Expositions

 

 

Dada Africa

Sources et influences extra-occidentales

 

 

 

 

 

 

«  Nous cherchions un art élémentaire qui devait, pensions-nous, sauver les hommes de la folie de ces temps. »

 

1916 – 1917, le long suicide de la civilisation européenne atteint son paroxysme. La première guerre mondiale fait rage, l'horreur est partout. Au milieu de cette violence, la Suisse, cernée par les pays belligérants continentaux, offre un véritable ilot de paix. Quelques intellectuels et artistes que des liens d'amitié et des affinités culturelles réunissent se retrouvent au café Voltaire à Zurich fondé le 5 février 1916. écœurés, horrifiés, ils constatent la faillite de l'idéologie humaniste, faite de rationalité et d'objectivité mais aussi de nationalisme, qui s'est imposée en Europe depuis le XVIIIe siècle. Ils cherchent alors dans d'autres traditions, jugées par leurs contemporains comme sauvages voire primitives, des réponses aux défis de la barbarie du temps. Une exposition qui se tient au musée de l'Orangerie à Paris retrace les débuts de cette aventure esthétique, l'agressif Dada. Peintures, dessins, marionnettes, photos, robes, sont confrontés aux objets des civilisations primitives.

 

Dada5

 

Si ce que nous appelons pompeusement les Arts Premiers, n'était pas ignoré de l'intelligentsia européenne en ce début du XXe siècle - les premières publications exposées ici témoignent d'un intérêt plus respectueux, statuettes, masques et autres productions commençaient à être étudiés pour leur beauté intrinsèque et non pour leur étrangeté exotique ; la démarche des Dadaïstes est fondamentalement originale, dépassant l'audace des Fauves et des Cubistes qui, tout comptes faits, ne recherchaient dans les objets africains et autres simplement des recettes pour rendre la réalité, ils font l'effort de:= comprendre les ressorts les plus intimes de ces peuples et de leurs cultures. Leur propos est de dynamiter ainsi un vieux monde pourri qui s'accommode si aisément des atrocités de la guerre.

 

Dada2

 

Dada, baptisé ainsi non sans provocation, est donc un mouvement de contestation radicale qui remet en cause tout ce que l'Occident tenait pour acquis. C'est une démarche aussi joyeuse qu'iconoclaste, qui prit des formes multiples et paradoxales : on casse l'atmosphère de sérieux et de componction qui entoure généralement les événements culturels, le respect quasi religieux du beau chers aux élites de l'époque : De la musique ? Ce sera un charivari ponctué de cris et d'interjections du public ; de la poésie ? On déclamera des textes abscons et volontairement grotesques, des onomatopées sans signification claire, des borborygmes, voire des textes africains et océaniens ; de la peinture, des dessins ? On s'inspirera de l'art, tenu alors comme grossier, voire proche de l'enfance, des peuples primitifs ; on organise des expositions ? On bouscule le code en donnant le statut d'œuvres d'art à des objets repoussants ou de peu de valeur ; on bannit enfin les hiérarchies entre activités artistiques : on sera étonné par la présence de tableaux exécutés au point de croix par Jean Arp que l'on imagine mal pratiquer ce genre d'ouvrages de dames ; la fabrication de marionnettes, de masques, de robes, tout ce que l'on classe, non sans condescendance dans la rubrique arts mineurs, devient aussi important ; on repousse ainsi plus loin les expériences esthétiques les plus radicales en proposant les premières compositions abstraites ; enfin on ridiculise la sagesse populaire en en tirant des conclusions absurdes : « la propreté est le luxe des pauvres, soyez sales... »

 

 

Une sérigraphie tardive de Marcel Janco, « Cabaret Voltair (sic) » (1960), reprenant une toile perdue, rend bien l'atmosphère débridée des soirées qui animaient le café ; la présence au-dessus de la scène d'un masque africain, sur-dimensionné, à bec, ne doit rien au hasard. On retrouve ce dernier objet, exposé entre la litho et une huile de l'artiste intitulée « Jazz 333 » (1918) où le visage du musicien reprend ce masque. Une courte vidéo de Mary Wigman, « Sorcière » montre une danse qui fait fi de tous les codes en vigueur alors : l'artiste assise faisant quasiment du sur-place, en gestes syncopés et saccadés, s'agite comme une furie en une chorégraphie expressionniste et primitive qui n'est pas sans rappeler les transes cérémonielles de certaines religions.

 

Dada4 

 

Les Dadaïstes n'ont pas fréquenté la seule Afrique, ils ont exploré l'Amérique, l'Asie et l'Océanie. Les montages photographiques de Hannah Höch sont pratiquement inconnus chez nous bien que le Centre Pompidou en possède deux : la plasticienne découpe très finement des reproductions de pièces ethnologiques pour en mélanger certains détails avec des éléments divers et composer des images aussi dérangeantes qu'intrigantes : extraordinaire est cette silhouette de femme où elle apparie un torse féminin khmer – il voisine ici avec le photomontage -, à un buste de femme nu dont le visage s'enchâsse d'un œil sur-dimensionné. L'artiste dénonce ainsi la situation de le femme en ce début du XXe siècle et l'utilisation d'éléments empruntés aux arts primitifs est une manière de rendre le propos plus percutant... Dans un autre registre Sophie Taeuber-Arp s'inspire des poupées des indiens Katsina pour fabriquer des marionnettes ou des costumes de scène comme Janco se souvenant des masques de carnaval alpins réalise en trois dimensions et avec des matériaux divers des portraits violemment expressionnistes (1919).

 

Dada3

 

Dada, au lendemain de la guerre, gagne l'Europe entière ; à Berlin comme à Paris où il donnera naissance au mouvement contestataire le plus radical du XXe siècle, le Surréalisme qui n'a pas fini d'irriguer l'art d'aujourd'hui. À ce titre, il n'est pas inintéressant de se pencher sur la naissance modeste d'un mouvement qui, finalement, est toujours bien vivant.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

- Dada Africa, salle 2, La guerre de 14/18, photo de l'auteur

- Sophie Taeuber-Arp (1889/1943), Composition verticale-horizontale (1918), tapisserie de laine, Remagen, © Arp Museum Bahnhof Rolandseck / photo Patrice Schmidt

- Dernière salle de l'exposition, photographie de l'auteur

- Man Ray (1890 - 1976), Noire et blanche, 1926, épreuve gélatino-argentique négative sur papier non baryté, ParisCentre Pompidou, musée national d'Art moderne © Man Ray Trust © Adagp, Paris 2017, Cliché : Adagp Image Bank

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dada Africa

Sources et influences extra-occidentales

18 octobre 2017 – 19 févier 2018

Musée de l'Orangerie

1, place de la Concorde, Jardin des Tuileries, 75001 Paris

- Tél. : 01 44 50 43 00

- internet : www.musee-orangerie.fr

- Horaires et tarifs : ouvert tous les jours sauf le mardi et le 25 décembre, de 9h à 18h, nocturnes jusqu'à 23h les 16, 17, 18, 19 février 2018. Tarifs, 9 et 6,5€, gratuité tous les premiers dimanches du mois, pour les adhérents et les jeunes de moins de 26 ans de l'UE.

- Publications : Catalogue, Paris, 2017, Musée d'Orsay / Hazan, 224 p., 150 ill., 32€

- Animations culturelles : visites guidées, ateliers (adultes et enfants), spectacles pour le public scolaire, conférences, Journée d'études le 23 janvier 2018 gratuit sur réservation au 01 44 50 43 01, concerts, spectacles, Viva Dada de Régine Abadia film documentaire tous les jours à 11h, 13h45, 16h30, Une soirée au musée / 18-30 ans, samedi 27 janvier de 18h30 à 22h30. Pour les détails consulter le site du musée.