Expositions
Voyages en Italie de Louis-François Cassas (1756 - 1827)
Le musée des Beaux-Arts de Tours propose une exposition des dessins d'un enfant du pays – enfin presque, il est né à Azay-le-Ferron à quelques kilomètres de là – Louis-François Cassas. Son nom ne dira pas grand chose au public, il est cependant bien connu des amateurs de dessins, ses œuvres apparaissant régulièrement en salles des ventes et faisant des scores respectables.
Cassas est un dessinateur qui, sa vie durant, a exploité les images exécutées au cours de ses voyages, en Dalmatie et au Moyen-Orient, et aussi des longs séjours qu'il fit en Italie. Son atelier à Rome, comme plus tard celui de Paris, était un des passages obligés des aristocrates faisant le Grand Tour, ce qui explique la dispersion européenne de son œuvre. Justement, la découverte dans Ickworth House en Angleterre d'une importante collection de ses œuvres au graphite, achetée à la fin de la vie de l'artiste par le premier marquis de Bristol, justifie l'exposition de Tours. Ces dessins peu connus ont gardé leur montage d'origine ; d'une grande fraîcheur, ils forment le cœur de la manifestation et renouvellent l'image d'un artiste plus connu pour ses aquarelles et ses compositions à la plume et au lavis. Dans une obscurité expressive – sécurité des documents oblige -, sous les voutes et les piliers du rez-de-chaussée de l'ancien palais des archevêques de Tours qui ne sont pas sans évoquer la Rome antique, se déploient quelques cent-seize dessins, gravures, maquettes de bâtiments antiques ; ces dernières, rapportées d'Italie par l'artiste, illustraient le musée d'architecture qu'il avait ouvert à Paris dans son appartement. Cette collection, achetée par l'état en 1813, sottement dispersée en 1903, a pratiquement disparu.
Son père était architecte géomètre, et les hasards de sa carrière font que Louis-Ferdinand naît dans le château d'Azay-le-ferron. Dans un premier temps le jeune homme semble vouloir embrasser le métier, mais à l'age de dix-neuf ans il est remarqué par Thomas Desfriches (1715 – 1800), dessinateur amateur et collectionneur qui le fait admettre à l'Académie de dessin parisienne, financée par le duc de Rohan Chabot. Il suit les cours de Lagrenée le Jeune et de Le Prince. Premiers voyages dans le Nord (Belgique, Hollande, Allemagne, puis Nantes et la Bretagne), avant de partir pour l'Italie avec la caravane du duc de Rohan-Chabot, qui prend le chemin des écoliers en passant par Genève et dans les Alpes pour arriver à Turin première partie du périple... Cela nous vaut d'extraordinaires paysages montagnards dessinés avec une précision quasi photographique qui sont une des surprises de l'exposition et sont assez rares pour l'époque.
Grâce à une pension du duc il peut rester à Rome. Son séjour, entrecoupé d'escapades en Italie et en Dalmatie durera cinq ans. Il sera l'un des artistes accompagnant Vivant Denon et l'abbé de Saint-Non dans le fameux voyage en Sicile en (1782/83). à peine de retour à Paris en 1784, le comte de Choiseul-Gouffier l'engage pour l'accompagner lors de son ambassade à Istanbul. Il dessine la ville, ses environs, mais surtout les sites antiques et les cités du Moyen-Orient lors d'une expédition financée par l'aristocrate ; pendant plus de deux ans, il parcourt l'Asie Mineure, la Syrie, la Palestine, l'Égypte. De retour en Europe, il s'arrête à Rome cinq ans encore et ne revient à Paris qu'en 1791 lorsque le duc de Rohan-Chabot cesse, par la force des choses, de lui verser une rente.
Si nous insistons ici sur le déroulement de la vie de Cassas, c'est surtout pour souligner l'originalité d'une carrière dédiée pratiquement aux seuls arts graphiques. Il participe à l'élaboration de plusieurs recueils d'estampes, dont celui que Saint-Non publia au retour de son périple avec Fragonard, et travaille avec plusieurs graveurs dont les Piranèse : l'exposition se termine par les gravures aquarellées, de très grande taille, véritables tours de force, montrant Rome vue des sommets des collines en une sorte de panorama. C'est spectaculaire et surtout très séduisant qui montre une ville où se mélangent les ruines antiques, les bâtiments religieux de toutes époques, les maison et palais au milieu d'une végétation surabondante, une sorte d'Eden archéologique et préromantique.
Il pratique avec un égal bonheur, le dessin au crayon, la sanguine comme tant de ses contemporains, la plume, le lavis, l'aquarelle. Ces dernières sont plus des dessins mis en couleurs que de véritables peintures, ce qui fait que paradoxalement, les œuvres venant d'Ickworth et faites au crayon seul semblent parfois plus picturales que les autres car moins précises elles rendent mieux les variations de la lumière : le velouté d'une atmosphère montagnarde, la pureté cristalline d'un lac, le tremblement d'un air étouffant. Cassas travaille sur le motif bien entendu, mais tout est recréé en atelier - il ne faut pas se tromper sur son réalisme -, le dessin final destiné à l'amateur, au client, est une œuvre à part entière telles qu'on le concevait à l'époque, d'un fini impeccable mais paradoxalement souvent d'une grande poésie. Si la précision de ses architectures relèvent bien entendu de sa première formation, il se révèle plus qu'un simple archéologue, un artiste sensible au sens plein. Sans atteindre l'expressivité de Piranèse, son admiration pour la civilisation romaine lui fait exagérer les proportions des monuments : sa Vue d'une partie du vestibule du Palais de Dioclétien à Spalato (Split aujourd'hui) est de proportions monumentales sans commune mesure avec la réalité du site... Il lui arrive même de frôler le fantastique : que l'on songe à l'étonnante Vue du port de Messine opposant l'agressivité des navires tout en pointes et voiles claquantes à la sérénité de la longue façade classique des palais bordant le quai. Dessin prémonitoire puisque l'on sait que quelques semaines plus tard la Sicile sera ravagée par un terrible tremblement de terre qui fit plus de douze mille victimes et que cette superbe façade ne sera plus qu'un souvenir...
Tout l'intéresse, les ruines bien sûr mais aussi les villes dans leur diversité et leur pittoresque, un simple paysage au bord d'un lac, les traces de la vie quotidienne. Voyons l'humble éventaire, les commères devisant, devant la Colonnade romaine devant le Parvis de San Lorenzo à Milan, ou encore les deux vues du temple de la Concorde à Rome avec la fabrique à terrasse bâtie entre les colonnes et ornée de pots de fleurs. Il sait parfois s'abstraire du sujet annoncé : la Vue de Venise depuis le Bassin de Saint-Marc est plus remarquable par la présence de deux navires que par l'arrière fond prétexte au dessin.
L'exposition de Tours est entièrement consacrée à l'Italie et à la Dalmatie, une petite salle, en rappel, présente quelques dessins faits au Moyen-Orient, Palmyre, mais aussi l'égypte. On remarquera la Grande Pyramide, représentation du monument sur-dimensionnée, perdue dans la nue avec de minuscules personnages, Cassas est bien le contemporain des Ledoux, des Boullée, tous ces architectes visionnaires à la veille de la Révolution qui rêvaient de cités idéales, pour des sociétés utopiques. Cassas avait au fond de lui un peu de cette folie, cela ne l'en rend que plus humain, plus proche.
Gilles Coyne
Louis-François Cassa :
1 - Vue de la colonnade romaine sur le parvis de la basilique San Lorenzo à Milan, 1778, plume, encre brune, lavis brun et gris Tours musée des Beaux-Arts © Dominique Couineau.
2 - Vue du temple de la Concorde et de l'arc de Septime Sévère à Rome, graphite sur papier bergé, Ickworth House, The Bristol Collection, National Trust collections © Dominique Couineau/National Trust.
3 - Le Mont Capitolin l'une des collines de Rome, Eau-forte au trait, aquarelle, gouache, réalisé avec Jacques-Louis Bance, Pietro et Francesco Piranesi, Paris, Bibliothèque Mazarine © Bibliothèque Mazarine, Paris / Suzanne Nagy.
4 - Plusieurs fragments d'architecture à la villa de l'Empereur, plume et encre brune, lavis brun sur papier vergé, Ickworth House, the Bristol Collection, National Trust Collections © Dominique Couineau/National Trust.
Louis-François Cassas, 1756-1827
Dessinateur-voyageur
21 novembre 2015 - 22 février 2016
Musée des Beaux-Arts, Palais des Archevêques
18, place François-Sicard, 37000 Tours
- Tél. : 02 57 05 68 82
- internet : www.mba.tours.fr
- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 9h à 12h45 et de 14h à 18h. Plein tarif 5€, tarif réduit, 2,5€, gratuité voir la liste sur le site.
- Publications : Voyages en Italie de Louis-François Cassas 1756 – 1827, ouvrage collectif.- 2015, Tours, Silvana Editore, 296p., nombreuses illustrations. 34€ ; Carnet de voyage à destination des enfants imaginé par le service éducatif du musée, 12p., nombreuses illustrations, gratuit.
- Animation culturelle : visites commentées, activités diverses, pour les tous petits et les jeunes, pour les groupes scolaires, en direction des enseignants et des adultes. Consulter le site.