Expositions

 

 

 

Rembrandt intime (1606 - 1669)

 

 

 

 

C'est un jeu... Quel est ce tableau mystérieux qui attire le regard du visiteur avant d'entrer dans l'exposition Rembrandt intime que propose le musée Jacquemart André ? Est-ce une peinture ? Une reproduction ? Renseignement pris, cette effigie est le résultat d'un travail informatique : après l'analyse de dizaines de portraits de Rembrandt, un programme a été établi qui aboutit à cette image d'un homme jeune. Pas un Rembrandt et pourtant, quelque part, une œuvre qui lui doit tout : pas de lui, mais... Est-il meilleure introduction au parcours qui suit ?

 

Rembrandt2L'espace d'exposition du musée est un labyrinthe de salles aux proportions modestes, ce qui dans le passé ne fut pas sans poser quelques problèmes, aujourd'hui cette exiguïté s'adapte particulièrement bien au sujet, comme si le maître nous recevait. Le thème se décline en une vingtaine de toiles et une trentaine de dessins et de gravures autour des trois chef-d'œuvres que possède le musée. Trois tableaux appartenant à trois moments de la carrière de l'artiste, ils rendent bien compte de l'évolution de son génie : la première version des Pèlerins d'Emmaüs (1629) pour ses débuts à Leyde, le Portrait de la princesse Amalia van Solms (1632) pour l'installation à Amsterdam et les premiers succès de peintre à la mode enfin celui du docteur Arnold Tholinx (1656) pour la maturité.

 

Rembrandt Van Rijn est né à Leyde en 1606, dernier enfant du prolifique meunier Harmen Gerritz qui eut au moins dix enfants. Rembrandt, en fait nous le connaissons sous son prénom et non son nom de famille, fit des études sérieuses d'abord à l'école latine puis à l'université de sa ville ; enfin son père l'envoya à Amsterdam pour parfaire la formation picturale, qu'il avait acquise auprès du modeste artiste local Jacob van Swanenburch, chez un maître affirmé Pieter Lastman.

 

Le jeune homme revient dans sa ville natale et ouvre un atelier dans la maison paternelle. Il a dix-neuf ans ! Dès ses débuts il jouit d'une notoriété certaine. À la mort de son père il quitte Leyde et s'installe à Amsterdam et se lie avec un marchand d'art Hendrick Uylenburgh dont il épouse, en 1634, la petite cousine, Saskia, une orpheline fortunée, fille d'un ancien bourgmestre frison. Se sont-ils aimés ? En tous les cas il l'a beaucoup représentée, seule ou en sa compagnie. Saskia en Flore a fait le voyage le voyage depuis St-Petersbourg, le jeune femme, vêtue de luxueuses soieries orientales, nous regarde un peu intimidée, on remarquera les fleurs qui ornent son thyrse et la couronnent. Image raffinée et rustique à la fois. Saskia a-t-elle posé pour la Diane au bain en dessin et en gravure exposée plus loin avec ses chairs un peu flapies qui n'ont jamais connu le jour ? Sans doute, on notera une absence d'idéalisation qui n'exclue nullement une chaude sensualité.

 

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Deux autoportraits de jeunesse dominent la première salle, l'un venant du Louvre exécuté un an avant son mariage le montre tête nue, le cheveu ébouriffé, la moustache en bataille, le vêtement orné d'une lourde chaîne d'or et de pierres, regardant le spectateur avec l'amorce d'un sourire en coin, dans l'autre, issu des collections du Petit Palais à Paris, il pose en pied, portant un riche costume oriental, coiffé d'un turban à plume, un chien hirsute au premier plan. Tout au long de sa vie Rembrandt s'est peint ainsi au naturel ou déguisé. Il est l'un des artistes qui s'est le plus auto-portraituré de la peinture occidentale. Ces compositions où l'on aurait tort de voir la marque d'une introspection inquiète, voire d'un narcissisme impénitent, sont caractéristiques de tout un pan de sa production. Têtes d'expression, au même titre que le Soldat riant au gorgerin, ces tableaux se vendaient fort bien.

 

On préfèrera peut-être à ces images le très sensible dessin à la plume et au lavis, daté de quelques années plus tard, où, interrogateur, il fixe le spectateur. Il se montre tel qu'il est sans complaisance, pas réellement beau mais plein de vitalité. Les images de Saskia, celles de ses parents, en dessins comme en gravures relèvent d'une honnêteté tout aussi rude. Rembrandt trouve une dignité et une beauté dans ce qui, pour nous comme pour ses contemporains, est désagréable, voire franchement repoussant : femmes mûres fatiguées par les grossesses, vieillards, mendiants en haillons, pauvres vêtus de loques. Rembrandt est un des plus grands dessinateurs tant par la quantité que par la qualité. Et c'est l'un des charmes de cette exposition que d'en montrer un échantillonnage choisi. Les Trois études de vieillards assis de la fondation Lugt à Paris à la plume incisive, le Cours d'eau aux rives boisées du Louvre d'une étonnante liberté brossé qu'il est au lavis, si pictural, Le Sacrifice de Manoah à l'envolée baroque, Acteur jouant le Capitan où la plume fourmillante dit bien le personnage, la concise Marchande de crêpes...

 

Rembrandt3C'est aussi l'un des plus grands graveurs de tous les temps, ses eaux fortes continûment collectionnées par les plus grands, tirées biens des années après sa mort sont tout un monde : scènes bibliques, sa famille, ses amis, ses mécènes, des paysages, des animaux... Ils travaillait les plaques, les retravaillait, multipliant les « états » (quelquefois dans un but purement spéculatif). Deux de ses chefs-d'œuvres, Les trois croix et Le Christ présenté au peuple, en deux états chacun, décrivent ce processus. Pour le premier, une ombre dramatique envahit la composition, effaçant quasiment la foule présente dans la planche originale pour ne laisser émerger d'un magma confus que la figure du Crucifié et celles des deux larrons. Pour le second, on remarquera comment dans le 7e état, par rapport à la planche du 3e état, il a éliminé le public du premier plan remplacé par une sombre ombre. Ce faisant, il interpelle directement le spectateur, qui n'a plus l'écran de la foule, et le confronte à la figure misérable du Christ.

 

Ce renoncement au beau, au pittoresque, à la facilité, pour saisir l'essence des êtres et des choses, symbolise, au fond, le cheminement de l'artiste tout au long de sa vie. Comparons les deux « Pèlerins d'Emmaüs », celui du musée datant de la jeunesse du maître, il a vingt trois ans, avec le tableau du Louvre peint quelques vingt ans plus tard. L'œuvre de jeunesse, dramatisée à l'excès, est basée sur le contraste violent entre le rectangle sombre que forme la silhouette du Christ, le disciple prosterné à ses pieds, la chaise renversée, et la vive lumière de la table. On soulignera le contraste entre la posture inversé du second disciple par rapport à la diagonale de Jésus. Dans de fond, à la lumière d'un lumignon, s'affaire la servante. Effets superbes et efficaces mais faciles et d'un caravagisme à la mode alors. Toute autre est la toile du Louvre où il a renoncé à tout effet dramatique et reporté son effort sur l'intériorité des personnages empreints d'une douceur évangélique.

 

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Peintre à succès, peintre à la mode, superbe portraitiste, graveur fécond et virtuose, dessinateur tout aussi talentueux, maître respecté et recherché – son atelier fut un des plus courus de la ville – Rembrandt au mitan de sa vie connut l'insuccès et la faillite. Saskia s'éteint en 1642, la même année ce fut l'échec de La Ronde de nuit, sa situation devient de plus en plus difficile et c'est la faillite, il fallut vendre la maison, disperser les collections, il ne peut même pas épouser Hendrickje Stoffels, la servante au grand cœur qui partage sa vie et lui donne des enfants : en effet Saskia dans son testament lui a retiré la clause d'usufruit sur sa fortune en cas de remariage. Bien qu'il reçoive encore des commandes prestigieuses et bénéficie de l'estime d'un cercle restreint d'amateurs, le peintre se replie en lui-même, sa peinture s'intériorise et se libère de toute contrainte. Il prend en quelque sorte congé du monde et peint des toiles inouïes de peinture pure. Le visage de son fils Titus lisant qui clôt l'exposition, plein de tendresse et quasiment monochrome, est une des plus belles images de la sérénité qui soit.

 

Tout est dit sur l'itinéraire d'un homme singulier.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

- Portrait de l'artiste en prince oriental, 1631-1633, Huile sur bois, Paris Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris © Petit Palais / Roger Viollet.

- Le Repas des pèlerins d'Emmaüs, vers 1629, Huile sur papier maroulé sur bois, Paris, Musée Jacquemart-André - Institut de France © musée Jacquemart-André / Studio Sébert.

- Saskia en Flore, 1634, huile sur toile, St-Petersbourg, musée de l'Hermitage © Musée de l'Hermitage / Vladimir Terebenin

- Le repas des Pélerins d'Emmaüs, 1648, huile sur bois, Musée du Louvre © musée du Louvre / Adrien Didierjean

 

 

 

 

 

 

 

Rembrandt intime

Musée Jacquemart-André

158, boulevard Haussmann, 75008 Paris

- Internet : www.musee-jacquemart-andre.com

- Horaires et tarifs : tous les jours de 10h à 18h, jusqu'à 20h3à les lundis pendant les expositions. Tarifs : 13€ et 10€, offre famille : entrée gratuite à partir du 2e enfant.

- Publications : Catalogue, éd. Cultureespaces/Fonds Mercator, 192p., 32€ ; Hors-série Connaissance des Arts, 9,50€ ; Le journal de l'expo, Beaux-Arts Magazine, 5€ ; Figaro Hors-série, 8,90€. Pour les petits, le Livret-jeu, gratuit. Dépliant de visite, 1€.

- Aides à la visite : visite commentée sur Iphone/Ipad et Android, 1,99 basse définition, 3,99 haute définition. Audio-guide (français anglais) 3€