Expositions
Pissarro à Éragny
La nature retrouvée
Depuis plus de trente-cinq ans il n'y avait pas eu d'exposition Pissaro à Paris. Il est vrai que l'artiste, de façon tout à fait injuste, jouit en France d'une estime moindre que celle de ses cadets impressionnistes. Camille Pissarro (1830 - 1903), né dans les Antilles suédoises, dans une famille marrane, était plus âgé d’une génération que ses compagnons et faisait figure de père spirituel. Le musée Marmottan et celui du Luxembourg réparent cette injustice en présentant son œuvre ; le premier dans son ensemble tandis que le musée du Luxembourg s'est limité aux vingt dernières années du peintre, celles où il s'installa dans le petit village normand d'Èragny sur les bords de l'Epte.
Les démarches des deux institutions sont différentes et se complètent en quelque sorte : la première décrit le cheminement de l'artiste depuis ses premiers essais, la seconde, plus fouillée, nous fait découvrir l'homme dans sa complexité et la multiplicité de ses centres d’intérêt. C'est peut-être, la plus sensible, celle qui nous rend plus proche une personnalité qui, à la différence de ses collègues impressionnistes avait de fortes convictions sociales et politiques, des convictions anarchistes. Pissaro fut même inquiété pour cela au moment de l'assassinat du président Carnot et dut s'exiler quelques temps à Bruxelles. Dans la troisième salle du Luxembourg on peut voir une sorte de bande dessinée avant la lettre où il fustige les « Turpitudes sociales », projet pour un album du même nom ; intéressant document mais qui manque de l'acuité cruelle d'un Goya ou d'un Daumier.
Á l'âge de cinquante-quatre ans en 1884, Camille Pissarro, qui avait souvent changé de domicile mais toujours à la campagne ou dans de petites villes dans les environs de Paris, ce pour des raisons à la fois esthétiques et financières, décide de se poser dans le petit village d'Èragny-sur-Epte. Il loue une maison bourgeoise, la Pommeraie, assez vaste pour abriter ses sept enfants, en attendant le huitième qui naîtra là quelques mois plus tard. La demeure était entourée d'un grand jardin et de quelques champs. Il finira par l'acheter grâce à un prêt de son ami Claude Monet, installé à quelques dizaines de kilomètres de là, toujours aux bords de l'Epte, à Giverny. L'installation dans ce petit village répondait à des impératifs esthétiques et financiers – ici il trouvait une mine de thèmes puisés dans son jardin, le village, les travaux et les jours des paysans. Ses convictions anarchistes, non sans quelque naïveté, le poussaient à voir dans le paysan un héros libéré des contraintes d'une société intrinsèquement perverse. Tout une série de dessins en vue d'illustrer quelques publications sur la vie campagnarde font le charmes des dernières salles : petites compositions, de facture très simple, d'une grande lisibilité à la limite de la naïveté. Leur évidence ne doit pas nous égarer, elles sont le produit d'un travail complexe depuis les premières esquisses jusqu'aux aquarelles définitives.
Le jardin de Pissarro était très différent de celui de Monet. Alors que ce dernier travailla des années durant à créer un véritable paradis d'arbres, de fleurs et d'eaux, pour nourrir son inspiration, celui de Pissaro – il y avait bien quelques fleurs vers la maison – avait surtout la vocation plus prosaïque de nourrir la famille car les amateurs étaient aussi rares que l'argent et il fallait bien nourrir cette famille nombreuse. Cependant, il ne faut pas voir l’installation à Éragny comme un retranchement du monde, une sorte de solitude hautaine : le peintre entretenait une correspondance copieuse avec sa famille, ses amis et ses marchands, de plus le village étant à deux heures de Paris, il y faisait souvent des allers et retours se tenir au courant de ce qui se faisait. Il pouvait séjourner plus longtemps, des semaines, voire des mois pour peindre la ville, depuis la fenêtre d'un hôtel quand sa santé ne lui permit plus de faire de longues stations dehors. C'est d'ailleurs dans un hôtel parisien qu'il tombera malade avant de mourir à l’hôpital. Outre le voyage à Bruxelles dont nous avons parlé plus haut, Il fit aussi plusieurs séjours à Londres, qu'il connaissait bien, auprès de son fils aîné Lucien qui y fit une carrière de dessinateur et de graveur dans la mouvance des préraphaélites, à Rouen, à Dieppe etc.
La Pommeraie était une véritable communauté où chaque membre participait à quelqu'ouvrage esthétique. Camille très affectueux avec ses enfants veillait à leur éducation, surtout à leur éducation artistique. Ses cinq fils, sont devenus des artistes très estimables, peut-être furent-ils écrasés par la forte personnalité de leur père. Quelques toiles de Lucien, exposées au Luxembourg à côté de celles de son père qui tentait de l'initier aux secrets et aux joies du post impressionnisme, montrent un peintre sensible mais dont la personnalité ne s'affirme guère. Plus intéressantes sont les illustrations qu'il donne aux Éragny Press, fondées par la famille en 1894 : ce sont de luxueuses productions reprenant quelques textes classiques ou du moyen-âge. Petits ouvrages raffinés aux illustrations inspirées par l'esthétique des préraphaélites anglais et aux couvertures gainées de tissus « Art & Craft », ils surprendront le visiteur et le séduiront.
En 1887, alors que le groupe des impressionnistes se disperse, Camille Pissarro, suivant l’exemple de son ami Seurat, adopte le néo-impressionnisme malgré l’opposition farouche de son marchand Durand-Ruel qui détestait cette technique. Après un bref essai de la touche divisée qui lui parait terriblement lente, il se contente de la technique pointilliste. Ces tableaux qui, de par la logique de la technique imposant une simplification des formes, sont d’une grande monumentalité malgré leurs formats modestes. Les personnages tout occupés à leurs activités campagnardes acquièrent ainsi une dignité retenue pleine de force. Gelée blanche, jeune paysanne faisant du feu est une toile pratiquement carrée, format que le peintre appréciait pour la sérénité qu'il donnait aux compositions. La construction repose sur la structure simple mais efficace des parallèles horizontales du paysage et des vaches, du fond opposée aux lignes verticales des deux petites paysannes, tandis que la masse désordonnée du feu et de la fumée adoucit cette rigueur. On notera le nombre de sujets consacrés à l'hiver, à sa lumière froide, à ses horizons aux brumes glacées.
Pissaro travaillait directement sur le motif à Éragny très souvent depuis son atelier et, dans les villes, depuis la fenêtre de sa chambre des hôtels où il descendait. Sinon il faisait de nombreuses études dessinées préalables, des aquarelles pour saisir l'instant d'une lumière, voire il commençait la toile sur place et la terminait dans l'atelier. Il ne sentait pas tenu de respecter totalement les règles de la réalité : voir la Cueillette des pommes, éragny et son horizon curviligne que l'on retrouve dans plusieurs œuvres, particulièrement dans les éventails.
Cet article est consacré essentiellement à l'exposition du musée du Luxembourg aux dépens de celle du musée Marmottant, c'est que cette dernière plus complète et dont on ne peut faire l'économie si l'on veut découvrir l'ensemble d'une œuvre capitale pour l'histoire de l'Impressionnisme, est quelque peu académique. Sa rivale, si on peut employer un tel terme ici, montrant l'homme dans sa complexité, sa naïveté, sa générosité est d'un abord plus sensible. Cependant, difficile de faire l'impasse de l'une comme de l'autre.
Gilles Coÿne
La Cueillete des pommes à Éragny, huile sur toile, 1887-1888, Dallas Museeum of Art, Munger Fund, photographie de l'auteur.
La Femme au fichu vert, huile sur toile, 1893, Paris, musée d'Orsay, photographie de l'auteur
Choix de sonnets de Pierre de Ronsard (1524 - 1583), Eragny Press, Londres 1889, photogtaphie de l'auteur
Gelée blanche, jeune paysanne faisant du feu, huile sur toile, 1888, Paris, musée d'Orsay, photographie de l'auteur
La nature retrouvée
16 mars – 9 juillet 2017
Musée du Luxembourg
19, rue de Vaugirard, 75006 Paris
- Tél. : 01 4013 62 00
- Internet : www.museeduluxembourg.fr
- Horaires et tarifs : ouvert tous les jours, du lundi au jeudi de 10h30 à 18h, du vendredi au dimanche due 10h30 à 19h. Tarifs 12€ et 8,5€ (jeunes 16-25 ans, demandeurs d'emploi, familles nombreuses), gratuité pour les moins de 16 ans et le bénéficiaires des minima sociaux.
- Publications : Catalogue, éditions RMN-Grand Palais, 2017, 212p., 225 ill., 35€ ; Lionel Pissaro, Album de l'exposition, 48p., 45 ill., 10€. Film, Christophe Fonseca : Sur les traces du père des Impressionnistes, 52', Films de l'Odyssée – RMN-Grand Palais, film en téléchargement sur PluzzVad http://pluzzvad.francetv.fr/Sur les traces du père des Impressionnistes, 2,99€.
- Programmation culturelle : Visites guidées, visites en familles, visites à thèmes, ateliers, consulter le site de l'exposition.