Expositions

 

 

 

Dolce Vita ?

Du Liberty au design italien

 

1900 - 1940

 

 

 

Sous ce titre un rien accrocheur le musée d'Orsay présente une exposition dont le sujet a été rarement abordé en France : l'émergence de la modernité en Italie de la fin du XIXe siècle à 1940 dans les arts décoratifs et la peinture. Le propos de la manifestation est d'éclairer l'influence de la peinture et de la sculpture sur les arts que l'on dit, bien à tort, « mineurs ». Car ces artistes ne concevaient pas qu'il puisse y avoir une distance entre la vie de tous les jours et leur exigence esthétique. C'est ainsi que Giacomo Balla, le peintre futuriste a conçu une salle à manger en bois pauvre pour sa propre demeure - tout y était à vendre – et que Fortunato Depero avait ouvert des « Maison del mago » (maison du mage) à Rovereto ; d'autres encore inaugurent dans différentes villes des « maisons d'art ». Ceci dans le but de diffuser leurs productions.

 

09. zecchin_les mille et une nuits

 

En gros la période recouvre, pour moitié, l'épisode mussolinien, qui, contrairement à ce que l'on pourrait penser, n'était pas hostile dans ses débuts à la modernité. La plupart des artistes futuristes rejoignirent d'ailleurs les « Fasci ». C'était du, en grande partie, à l'influence de l'amante et inspiratrice du « Duce », Margheritta Sarfatti. Le vase de Corrado Cagli « Marche sur Rome », exposé à mi parcours, d'inspiration néo cubiste, témoigne de cette relative ouverture. Quelques films d'actualité en fin de parcours montrent, d'un côté le Roi Vittorio Emanuel III inaugurant les Biennales de Venise, triennales et quadriennales etc... , de l'autre Mussolini faisant de même. La confrontation a quelque chose de comique entre un roi lilliputien que l'on suit grâce au plumet de son képi émergent au milieu de la foule et le matamore qui confond énergie et hystérie en parcourant au pas de charge les salles... On serait tenté de sourire nonobstant le fin tragique de l'histoire.

 

15. boccioni_visioni simultani - copieÀ la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, cela commence de façon évanescente avec la période « Liberty », en fait un avatar italien du symbolisme et du pointillisme. L'Italie est aussi sous l'influence culturelle de son grand voisin l'empire autro-hongrois, plutôt de Vienne sa capitale alors en pleine effervescence créatrice : comment ne pas penser à Gustav Klimt devant le grand triptyque de Pelliza da Volpedo, Le Miroir de la vie, d'une théâtralité aussi décadente qu'assumée ou encore à Koloman Moser devant la composition Les Mille et une nuit de Vittorio Zecchin (par ailleurs maître verrier talentueux) d'un primitivisme raffiné ? C'est d'un brio extraordinaire. Mais l'art décoratif est certainement plus intéressant. Meubles, verrerie, céramique, argenterie... là aussi les artisans italiens, héritiers d'une longue tradition, font preuve de virtuosité volubile. Les meubles de Carlo Bugatti, très « en attendant les barbares », avec leur surcharge décorative, leurs matériaux précieux, leurs formes incongrues et leur confort aléatoire, attirent le regard, ils ne doivent pas faire négliger d'autres ébénistes au talent moins accrocheur mais tout aussi solide. Le fauteuil et le bureau conçus vers 1898 par Federico Tesio, élégant et pur de lignes, lorgne lui aussi vers Vienne, la Vienne Biedermeier. Tandis que le Bureau-coiffeuse et sa chaise de Eugenio Quarti aux précieuses incrustations regarde vers l'Europe centrale.

 

21. morandi_natura morta metafisica - copieLa verrerie occupe une place prépondérante dans ce renouveau de italien. Là encore l'aisance des artisans de Murano, mais aussi ceux d'autres sites en terre ferme, séduira le visiteur ; le Vase à murrhines de Vittorio Zecchin est une prouesse en dépit de ses motifs faussement naïfs et de sa forme trompeusement simple. Peintre verrier, ébéniste Zecchin était un artiste complet : on remarquera aussi les formes simples et géométriques de sa crédence laquée de noir, incrustée d'une dentelle d'or.

 

Mais dans le première décennie du siècle, une génération d'artistes tapageurs émerge qui a l'ambition de secouer ce monde un peu trop raffiné et d'inventer un art pour le XXe siècle. Le Futurisme, avatar du cubisme et du fauvisme, se veut un langage nouveau pour exprimer un siècle où la machine et son corollaire la vitesse sont les valeurs premières. Les Visions simultanées, 1912, de Umberto Boccioni est un portrait éclaté et tourmenté de la ville contemporaine ; une ville comme frappée par un séisme vertigineux, par un maelström. – on est loin de la vision crypto byzantine d'un Zecchin pourtant contemporaine. Un cubisme bizarre, à la limite caricatural, inspire Fortunato Depero. Son Chevalier à Plume (Jouet? Sculpture?), montage de formes plates en bois vivement coloré, attire le regard. Le Bossu et son ombre du même, sorte de théâtre de l'étrange où des formes se reflètent dans deux miroirs disposés en coin, se situe dans un tout autre registre.

 

expo dolce vita 20 04 15_14 - copie

 

Le vase de Giorgio Ponti, de taille imposante, intitulé « Perspective », est l'un des rares exemples de l'influence de la peinture métaphysique de Giorgio de Chirico et son frère Alberto Savinio sur les arts décoratifs. Il faut dire que l'art intérieur et cérébral (Apollinaire) des deux frères ne se prêtait guère à la vulgarisation. Mélancolie d'un après-midi qui voisine avec son Autoportrait au buste d'Euripide montre le meilleur de Giorgio : référence à l'antiquité, énigme d'objets et de lieux réunis de façon improbable - ici une tour, un train à vapeur, une vaste esplanade, deux artichauts au premier plan... la Bataille de centaures d'Alberto surplombe le mobilier que Giuseppe Pizzigoni avait conçu pour sa maison de Bergame ; bizarrement, ces formes simples, brutes, s'harmonisent avec la tumultueuse composition en pyramide de la peinture. On doit signaler aussi une très jolie Nature morte métaphysique de Morandi où apparaît une bouteille dont on sait qu'il déclinera le thème de manière quasi exclusive dans le futur.

 

 

img_20150413_162240 - copieL'Italie plus que tout autre connut un « retour à l'ordre » dans le domaine des arts au lendemain de la première guerre mondiale. Ici les exemples étaient plus prégnants qu'ailleurs. Cela donne une peinture claire, aux formes apaisées pour ne pas dire simplifiées qui doit tout aux souvenirs de la première Renaissance : sont caractéristiques le portrait que Ubaldo Oppi a fait de sa femme (1921) ou encore le Portrait équestre du Duce (1937) dans l'attitude d'un condottière de Antonio Donghi. À titre de curiosité dans le domaine de la flagornerie, signalons le vase dont les rainures dessinent le profil du dictateur (flagornerie ou discrète dérision?). Ce renouveau esthétique, appelé Novecento, est plus intéressant dans les arts décoratifs, le Surtout de table pour les ambassades d'Italie de Gio Ponti et Tomaso Buzzi allie luxe, faste et élégance, comme il se doit pour ce genre d'objet. La verrerie Murano est d'une qualité identique.

 

Une dernière salle, consacrée à l'abstraction et au rationalisme montre que l'Italie n'est pas insensible aux recherches de ses voisins du nord. L'industrie fait irruption dans l'art de se meubler, la non figuration dans celui de peindre. On évoquera le Bauhaus en Allemagne, ce que faisaient Le Corbusier et Charlotte Perriand à Paris devant ces sièges en tube d'acier chromé et les peintures géométriques de Manlio Rho et Mario Radice ne sont pas sans évoquer le De Stijl hollandais. Cependant une amusante chaise de Carlo Molino montre que le tentation baroque n'est pas morte en Italie.

 

Tout est prêt pour un glorieux après-guerre où le design italien va connaître la superbe éclosion que l'on sait et conquérir la planette.

 

Gilles Coyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Vittorio Zecchin (1878 - 1947, Les Mille et Une nuits, vers 1913, huile et or sur toile, Paris musée d'Orsay © Musée d'Orsay, dust. RMN-Grand Palais / Patrice Scmidt © droits réservés.

- Umberto Boccioni (1882-1916), Visions simultanées, 1912, huile sur toile, Wuppertal, Von der Heydt Museum © Medienzentrum Wuppertal

- Giorgio Marandini (1890-1964), Nature morte (Métaphysique), 1918, huile sur toile, Parme, Fondazione Magnani Rocca

- Vue de la salle avec le vase de Gio Ponti (1891-1979), Perspective, © Musée d'Orsay / Sophie Boegly

- Corrado Cagli (1910-1976) et Dante Baldelli (1904-1953), Vase "Marche sur Rome", 1930/31, Collection particulière (photo de l'auteur)

 

 

 

 

 

 

Dolce Vita?

Du Liberty au design italien 1900 – 1940

14 avril au 13 septembre 2015

Salle d'exposition temporaire

Musée d'Orsay

1, rue de la légion d'honneur, 75007 Paris

internet : www.musee-orsay.fr

Téléphone : 01 40 49 48 14

Horaires et tarifs : tous les jours sauf lundi de 9h30 à 11h, jeudi jusqu'à 21h45 ; tarif, 11€ (donne droit à la visite du musée, tarif réduit, 8€50.

Publication : catalogue sous la direction de Guy Cogéval et de Béatrice Avanzi, 256p., environ 200 illustrations, éditions musée d'Orsay / Skira, 43€

En marge de l'exposition : Le cinéma au temps du fascisme du 5 au 11 juin, concerts, ateliers pour enfants, visites-conférences, visites en langue des signes, consulter le site du musée.