Expositions
David Hockney
Difficile de faire plus contrasté que le Centre Georges Pompidou en ce moment avec les deux expositions qu'il propose. D'un côté un photographe des années trente, Walker Evans, aux ambitions sociales marquées ; portraitiste des laissés-pour-compte américains des années de la grande crise, paysans comme ouvriers, ceux qui n'avaient d'autre espoir que de pouvoir survivre dans une misère noire grâce à un labeur écrasant, photographe du petit peuple de New York et de la sub-culture des banlieues américaines. De l'autre le monde hédoniste de David Hockney, le peintre des piscines, de la côte ouest des états Unis, de la libération sexuelle, d'une intelligentsia élégante et cultivée, d'une nature magnifique et intemporelle, enfin artiste obsédé par les recherches formelles. Oui difficile de faire plus contrasté.
David Hockney est né en 1937 dans un famille de la petite bourgeoisie anglaise non conformiste : un père, qui avait fait des études artistiques, objecteur de conscience, une mère catholique. David Hockney était gay mais ses parents ne s'opposèrent jamais à son homosexualité et le soutinrent toujours ce qui était exceptionnel à une époque où toute déviance était sévèrement jugée et réprimée. Il étudie à l'école d'art de Bradford sa ville natale puis au Royal College of Art de Londres. Il y acquiert une solide formation professionnelle. En témoignent ses premières peintures, de facture fortement charpentées mais de coloris assez sombre et qui ne préfigurent nullement la suite de sa carrière.
Jusqu'à la fameuse exposition Picasso en 1960 à la Tate à Londres, David Hockney oscille au gré de la mode. Il entame une carrière de peintre plutôt abstrait, non sans humour, mais se cherche. La découverte de l'œuvre protéiforme du Malaguène lui ouvre les yeux : il n'appartiendra à aucune école et prendra son bien où il le trouve avec comme boussole les exigences de ses recherches esthétiques. Il voyage, beaucoup, voit tout autant, mais c'est la Californie, où il finira par s'installer, qui va être son université. La lecture de John Rechy « Cité de la nuit », celle de Constantin Cavafy, les photos « culturistes » nourrissent son imaginaire. Il trouve là une ambiance unique, celle des premiers mouvements de libération sexuelle et surtout homosexuelle, il y rencontre aussi son premier amour. La salle « californienne » est assurément la plus excitante de l'exposition. C'est une ode au soleil, à l'eau des piscines, à une végétation exubérante, aux corps minces et brunis des garçons nus qui nagent, se douchent, font la sieste. Ambiance claire, colorée, apollinienne, d'où est absente toute idée de péché, d'attrition... ivresse d'un hédonisme calme, serein, apaisé. La vieille Europe et ses inhibitions sont loin. Ses grands tableaux figuratifs où, pour la réalisation, il fait appel largement à la photo, mélangent allègrement les points de vue dans une même toile : Dans l'une, un jeune homme nu prenant le soleil sur une serviette, représenté en perspective, occupe le quart haut de l'œuvre tandis que l'eau de la piscine dont les remous sont symbolisés par des lignes sinueuses vue en à-plat occupe les trois autres quarts. On retrouve une disparité de plans identique dans la Portrait d'un artiste Piscine avec deux personnages, adieu à son amant Peter Schlesinger. Mais la toile culte reste bien entendu The bigger splash un paysage vide, calme, d'une villa par un torride après-midi que seule trouble l'eau soulevée par un plongeon, bruyante trace de présence/absence humaine. Cette gerbe d'eau, véritable intrusion d'un art si différent, l'action painting, dans une œuvre si calme a fait couler beaucoup d'encre. Sur-interprétation de critiques ? La peinture a inspiré un film homonyme qui a connu un brillant succès dans tout l'Occident.
David Hockney est aussi un dessinateur extraordinaire, auto-portraits, visages de ses amis, de relations occupent toute une galerie. On retrouve des effigies dessinées au trait qui doivent beaucoup à l'exemple de Picasso tandis que d'autres au fin modelé, aux couleurs exquises et subtiles, se situent dans la droit fil de la tradition des Préraphaélites. Ce sera pour beaucoup, qui con-naissent ses toiles les plus célèbres mais ignorent cet aspect de sa création, une surprise, un des moments les plus excitants de l'exposition.
À ce stade de sa trajectoire, l'art de David Hockney est un art pondéré, contemplatif. Ces personnages ne font rien, enfin rien de violent, de dynamique, d'excessif, ils sont là, comme si leur seule présence se suffisait à elle-même. Ils communiquent peu et paraissent enfermés dans leur singularité. M. & Mrs Clanck and Percy (leur chat blanc juché sur les genoux de l'époux) appartient à la série des doubles portraits peinte à Londres à la fin des années 60 et au début des années 70 ; ce triple portrait (le chat) est caractéristiques de ces grandes toiles, au décor dépouillé où les personnages se côtoient sans vraiment se rencontrer. Les deux époux qui sont des amis de l'artiste, se tiennent là devant la fenêtre de leur loft à Londres en une pose décontractée, leurs regards ne se croisent pas, pas plus celui du chat qui contemple la rue par la fenêtre ouverte les oreilles dressées sans doute à l'affut de quelque moineau étourdi. Ils ont, les protagonistes de ces toiles, quelque chose de minéral, de figé comme ceux des tableaux du peintre de la première renaissance italienne que Hockney admirait particulièrement, Piero della Francesca.
L'artiste va s'orienter vers des recherches plus formelles qui pourraient laisser dubitatif, si elles ne témoignaient d'une ouverture d'esprit étonnante. Fax, Polaroïd, tablettes, I-pad, téléphones... il explore les possibilités de ces appareils grand public tant pour la réalisation d'images que pour leur diffusion. Franchement ce n'est pas toujours convaincant. L'unique œuvre exposée ici et réalisée pour le fax est aussi peu séduisante que possible. Plus intéressant plutôt est l'usage qu'il fait du Polaroïd : Il multiplie les clichés selon des points de vue légèrement différents pour réaliser une sorte de mosaïque, image totale qui a l'ambition de reproduire la réalité dans sa globalité. Ces « Joiners » ne sont pas sans évoquer le cubisme analytique. La scène du nageur dans une piscine, riche variation sur le bleu est vraiment pleine de charme (Gregory swimming, 1980). On ne saurait en dire autant de la couverture pour Vanity fair et quand on pense que la composition a demandé neuf jours de prise de vues et quinze d'assemblage, cela laisse songeur.
Les dernières années, il se consacre principalement au paysage. Idées de paysages, reconstitués plus que reproduits, un peu comme ceux des primitifs italiens ; formes simplifiées, peintes en larges touches lyriques de couleurs stridentes, acidulées. Il renoue avec l'art des peintres de panorama du XIXe siècle avec une vue gigantesque de sa région natale Bigger Trees Near Water – 4,57 mètres sur 12,19. Il s'agit d'un assemblages de toiles plus petites qui forment une grande composition sans se raccorder tout à fait – on retrouve là l'influence des joiners. Ce paysage est spectaculaire. Plus intéressant peut-être est la série des Quatre saisons – The Four Seasons, Woldgate - sorte d'espace environnemental qui entoure me spectateur avec quatre fois neuf vidéos juxtaposées : Il est comme plongé au sein d'une forêt qui, en quatre moments lui fait revivre le cycle annuel des saisons. Méditation sur le temps qui passe, râvissement devant la majesté et la beauté d'une nature encore intacte...
Gilles Coÿne
- Domestic Scene, Los Angeles, 1963, huile sur toile, 153 x 153 cm, © David Hockney, collection particulière.
- Portrait of an Artist (Pool with two Figures), 1972, Acrylique sur toile, 213,5 x 305 cm © David Hockney, photo Art Gallery of New South Wales / Jenni Carter Lewis Collection.
- Nichols Canyon, 1980, acrylique sur toile, 213,5 x 152,5 cm © David Hockney, photo Prudence Cuming Associates, collection particulière.
- Bigger Trees near Warter or/Peinture sur le motif pour le nouvel Âge Post-Photographique, 2007, huile peinte sur 50 toiles 459 x 1225 cm. © David Hockney, photo Prudence Cuming Associates, Tate Londres, presented by the artist 20008.
David Hockney
Rétrospective
23 juin – 23 octobre 2017
Centre Pompidou
75191 Paris cedex 04
- téléphone : 01 44 78 12 33
- Internet : www.centrepompidou.fr
- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf mardi de 11h à 21h ; Tarifs, 14€ et 11€, valable pour le musée et les autres expositions le même jour. Gratuité pour les porteurs du laisser-passer annuel des adhérents du centre.
- Publications : Didier Ottinger dir. Catalogue.- Paris, 2017, 320 p., 44,90€. Caroline Edde et Marie Sarré dir. Album de l'exposition, 60 p., 9,50€.