Expositions
Jean-Baptiste Perronneau (1715/6 - 1783)
Portraitiste de génie dans l'Europe des Lumières
Nous découvrons un tout autre XVIIIe siècle que celui qui nous est familier avec la rétrospective que le musée des Beaux-Arts d'Orléans consacre au portraitiste Jean-Baptiste Perronneau ; un XVIIIe siècle, bourgeois, sérieux, solide, discret. Ici point de mondaines seins à l'air poudrées à frimas, la mouche assassine, point de danseuses ou de tragédiennes affichant leur amants fortunés, point d'hommes élégants un sourire railleur à la bouche, comme chez son concurrent et et ennemi Maurice Quentin Delatour, mais toute une humanité, certes parfois un peu ennuyeuse, un peu engoncée dans ses vêtements du dimanche, qui faisait à la fois la force et la richesse de notre pays en ces temps-là. Si Maurice Quentin Delatour passe chez les historiens de l'art pour un prodigieux virtuose de la forme et de l'esprit, Perronneau, lui, serait un véritable peintre avec un sens du coloris unique, un art maitrisé de la ressemblance ; jugement un peu réducteur l'un n'étant pas sans virtuosité l'autre sans sensibilité à la couleur.
Le musée riche de plus de vingt œuvres du portraitiste vient d'acquérir son chef-d'œuvre l'effigie de Aignan Thomas Desfriches, son ami et mécène. L'homme saisi de trois-quart nous regarde d'un œil vif, non sans ironie. Image familière, sans pose, il est vêtu d'une sorte de robe de chambre bleue damassée – elle fait écho au regard non moins bleu - que réchauffe le jaune du foulard entourant le cou. Bien que les cheveux, comme le voulait la mode de l' époque, soient poudrés, il n'est pas maquillé et semble nous recevoir sans cérémonie. On remarquera le bleuté d'une barbe qui sculpte les traits et le coup de lumière qui souligne la mâchoire et le lobe de l'oreille, projetant légèrement le visage en avant, lui donnant plus de volume et de vie. Perronneau avait rencontré Desfriches lors de sa formation à Paris et une vive amitié était née entre les deux homme, amitié que ne démentit jamais les aléas de la vie. Le peintre fit plusieurs séjours à Orléans chez son ami qu'il peignit ainsi que sa femme et de nombreuses personnalités de la ville. Ceci explique en grande partie la richesse du musée aujourd'hui. Desfriches, artiste amateur quasi professionnel, a beaucoup dessiné et il n'est pas rare de rencontrer quelques unes de ses productions au hasard des ventes à Paris.
Après quelques tentatives en tant que dessinateur et graveur, Perronneau se spécialise dans le portrait qu'il a pratiqué quasi exclusivement - portraits à l'huile, portraits au pastel. Sa virtuosité et sont talent sont très vite remarqués, mais, non moins rapidement, il se heurte à la concurrence de son aîné Maurice Quentin de La Tour qui avait le quasi monopole de la représentation de la cour, de la haute noblesse et des intellectuels gravitant autour de l'Encyclopédie. Diderot d'ordinaire mieux inspiré a trempé dans une sorte de cabale contre lui. Il a du mal à trouver sa place à Paris en dépit de la faveur du public et de nombreux connaisseurs. Malgré tout son ennemi juré Maurice Quentin Delatour lui commande, son portrait, ce qui tendrait à prouver que leur inimitié n'était pas si implacable. L'administration royale, en dépit de son agrément à l'Académie en 1746, ne lui facilite pas les choses et, en dépit de demandes renouvelées, ne lui fournit aucun local où il puisse montrer sa production au public en dehors du salon bisannuel. Assez rapidement Perronneau est conduit à chercher un public ailleurs.
Perronneau va devenir un de ces nombreux artistes itinérants, qui sont la marque du XVIIIe siècle et qui divaguent d'un pays à l'autre au gré des opportunités : pour ne citer que les plus célèbres, les portraitistes Rosalba Carriera, le Genevois Etienne Liotard, Angelika Kaufmann et plus tard pour des raison politiques Mme Vigée-Lebrun, sans parler des Tiepolo et des Canaletto etc. Tous ont sillonné l'Europe et rares sont ceux qui ont fini leurs jours dans leur patrie. Son premier voyage, en quelque sorte un ballon d'essai, le conduit chez son condisciple Desfriches à Orléans avant de poursuivre jusqu'à Nantes où il doit faire le portrait du « nègre blanc » Maspondé pour le comte Tessin (1744). Ce premier voyage sera suivi de nombreux autres au point que le peintre séjournera moins longtemps à Paris qu'en voyage. Il mourra d'ailleurs à Amsterdam en 1783, victime de la pollution qui s'est abattue sur l'Europe à la suite de l'explosion du volcan Laki en Islande - deuxième catastrophe naturelle dans l'Europe des lumières après le tremblement de terre de Lisbonne. En France, Bordeaux où il fit trois séjours, Toulouse, Lyon, Lille, Rouen, en Europe, Madrid, Turin, Rome, Londres, Bruxelles, Amsterdam, Hambourg, Saint-Petersbourg, Varsovie, la liste n'est pas exhaustive...
Perronneau est un pastelliste, cette technique d'une merveilleuse souplesse, mais il a aussi pratiqué la peinture à l'huile et le portrait de Mme de Sorquainville, venu du Louvre, une de ses œuvres majeures témoigne de sa virtuosité : la dame avenante, un sourire indéfinissable aux lèvres dévisage le visiteur. Sa vêture est élégante mais loin d'être tapageuse toute en couleurs adoucies. Le rendu des étoffes est virtuose, remarquer l'étonnant coussin de velours bleu, le pompon doré. On remarquera les longues mains effilées, signe de la noblesse sans ostentation de la personne. C'est sans doute une des effigies les plus séduisantes du XVIIIe siècle, une des plus caractéristiques. Elle se détache d'une longue série un peu ennuyeuse parfois. C'est que le genre du portrait, très codifié, n'offre pas une grande variété de posture : personnage de face, de trois quart, trois quart dos qui se retourne pour dévisager le visiteur, moins souvent de profil, en buste, en plan italien (c'est à dire au dessous des genoux pour reprendre la classification du cinéma), plus rarement en pied. C'est aussi que le public de Perronneau a ses exigences : il désire être représenté tel que, sans flatterie, sans ces arrangement avec la vérité dans lesquels sombrent tant de portraitistes de l'époque. Pas de grand portrait d'apparat non plus à l'exception de celui du prince Charles Alexandre de Lorraine qui n'ajoutera rien à sa gloire de peintre – il est vrai que le toile mal éclairée, appèle une sérieuse restauration. On terminera ici sur le merveilleux Jacques Cazotte : attitude décontractée nonobstant le costume raffiné d'un dandy, nonchalant et élégant, le tricorne sous le bras, l'écrivain sourit avec finesse, songe-t-il à son futur « Diable amoureux »?
Gilles Coyne
- Portrait de Aignan-Thomas Desfriches, pastel, © Orléans, musée des Beaux-Arts, photo Christophe Camus
- Portrait de Mme de Sorquainville, huile sur toile, © Paris, musée du Louvre, département des peintures.
- Portrait de Philippe Cayeux, sculpteur d'ornements, et de son épouse, pastel, © Collection particulière.
Jean-Baptiste Perronneau
Portraitiste de génie dans l'Europe des lumières
17 juin – 17 septembre 2017
Musée des Beaux-Arts d'Orléans
Place Sainte-Croix 45000 Orléans
- Site web : www.orleans-metropole.fr/330/le-musee-des-beaux-arts.htm
- Tél. : 02 38 79 21 83
- mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
- Horaires et tarifs : du mardi au samedi de 10h à 18h, nocturme le vendredi jusqu'20h, dimanche de 13h à 18h; Tarifs, collections permanents et exposition, 6€ et 3€
- Publication : Catalogue, éditions Liénard/Musée des Beaux-Arts, 192p., 29€
- Autour de l'exposition : colloque, concerts, visites pour adultes et jeune public, consulter le site du musée