Expositions
Viollet-le-Duc
Les visions d'un architecte
La Cité de l'architecture et du Patrimoine, ancien musée des Monuments français revu et augmenté pour faire face à ses missions actuelles propose un portrait aussi global que passionnant de Viollet-le-Duc. Plans, dessins, maquettes, photos, meubles décrivent la personnalité d'un des personnages les plus originaux et les plus accomplis du XIXe siècle, un personnage qui, paradoxalement, tout en ayant voué sa vie à la connaissance intime et à la résurrection du passé fit œuvre de précurseur et explora les voies qui allaient permettre l'éclosion de l'architecture moderne.
Viollet-le-Duc est né, il y a deux cents ans, dans une famille cultivée qui sut favoriser ses dons évidents et en permettre l'éclosion. Entre autres son oncle étienne-Jean Delécluze, élève de David, journaliste et critique joua un rôle essentiel dans l'éclosion de son talent. Dans le salon de ce dernier il rencontra l'élite de l'époque : Sainte-Beuve, Stendhal, Mérimée qui le sensibilisa à la notion de patrimoine.
Dessinateur précoce, ses premiers essais montrent une étonnante maturité, le roi Louis-Philippe, sa famille était orléaniste et son père travaillait pour la maison du roi, ne lui commanda-t-il pas une grande aquarelle, exposée ici ? Le banquet des Dames a été exécuté alors qu'il avait seulement dix-huit ans, une grande composition, au fini impeccable et minutieux où il sait garder l'équilibre entre les détails nombreux et savoureux et le sens de la composition générale. Le jeune homme a su rendre l'atmosphère un peu brumeuse d'une immense salle éclairée par des forêts de bougies, le luxe des toilettes, l'animation d'une foule élégante. La légende veut que ce dessin lui fut payé cinq mille francs et que cet argent aurait financé son premier voyage en Italie. En fait il était déjà dans ce pays quand il en reçut le cinquième : si le Roi était généreux, son administration était, elle, plus pingre.
Il a beaucoup dessiné tout au long de sa vie et l'amateur de dessin trouvera ici de quoi satisfaire sa passion. Reportages de ses premiers voyages en France en compagnie de l'oncle Delécluze, empreints d'un romantisme certain, puis plus tard seul en Normandie et dans les Pyrénées et enfin lors de ses deux circuits en Italie. Là il étudie les ruines grecques ou romaines certes mais aussi les monuments médiévaux qui alors intéressaient peu de monde, les paysages d'un pays encore intact, les types rencontrés au cours de ces circuits, même les formations géologiques du cratère de l'Etna décrites dans une aquarelle aux coloris intenses. Ces dessins depuis le plus petit croquis humoristiques – cela se fait peu, il avait un véritable talent de caricaturiste -, la notation spontanée, jusqu'à la plus grande composition qui a parfois demandé des journées de travail, allient le trait précis et objectif de l'architecte, à la sensibilité du poète, et aussi au regard analytique du chercheur. Voir à ce sujet la grande vue du transept de la cathédrale de Sienne au rendu surréel, ou encore les reconstitutions du Colisée ou de théâtre de Taormina.
L'essentiel de l'exposition est consacré à la carrière en tant qu'architecte des Monuments historiques. Il rentra dans cette administration alors balbutiante, grâce à un ami de la famille, Prosper Mérimée, le premier inspecteurs des monuments historiques. Comme lui et souvent en sa compagnie, pendant des années il a sillonné la France. Une France sans Chemins de fer, sans grands chemins, souvent sans hôtellerie digne de ce nom, un véritable apostolat... Il est de bon ton de critiquer parfois ses restaurations excessives mais il ne faut pas oublier qu'à l'époque on partait de rien ou presque, qu'il n'y avait pas de théorie sur la sauvegarde des bâtiments anciens. Si par exemple à Vezelay, son premier chantier, son travail a pu paraître désinvolte, il ne faut pas oublier qu'il a sauvé ce chef-d'œuvre qui sans lui se serait effondré ; son travail s'appuyait sur une étude minutieuse du monument et une connaissance du moyen âge sans égale. Sa culture était prodigieuse en ce qui concerne cette époque de l'art français. Les organisateurs, plutôt que de s'éparpiller en traitant ses différents chantiers, ont fait le choix de n'aborder que quelques thèmes : La Saint Chapelle (le chantier formateur), Notre Dame de Paris... Il faut étayer, reconstruire et bien souvent remplacer : il est partout. Non seulement il s'occupe de la maçonnerie, mais aussi de la décoration : la sculpture, les peintures murales, les vitraux, le mobilier : on admirera les reliquaires rutilants, les grilles, et surtout le chandelier pascal et l'immense lutrin de Notre Dame, interprétations virtuoses de modèles qui parfois n'existaient pas à l'époque.
La restauration du château de Pierrefonds occupe une place un peu à part : certes, il restaure les tours et les courtines, à la demande expresse de Napoléon III, mais il crée de toutes pièces un palais médiéval qui n'a plus grand chose à voir avec ce qui se faisait en ces temps lointains. Les architectes de Dysneyland ne s'y sont pas trompés qui s'en sont inspirés pour le château de la Belle au bois dormant. Création solide mais bizarrement onirique, voire fantastique avec ses multiples détails insolites Pierrefonds appartient à cette série de rêves architecturaux que font édifier, souverains et milliardaires un peu partout en Europe. Il faut les meubler, et l'on voit se concevoir d'incroyables cabinets, chaises fauteuils à prétention archéologiques; Ici, in canapé rembourré dessiné par Viollet-le-Duc est une curiosité typique de cette « Gothic-mania »...
Viollet-le-Duc avait une conception intime du moyen âge, quasi charnelle. Mais ce savoir n'était pas tourné vers le passé paradoxalement, il irriguait une pensée architecturale novatrice. L'étude de la structure des édifices gothiques l'ont conduit à imaginer des bâtiments de pierre et de métal basés sur l'opposition dynamique des lignes de force qui préfigure l'architecture contemporaine : voir l'étrange maquette d'une salle couverte de voûtains retenus par des tirants de fonte. De même son travail décoratif pour églises, châteaux et cathédrales où il utilise largement la flore de notre pays annonce l'art nouveau. Il fit aussi un gros travail pédagogiques en publiant son fameux Dictionnaire raisonné de l'architecture et en étant à l'origine de ce qui allait devenir le Musée des Monuments français pour mettre à la disposition des créateurs des échantillons de ce qui se faisait autrefois. Son zèle s'étend jusqu'à la jeunesse : il écrit pour les adolescents une série de livres destinés à les sensibiliser aux problèmes de la construction et à ceux de l'esthétique. Il faut héla déplorer dans cette dernière production des relents de racisme et d'antisémitisme, courants à l'époque.
Gilles Coyne
- Cratère de l'Etna en Sicile, 11 juin 1836, dessin aquarelle, gouache, mine de plomb. Charenton-le-Pont, médiathèque de l'architecture et du patrimoine, 1996/083 - 51 © Ministère de la culture, dist. RMN/Grand Palais
- Intérieur de la cathédrale de Sienne, aquarelle, mine de plomb, octobre 1836, Charenton-le-Pont, médiathèque de l'architecture et du patrimoine, 1996/083 - 87 © Ministère de la culture, dist. RMN/Grand Palais
- Lettre de Viollet-le-Duc à son père (détail), 28 novembre 1836, manuscrit, encre et lavis, Charenton-le-Pont, médiathèque de l'architecture et du patrimoine, 2022/024 - 51 © Ministère de la culture, dist. RMN/Grand Palais
- Cheminée de la chambre de l'Empereur au premier étage de la tour de César au château de Pierrefonds, aquarelle d'après les dessins d'Eugène Viollet-le-Duc (Maurice Ouradou), 1883, Charenton-le-Pont, médiathèque de l'architecture et du patrimoine, 0082/060 - 59691 © Ministère de la culture, dist. RMN/Grand Palais
Viollet-le-Duc, les visions d'un architectes
20 novembre 2015 – 9 mars 2015
Cité de l'architecture & du patrimoine
Galerie des expositions temporaires
Palais de Chaillot, 1, place du Trocadéro, 76016 Paris
internet : www.citechaillot.fr
Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 11h à 19h, le jeudi jusqu'à 21h. Tarif , 9€, tarif réduit 6€.
Publication : Catalogue, 240p., 38€