Expositions

 

 

Picasso (1880 - 1973), sculptures

 

 

 

Un musée, l'hôtel Salé musée Picasso, pratiquement vidé de ses collections, un rassemblement quasi exhaustif d'œuvres d'un des maîtres emblématiques du XXe siècle, tous les éléments sont réunis pour faire de l'exposition Picasso Sculptures un des succès de ce printemps parisien. Mais il faut cependant se poser la question de la pertinence d'une telle réunion, car enfin, il n'y a pas si longtemps, 2000, le Centre Pompidou a organisé une grande manifestation, Picasso sculpteur, pour faire le point sur cet aspect de la production du maître. Ce fut l'occasion d'en établir le catalogue. Ici donc, point de rassemblement exhaustif, mais un souci d'insister sur le travail des séries et de montrer la complémentarité entre la démarche en trois dimensions du maître et sa production graphique et picturale : on trouvera par exemple tous les tirages en bronze de la Tête de Femme (1909), confrontés aux dessins sur le même sujet. Ces derniers ne sont en aucun cas des travaux préparatoires mais illustrent la complémentarité d'une double recherche dans l'appréhension d'une même réalité, comme si Picasso doutait, essayait, tentait, ne savait quelle était la bonne solution ; De même aussi on verra tous les Verres d'absinthe (1914) ou l'ensemble des Baigneurs (1956).

 

Picasso3Par exemple prenons l'effrayante Tête de femme cubiste qui est en fait le portrait de Fernande Olivier, sa compagne du moment ; d'un côté le dessin où l'on reconnaît le visage de la jeune femme parmi les arrêtes courbes qu'il transformera en crêtes et surfaces concaves dans l'œuvre en trois dimensions : effigie inquiétante rendue encore plus sombre par la patine du bronze. Picasso a-t-il voulu, tout en se libérant de l'exigence du modelé, dire aussi sa satiété, pour ne pas dire plus, vis à vis d'une compagne avec qui il s'est finalement assez mal conduit ?

 

Dès cette époque précoce, Picasso s'intéresse à la sculpture, elle a même joué un rôle important dans son cheminement. Loin d'être une activité secondaire - une sorte de jeu, essentiel, mais jeu quand même - elle fut pour lui, et très tôt, un moyen d'expérimentation. Que serait le cubisme sans la découverte des têtes ibériques récemment achetées par le Louvre et qui inspirèrent ses premiers essais sculptés ? On peut le dire sans exagérer, la sculpture marchait de pair avec les autres disciplines même si, au regard de sa riche production graphique et picturale, le nombre de ses statues peut paraître marginal. Pendant certaines périodes, à Boisgeloup par exemple elle semble avoir pris le pas sur les autres ; il avait consacré une partie des communs du château qu'il avait acheté pour abriter ses amours avec Marie-Thérèse, à une activité qui demande quand même pas mal d'espace car il ne s'est pas simplement contenté de créer des pièces de taille moyenne, des bibelots en somme, il a avait la volonté d'aborder la sculpture monumentale. Plus tard, à la villa de la Californie, il aimera s'entourer de ces grandes pièces qui formeront comme une garde de sentinelles.

 

Picasso4Picasso pratiquait essentiellement le modelage et l'assemblage, il a aussi inventé un type de représentation en trois dimensions nouveau, le pliage de feuilles de métal à partir de dessins. Il a parfois poussé ce type d'œuvres jusqu'à des dimensions monumentale soit en métal, soit en béton : le Déjeuner sur l'herbe du musée de Stockholm dont on verra ici les cartons. Il s'est moins confronté au marbre et à la pierre et a peu pratiqué la taille directe et seulement pour de petites pièces (cela supposait quand même une certaine maîtrise technique) ou pour inciser quelque détails, préciser une silhouette. Il fit de l'assemblage d'éléments hétéroclites, utilisés en dehors de toute logique pour leur forme seulement, un usage abondant, désinvolte, baroque, cruel mais non sans une bonne dose humour. En détournant de leurs fonctions utilitaires les objets de la vie de tous les jours, les plus modestes, les plus improbables et en les recyclant en d'amusants et savoureux montages il retrouvait le surréalisme avec lequel, un temps, il flirta. L'exemple le plus célèbre est la manière dont il fit de deux petites voitures pour enfant la tête de sa Guenon et son petit (1951). Tout y est passé depuis les cartons ondulés, les empreintes de feuillages (Femme au feuillage, 1934), une panière (Petite fille sautant à la corde, 1950), des papiers froissés, un arrosoir, un véritable inventaire à la Prévert... Il s'émerveillait de voir s'unir ces constructions de bric et de broc en une œuvre unique par la magie du bronze.

 

La frontière est parfois ténue entre le dessin, le gravure, la peinture, voire, plus tard, la céramique, et la sculpture. On ne sait si ces natures mortes des années cubistes sont des tableaux en relief ou de simples bas-reliefs en couleurs. Il n'hésite pas à compléter ses tôles pliées, ses plâtres, de détails dessinés ou de touches de couleurs – bouche, œil, chevelure (l'Espagnole 1962), poils pubiens pour Femme à l'enfant 1961. La tête de chouette à visage de femme (Jacqueline?), En fait peu importait les moyens, il les utilisait indifféremment en fonction de ce qu'il voulait exprimer.

 

 

Enfin on insistera jamais assez sur l'ambivalence de ces productions dont l'expressionnisme n'est pas sans se teinter d'humour. Les grands bustes inspirés par Marie-Thérèse à Boisgeloup ne sont-ils pas affublés de nez phalliques ? Que dire de sa guenon et son petit, curieuse maternité dont on ne sait s'il faut s'en effrayer ou en sourire ? De sa Tête casquée, véritable parodie de l'antiquité gréco-romaine ? Ou enfin la chèvre efflanquée de Vallauris... Humour qui voisine avec un lyrisme certain et une tendresse pour ses sujets : le charme des petites silhouettes de footballers, le belle idée aussi pour le monument à Apollinaire, qui ne fut malheureusement pas retenue par un comité obtus, de reprendre l'idée du poète « une statue en rien, en vide » avec une structure en fils de fer.

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-Figure (proposé comme projet pour un monument à Guillaume Apollinaire) Paris, musée Picasso Photo (C) RMN-Grand Palais (musée Picasso de Paris) / Béatrice Hatala (C) Succession Picasso - Gestion droits d'auteur

- Tête de femme au chignon, Boisgeloup, 1931 (Plâtre), avril-juillet 1937 Ciment unique 142 x 54,5 x 62,5 cm MPA 1950.3.2 Musée Picasso, Antibes Photo © imageArt, Claude Germain (C) Succession Picasso - Gestion droits d'auteur

 

 

 

 

 

 

 

 

Picasso. Sculptures

8 mars -28 août 2016

Musée Picasso Paris

5, rue de Thorigny, 75003 Paris

- Tél. 01 85 56 00 36

- Internet : www.museepicassoparis.fr

- Horaires et tarifs : ouvert tous les jours sauf le lundi sauf le 1r mai, de 10h à 18h ; tarifs 12,5 et 11€.Il est conseillé de réserver son billet par internet sur le site du musée.

- Publications : Catalogue par Cécile Godefroy et Virgine Perdrisot, 352 p., 270 reproductions en couleurs, coédition Musée national Picasso / Somogy / Bozar, 45€.

- Animations : colloque (passé), performance, nocturne (30 mars), conférences, médiation électronique, visioguide, visites guidées, animations pour enfants... consulter le site du musée