Expositions
Eduardo Arroyo
Dans le respect des traditions
C'est un paysan juché sur une rosse trop petite pour lui, la tête basse, vêtu du « traje de luz » un peu éteint d'un picador, l'homme fatigué – Sancho Pança maigri ? Un paysan ? Le peintre ? Qu'importe –, chemine sur un fond de mosaïque faite de paysages colorés typiques de l'Espagne, une Espagne de carte postale sans réelle présence. Il revient à la maison, piteux, triste, harassé, revenu de quels combats ? Quelques salles plus loin dans l'exposition que la fondation Maeght consacre aux dernières années du peintre espagnol Eduardo Arroyo, ce « Retour des croisades » (2017) dialogue avec trois grandes toiles, « Le meilleur cheval du monde » (1976) montrant la Reine en costume militaire à la parade à cheval – on aura reconnu Elisabeth II dans une photo officielle célèbre bien que le peintre ait omis de représenter le visage de la souveraine remplacé par une plage de couleur chair. Ces trois toiles, trois variations chantant un thème unique celui de la vacuité du monde officiel dont le seul intérêt est d'offrir un support aux jeux de l'artiste.
Trois toiles opposées à la première : tout est vanité dit le maître, rien n'a de réelle importance et c'est irrésistiblement cocasse. Constat amer... et pourtant il se dégage de ces quelques tableaux comme des œuvres qui peuplent les cimaises de la fondation une sorte de jubilation, de plaisir ambigu, admiratif, tendre et iconoclaste à la fois. Arroyo règle ses comptes avec une Espagne à la fois si passionnément aimée et si désespérante, comme avec un monde actuel si décevant malgré les promesses dont il est porteur.
Eduardo Arroyo est né à Madrid en 1937, en pleine guerre d'Espagne, dans une famille de droite, admiratrice de la Phalange. Très jeune il prend ses distance par rapport à l'idéologie familiale et se fait le contempteur d'un Franquisme dont il n'aura de cesse de stigmatiser, tout au long de sa carrière, la brutalité, la férocité, la médiocrité intellectuelle et morale et l'abaissement dans lequel il a conduit l'Espagne. il arrive à Paris en 1958. La capitale était alors et pour la dernière fois sans doute la capitale mondiale de l'art. L'abstraction régnait alors sur la scène artistique, il fait partie d'une petite élite d'artistes qui, refusant ce nouvel académisme, renouent avec la figuration. Il est l'un des membres fondateurs de la Figuration narrative, mouvement qui préfigure le pop art anglo-saxon. Ces artistes revendiquent le devoir de s'adresser à tous, même aux non spécialistes, en des messages clairs à contenus souvent militants que ce soit dans le domaine social ou politique. La mujer del minero Perez Martinez, llamada Tina, ouvre l'exposition. À cette figure saisissante d'une femme belle en dépit de son crâne rasé et de ses pleurs – Tina fut torturée et rasée par la police franquiste pour avoir soutenu activement la première grève menée par son mari sous la dictature au lendemain de la guerre – il rend sa dignité, dignité dont ses tortionnaires avaient voulu la priver en l'humiliant.
Même s'il fut, dans un premier temps, un contempteur féroce de la dictature et d'une société espagnole rétrograde, Il ne faudrait pas enfermer son art dans le cercle de la seule militance. Il puise son inspiration dans un monde personnel sans préjugés qui couvre des thèmes très différents. S'il parle de littérature par exemple il s'intéresse aussi bien les classiques du siècle d'or espagnol qu'au Le portrait de Dorian Grey, comme aux romans noirs, aux romans policiers anglo-saxons, aux Comics américains, à la culture populaire des petits journaux. Multiplicité des intérêts, leur hétérogénéité... c'est en cela qu'il nous touche. Il nous touche également par un regard à la fois chaleureux mais aussi distancié, voire caustique qu'il porte sur ses sujets : prenons la grande composition Don Juan Tenorio (2000), Don Juan pour nous, immense peinture de plus de quatre mètres sur plus de trois inspiré par le drame romantique de Zorilla joué à Madrid en 1844 qui reprend le personnage de Tirso de Molina (XVIIe siècle). Il faut en souligner l'ironie : le visage de doňa Iňes derrière un grillage de cage à poule mité pour signifier le couvent où elle est enfermée, la silhouette de Don Juan qui ressemble plus à celle d'un spadassin de comedia dell'arte qu'à un noble espagnol, que dire de l'excroissance surgissant de sa cape, épée? Ou? Sans parles des candélabres achetés au Leroy-Merlin d'à côté (ou de son équivalent hispanique) qui scandent à intervalles réguliers la large bordure en bois du tableau.
En premier, l'inspire l'Espagne, cette Espagne tant aimée, si fragile, si décevante, si pauvre, si vivante mais pas totalement libérée de son passé franquiste. Au Paradis des Mouches - les mouches font leurs délices de la merde comme des charognes - il consacre une installation (2007). Sur les murs tapissés d'un papier peint au décor de ces bêtes, les insectes de bronze et d'acier s'accrochent en rangs stricts et aussi posés sur des pots de terre. Plus loin un dessin copiant l'extase de Saint Thérèse du Bernin quasi illisible sous un résille de ces animaux, participe de la même idée sur le mode anticlérical. Comme si cela ne suffisait pas sur le ressaut du mur une série de galets incrustés de plomb figurant des crânes, sont disposés en longue procession – Vanités (2012) - comme un rappel du « Viva la muerte » des Phalanges franquistes.
Arroyo sculpte ou plus tôt assemble des matériaux très divers pierres à peine dégrossies dans lesquelles sont inclus différents matériaux, il modèle aussi la terre et utilise d'autres matières pour reprendre en trois dimensions les thèmes de ses tableaux. On retrouve ainsi le buste de la Doňa Iňes en plastique blanc enfermé dans une cage. Il dessine aussi, dessins classiques, collages, mosaïques de papiers colorés à l'exemple de Matisse... C'est souvent intéressant mais pas toujours convainquant.
On est fasciné par l'immense toile où il copie dans ses dimensions originales La Ronde de nuit de Rembrandt, accolée à deux paysages industriels. Il ne cherche pas à faire une reproduction, ni à interpréter cette œuvre célèbre. Il fait du Arroyo, en peignant par de larges à-plats ne cherchant nullement à retrouver la pâte si riche où le maître d'Amsterdam emprisonne la lumière. Il a remplacé les armes que portent les soldats par de grossiers gourdins. C'est à la fois un hommage, un acte de foi en la peinture mais aussi une pirouette vis à vis de ces bons bourgeois qui jouent les matamores dans leurs beaux habits. Distance admirative aussi avec le Combat avec l'ange que Delacroix a peint sur les murs de l'église Saint Sulpice à Paris ou encore le Bonaparte au Pont d'Arcole de Gros. Il malaxe ces compositions, les distord, les culbute, pour en extraire le suc. Plus iconoclaste encore quand dans la grande copie au crayon qu'il fait du retable de l'Agneau mystique de Van Eyck il remplace le panneau central, l'Adoration de l'Agneau mystique, par le papier peint aux mouches... Il désacralise l'art pour le rendre plus proche.
Gilles Coÿne
- Le retour des Croisades, 2017, 200 X 300 cm., huile sur toile, collection de l'artiste © Adagp Paris, photo Adrian Vasquez
- La mujer del minero Perez Martinez llamada Tina es rapada por la policia (1970), Huile sur toile, 163 X 130 cm. © Adagp Paris 2017, photo DR
- La Guerra de los Mundos, 2002, huile sur toile, 200 x 530, © Adagp Paris 2017, photo DR
- Vue de la dernière salle de l'exposition avec des sculptures, et les trois toiles du Meilleur cheval du monde.
Eduardo Arroyo
Dans le respect des traditions
Fondation Marguerite et Aimé Maeght
1r juillet – 19 novembre 2017
623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul de Vence, France
- Tél. : 04 93 32 B81 63
- Mél : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
- Internet : www.fondation-maeght.com
- Horaires et tarifs : tous les jours de 10h – 19 h (juillet, septembre), 10h – 18h (octobre, juin). Tarifs, 15 et 10€, gratuité pour les enfants de moins de 10 ans et les membres de la Société des Amis.
- Publication : Catalogue avec des textes de Eduardo Arroyo, Daniel Rondeau, Fabienne di Rocco, Olivier Kaeppelin, Adrien Maeght, coédition avec les éditions Flammarion, 224 pages, 200 illustrations, 35€.