chefs-d'œuvre qui pour illustrent l'une des périodes les plus fécondes de la longue et tumultueuse histoire de ce pays : celle des Han. Il y a là quelques pièces exceptionnelles que l'on ne reverra pas de sitôt à Paris.
Après la brève, mais féroce, première dynastie des Qin, qui devait unifier cet immense pays, Liu Bang, seul empereur chinois d'origine paysanne, fonde celle des Han en 206 av. J.-C. Ce sera une des périodes les plus heureuses de l'histoire de la Chine. Ce fut aussi un des moments fondateurs de la civilisation de ce pays. Les Han devaient régner jusqu'en 220 apr. J.-C, nonobstant une interruption de quelques dizaines d'années aux alentours de notre ère. La Chine comptait alors entre cinquante et soixante millions d'habitants ; c'est à cette époque que se mit en place la fameuse route de la soie qui reliait le monde méditerranéen au monde chinois, route qui permit de nombreux échanges économiques, culturels et religieux. Le superbe fragment de tissus peint découvert dans la région ouïgoure du Xinjiang et représentant un personnage aurait très bien pu être être originaire des bords de la Méditerranée.
Notre connaissance de la civilisation de cette époque a été renouvelée depuis le milieu du XXe siècle par la découverte de nombreuses tombes princières qui comportaient tout le nécessaire à la vie d'outre-tombe de leur propriétaire. En effet, bien que les Han aient, dans un premier temps, administré directement cet immense pays et quelques royaumes vassaux, ils étaient bien obligés de par l'immensité du pays de déléguer leurs pouvoirs à des représentants. Le Costume funéraire d'un de ces grands personnages est impressionnant. Une sorte de mannequin fait milliers de petites plaques de jade assemblées par des fils d'or épouse les formes du corps ; cela évoque irrésistiblement un robot de science fiction ou quelque idole cubiste.
Il y a là des objets somptueux de bronze, d'or, de jade mais aussi des productions plus modestes en bois et en céramique qui retracent les multiples aspects de la vie quotidienne : si la vie de cour avec ses concubines, ses danseuses, ses musiciens, ses acrobates, enfin tout un monde de la distractions et du plaisir jeux, est privilégiée, l'univers plus modeste des paysans, des artisans et des serviteurs n'est pas absent lui non plus. On remarquera le bœuf en bois tirant sa charrue, ou encore le coq et la poule en argile vernissée, les chiens extrêmement réalistes. Ils nous rappèlent surtout que cette civilisation brillante reposait essentiellement sur la dure exploitation d'une paysannerie nombreuse. Les modèles réduits de fermes et de greniers si détaillés donnent l'idée des exploitations agricoles qui émaillaient alors le paysage.
Deux rangs de soldats au garde-à-vous accueille le visiteur, certes cette armée de terre cuite n'est pas aussi somptueuse que celle, grandeur nature, de l'empereur Qin dont on vit plusieurs spécimens il y a quelques vingt ans au Grand Palais, mais elle est quand même impressionnante. Elle nous rappèle que cet âge d'or fut en fait une période paix relative, les révoltes, les guerres avec les « barbares » de l'Asie centrale n'ont pratiquement jamais cessé, pour ne pas parler des catastrophes naturelles.
L'art des Han est un art synthétique où la réalité est représentée de manière épurée ; les formes simplifiées, parfois à l'extrême, peuvent devenir de simples signes. La courtisane agenouillée qui s'incline tout en levant ses bras perdus dans les grandes manches de sa robe, silhouette faite d'ondes, la musicienne au geste suspendu car elle a perdu sa harpe sont caractéristiques de cette économie de moyens ou encore la danseuse, les acrobates, dont les formes stylisées en font quasiment des idéogrammes. La terre cuite favorise une plasticité de formes si moderne à nos yeux mais on retrouve un laconisme identique quoique plus rude, le matériau étant moins facile à travailler, dans les figurines de bois : le bœuf dont il a été parlé plus haut, les Joueurs de liubo et d'autres figurines possèdent une grande force en dépit de leur taille réduite. C'est un art sobre, austère, puissant, même dans ses productions les plus modestes, nous sommes loin des « chinoiseries » et de la surabondance décorative excessive que l'on prête d'habitude à la Chine.
Un thème domine les autres, le cheval. Animal de prestige, signe de la noblesse de son pro-priétaire, arme de guerre irremplaçable quand l'en-nemi est le nomade menaçant au-delà des frontières occidentales, le cheval faisait l'objet de tous les soins et se devait d'accompagner son maître dans la tombe. Si dans les temps anciens on le sacrifiait, coutume dispen-dieuse, on se contente désormais d'une simple représentation qui l'accompagnera. Les artistes chinois ont admirablement su en rendre la beauté de cette race petite, sobre, solide, nerveuse et surtout d'une élégance robuste. Si les huit cavaliers et leurs montures qui accueillent le visiteurs sont un peu patauds - on demande aux militaires en priorité force et solidité - la série de chars en bronze est d'une toute autre qualité. On remarquera l'expressivité de la tête, le rendu nerveux des yeux et des naseaux des animaux, leur énergie ramassée, comme s'ils étaient prêts à bondir bien qu'ils fussent à l'arrêt. On remarquera surtout l'extrême concision des moyens utilisés par les bronziers chinois de l'époque : rien de trop, rien de moins. Où est l'exubérance des bronzes primitifs ?
Le Nomade des grands espaces désertiques, l'ennemi, bientôt le tributaire, ne joua pas uniquement le rôle répulsif d'adversaire, il fut aussi un partenaire – ne fut-ce que pour le commerce des chevaux -, un modèle ; l'art des steppes a fortement influencé la production chinoise de cette époque : la plaque en forme de tigre en argent, la boucle de ceinture en or, les deux félins en bronze, or et agate portent la marque de cette empreinte. Le grouillement des formes entrelacées d'un combat de fauves, le rendu sinueux d'un tigre, la polychromie de certains bijoux, font contraste. Objets de cour, de prestige, objets rares et précieux, de petites taille, ils échappent à la retenue des autres œuvres et évoquent la splendeur évanouie de ces cours princières.
Au moment de quitter une belle manifestation, on regrettera quand même la quasi absence de l'art majeur de tout grand empire, l'architecture : ce ne sont pas les quelques maquettes ou les deux grands animaux fabuleux qui gardent l'entrée de l'exposition qui calmeront notre frustration. C'est dommage. D'ailleurs quelle idée de présenter une grande civilisation impériale dans un espace si confidentiel ? Les vastes salles du grand Palais n'auraient-elles pas mieux convenu ?
Gilles Coyne
- élément de bouche de ceinture, or, 13,3 sur 1,6 cm. Han occidentaux (206 av. - 9 apr. J.-C.), musée de Xuzhou, province de Jiangsu © Art Exhibition China / Musée de Xuzhou
- Figure féminine, terre cuite, 34,4 sur 16,1 cm., Han occidentaux (206 av. - 9 apr. J.-C.), Musée du Yangling des Han © Art Exhibition Chine / Musée du Yangling des Han
- Costume funéraire, Jade, fils d'or, 176 sur 68 cm., Han occidentaux (206 av. - 9 apr. J.-C.), musée de Xuzhou, province de Jiangsu © Art Exhibition China / Musée de Xuzhou, photo de l'auteur
- Attelage de la garde d'honneur, Han orientaux (25 à 220 ap. J._C.), bronze, H. 44cm., L. 52 cm., l. 39,5 cm., musée provincial de Gansu © Art Exhibition China / Musée provincial de Gansu
- Figurines de musiciens, bois et bambou, H. 31cm., Han occidentaux (206 av. - 9 apr. J.-C.), musée provincial du Hunan, province de Jiangsu © Art Exhibition China / Musée provincial du Hunan
Splendeur des Han, essor de l'empire céleste
22 octobre 2014 – 1er mars 2015
Musée national des arts asiatiques – Guimet
6, place d'Iéna, 75116 Paris
- Tél. : 01 56 52 53 00
- Internet : www.guimet.fr
- Horaires et tarifs : ouvert tous les jours de 10h à 18h ; veille du 25 décembre et du premier janvier, fermeture à 16h45 ; fermé le 25 décembre et le 1er janvier. Tarifs, 9€50 et 7€, le billet d'entrée donne droit à la visite du musée ; gratuité pour les moins de 18 ans, les demandeurs d'emploi, les titulaires du minimum vieillesse, des mutilés de guerre et des invalides civile ainsi que leurs accompagnateurs ; tarif réduit pour lkes jeunes de 18 à 25 ans, les enseignants en activité.
- Publications : Catalogue sous la direction de éric Lefrebvre et de Huei-Chung Tsao commissaires de l'exposition, coédition Flammarion / Musée Guimet, 256p., 190 illustrations, 42 €.
- Animation culturelles : outre les visites conférences et les ateliers, une programmation de films et de conférences est prévue, consulter le site du musée.