Expositions
Anim@ / Animal
À un moment où les animaux se voient, enfin, reconnaître la qualité d'êtres sensibles, l'exposition organisée par le Centre Culturel de Rencontre de l'abbaye royale de Saint-Riquier dans la Somme, dont le thème Anim@ / Animal est consacré à l'image du monde animal dans la création contemporaine, prend tout son sens et toute sa pertinence. Par la sculpture, le dessin, l'aquarelle, la peinture, certes mais aussi par le son, l'art numérique, la vidéo, l'installation, une vingtaine artistes déclinent le thème ; si certains d'entre eux sont bien connus du grand public comme Aillaud, Arman, Cueco, Velickovic, Jan Fabre, d'autres d'une génération plus jeune seront une véritable découverte et font le mérite de l'exposition.
C'est tantôt cruel, tantôt poétique, voire amusant mais toujours intéressant. Une série de textes, en parallèle, éclairent, parfois accompagnent ou illustrent les œuvres, chant choral qui enrichit encore la signification du message. Il ne faut pas chercher ici une approche mièvre du monde animal, style trente millions d'amis (encore que cela ne soit pas indigne!), mais bien plutôt un regard lucide sur nos pratiques envers nos « frères inférieurs », sur la manière dont l'humanité, niant sa part d'animalité, a usé et abusé de la prescription biblique : « Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre. »
Placé sous une telle injonction, il s'en faut que le compagnonnage de l'humain et de l'animal se déroule harmonieusement... L'important polyptyque de Velickovic, Grande Poursuite, superbement brossé, affirme avec véhémence cette obsession frénétique de l'homme cherchant à s'échapper de son animalité. En quatre panneaux des humains tentent, en vain, de fuir un monde grouillant de créatures inquiétantes ; en regard, un texte sarcastique de Gil Jouanard, Le Singe parvenu, propose une clé de lecture. Auparavant, les grandes et sensibles aquarelles de Françoise Pétrovitch appariant visages humains et animaux totémiques en une sorte de chimère telle que les concevaient les Anciens dit de façon plus apaisée l'ambivalence de notre statut d'humain.
On peut aborder les œuvres ici présentes selon différentes ap-proches. Il y a en premier lieu l'admiration devant la grâce et le beauté de ce monde. La vidéo de Karin Hellin Ailes et peau captation d'un ballet de Luc Petton où ses rencontrent, se frôlent, dialoguent en une gestuelle lente et grave danseurs et grues de Mandchourie - évocation d'un impossible paradis rêvé - est un des grands moments de l'exposition. Dans un registre moins spectaculaire mais tout aussi fort la série de dessins de Philippe Comar qui s'inspirant de la galerie de l'évolution du Muséum de Paris, décrit ici une procession d'animaux ; c'est une véritable initiation au regard invitant à voir la beauté de ces bêtes devisant fraternelles, autre vision d'un mode innocent, d'un paradis dont toute cruauté serait absente... Toutes séduisantes, ces bêtes ! Même les plus rustaudes ont leur majesté. Ah ces quatre pachydermes de dos ! Isa Barbier avec sa Chevelure de Bérénice : Curiosity crée d'impalpables topiaires, des constellations magiques, faits de plumes de goélands en suspension qu'un simple souffle met en mouvement. Plus intrigant est le tableau-vidéo interactif de Eric Vernhes Gerridae. Cela se présente comme un tableau abstrait électronique qui évolue de façon aléatoire basé sur les traces laissées par les araignées d'eau évoluant à la surface des ruisseaux, des flaques d'eau, des mares qu'a enregistrées le plasticien. Qui aurait pu penser que ces petits insectes – le titre vient de leur nom savant en latin - que nous contemplions enfant pouvaient générer de l'art ? Clin d'œil, sourire...
Sourire encore... Ils se sont mis à quatre pour élaborer une œuvre vive et amusante, Monstrueux monstres. Jean-Pierre Balpe et Eric Vernhes pour le son, Michel Jaffrenou pour les dessins et Samuel Szoniecky pour le logiciel. Quand on frotte de la main un cube interactif, apparaît sur l'écran disposé sur la mur voisin une créature, choisie aléatoirement, qui se donne beaucoup de mal pour paraître méchante. Un court texte humoristique la présente. Le tout s'anime sur une musique électronique jusqu'à remplir le surface d'une mosaïque très colorée. C'est naïf et cela a le charme du monde de l'enfance.
Mais il faut quitter le monde du rêve, du jeu, pour celui de la réalité infiniment plus prosaïque et cruelle. Celui où l'homme impose une loi d'airain à un monde animal « innocent ». Une toile de Gilles Aillaud, représentant l'espace déserté d'un vivarium d'ap-partement, de par l'absence même de l'animal dit la cruauté de l'en-fermement auquel nous con-damnons des êtres faits pour la liberté ; ceci pour notre seule distraction. C'est un thème récurrent d'une œuvre placée sous le signe de l'empathie envers le monde animal. Gloria Friedmann propose sept vidéo sous le titre de Les Représentants, sept scènes incongrues. La plus symbolique représente un bœuf, d'une race à viande. Paisible, il pisse, défèque, tandis qu'au second plan un boucher découpe des quartiers de chair. Simple et efficace. Dector et Dupuy vont chercher sur l'asphalte des routes et des autoroutes les dépouilles des petites bêtes que les automobiles écrasent et réduisent à l'état de peau (au sens où Curzio Malaparte l'entendait dans son roman éponyme). Ils projètent sur les murs de la galerie ces témoins de menus meurtres ordinaires, perpétrés sans même y penser, distraitement... bizarres et effrayants magmas transparents. Il faut quitter les salles pour voir évoluer au milieu d'une prairie l'énorme machinerie complexe qu'a réalisée Pascal Bauer : un grand écran sur lequel est projeté un taureau. Cela ressemble aux lourds postes de télévision d'antan et cela tourne autour d'un pivot sur une piste circulaire. Une sorte de manège interactif où le fauve serait enfermé qui avance, recule, se retourne en réaction des spectateurs. Sorte de corrida technologique, désincarnée, où la foule peut impunément exciter l'animal. Où est passé le tragique d'un spectacle barbare et grandiose que l'on peut détester mais dont on ne peut dénier la noblesse?
Il convient signaler enfin le bizarre travail assez inclassable, de Lucy Glendinning qui propose des personnages à l'épiderme tapissé de plumes, des êtres mi humains mi animaux franchement dérangeants ; ils ne sont pas sans rappeler ces monstres que les princes de la Renaissance collectionnaient dans leurs cabinets de curiosités et dont on peut voir quelques spécimens dans le château d'Embrass en Autriche par exemple. On est ici dans un monde hybride qui tient du conte de fée et du cauchemar (cela est-il incompatible d'ailleurs?).
Il est impossible dans le cadre d'un bref article de citer toutes les œuvres. Les choix faits ici sont certainement arbitraires et injustes. D'autres lectures sont possible. Nous laisserons à Eric Orsenna le soin de conclure : « … n'oublions pas que nous sommes de leur règne (les animaux). Écoutons-les, imitons-les, nageons, volons avec eux. Pourquoi se rétrécir? »
Gilles Coyne
- Henri Cueco. Les chiens bleus de Saqqarah, lavis d'acrylique et crayon à papier, sur Papier, 218 sur 320 cm. collection de l'artiste © David Cueco
- Eric Vernhes. Gerridae, bois, écran LCD, ordinateur 70 sur 70 sur 15 cm © Eric Vernhes
- Dector &Dupuy, Les animaux de la route, 1997, photocopies sur transparent © Galerie Hervé Bize, Nancy
- Pascal Bauer, Le Cercle, 2012, installationvidéo-sculpture sonorisée © Pascal Bauer
Anim@ / Animal
19 avril – 31 décembre 2015
Abbaye royale de Saint-Riquier – baie de Somme
Centre culturel de rencontre
80135 Saint-Riquier
- Tél. : 03 22 99 96 25
- Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
- Site web : www.ccr-abbaye-saint-riquier.fr
- Horaires et tarifs : tous les jours de 10h à 19h (21h pendant le festival – 7 au 12 juillet 2015) ; Tarif, 4€, tarif réduit, 3€ (demandeurs d'emploi et bénéficiaires de minima sociaux), tarif groupe 3€, gratuité (moins de seize ans, abonnement pour les concerts, étudiants, universitaires, enseignants en arts plastiques).
- Publication : Catalogue, français et anglais, 112 p., abécédaire – 24 auteurs, éditions de l'Abbaye royale de Saint-Riquier, 20€.
- Animation culturelle : visite atelier en direction des enfants de 6 à 12 ans, chaque mercredi, entrée libre, téléphoner au 13 22 99 96 22 / 23.