Expositions
Corot (1796 – 1875)
Le peintre et ses modèles
Pour le public, Corot est avant tout un des plus grands paysagistes de l'histoire, l'on sait moins qu'il s'est essayé à la peinture mythologique et à la peinture religieuse avec des fortunes diverses. Aujourd'hui, nous somme peu sensible à cet aspect de sa production. Pour nous il est un paysagiste, Le Paysagiste. le musée Marmottan-Monet à Paris, vient corriger cette vision un peu restrictive en proposant une exposition, petite mais pleine de charme, sur la figure humaine dans l'œuvre du maître. Il s'agit bien entendu de tableaux où la personne est le véritable sujet et non de figures animant ses paysages comme dans Les Jardins de la villa d'Este qui ouvrent l'exposition où un jeune paysan assis sur une murette donne profondeur à l'espace. On ne parle pas non plus des bains de Diane et autres danses de nymphes, prétextes à faire jouer les remous de l'eau et leurs éclats de lumière sur la peau des dames ou sur les feuillages. Il s'agit de toiles où la figure humaine n'est plus un accessoire, même important, mais en est le thème principal, voire unique. Corot était autodidacte - même s'il est passé dans l'atelier de Michallon, spécialiste du paysage à l'école des beaux-arts –, il peint d'instinct et ses figures sont résolument originales.
On songe bien entendu aux portraits, Corot l'a peu pratiqué et surtout aux débuts de sa carrière. Ce sont des toiles de petit format, intimistes, où il ignore délibérément les conventions d'un genre qui se démocratisait et n'était plus l'apanage de la noblesse et de la grande bourgeoisie. On ne peut les comparer qu'à ceux que Louis Boilly avait multipliées une génération avant et représentant la même classe sociale, celle de la moyenne bourgeoisie. Posent devant lui, sa parentèle, ses nièces, ses amis, leurs bambins ; effigies raffinées où les subtils accord de couleurs, pallient la simplicité de la composition. On remarquera les quelques toiles représentant les enfants ; il a su en rendre, de manière parfois un peu naïve mais convaincante, la dignité de petits êtres déjà conscients de leur singularité. On remarquera surtout la surprenante effigie de mère Marie-Héloïse des Dix Vertus, ancelle du monastère de l'Annonciade à Boulogne-sur-Mer, sorte de non portrait où le visage de la sainte femme plongé dans l'ombre du voile est peu lisible, mettant en avant un magnifique accord de couleurs où le rouge de la robe, le blanc de la guimpe et le noir du voile et du manteau dialoguent, sonnent en une monumentale construction.
Toujours dans l'ordre des œuvres personnelles, il faut placer les personnages peints pendant ses voyages en Italie et dont il se servira à son retour en France : il a conservé toute sa vie dans son atelier l'image de Marietta, un modèle italien exécuté lors de son second séjour dans la ville éternelle. Allongée, elle se retourne pour fixer le spectateur en un regard lourd, peut-êtrte complice ; ce nu sensuel, fait la liaison entre les baigneuses idéalisées d'Ingres et la réalisme sarcastique de l'Olympia de Manet. Il s'intéresse aux personnes qu'il côtoie : un vieil Italien en veste de peau de mouton assis sur sa malle, un jeune garçon accoté à ce même bagage etc. Plus originale est la figure d'un Moine italien assis lisant, il tirera de cette effigie, rapidement brossée, beaucoup plus tard dans sa carrière, toute une suite de variations. Ces individus introvertis, coupés du monde, tout occupés à des activités intellectuelles – lire, jouer d'un instrument, méditer – l'avaient séduit lui qui n'était ni spécialement religieux, ni porté sur la figure masculine ; il était sensible aussi au magnifique motif des larges plis géométriques que forment leurs robes de bure.
Plus tard, dans sa maturité et alors que sa notoriété s'affirme, Corot propose au salon avec des fortunes diverses - certains seront refusés par le jury - des tableaux représentant des figures féminines. Ce sont des peintures de format plus important où de jeunes femmes représentent de manière plus ou moins symboliques des activités telles que la musique, la poésie, la danse, ou plus simplement des personnages exotiques – jeunes Grecques, Italiennes, une Sibylle, une Zingara (on dirait Manouche aujourd'hui)... En fait posent des modèles parisiens, on reconnaît ainsi dans la Jeune Grecque le visage d'Emma Daubigny dont il aimait la vivacité – elle ne tenait pas en place, riait, chantait etc - « C'est justement cette mobilité que j'aime en elle... Mon but c'est d'exprimer la vie. Il me faut un modèle qui remue. » On l'aura compris, il sait s'abstraire d'une trop grande fidélité au réel. On notera, dans une de ses dernière figures, L'Italienne de 1872, l'éclatante polychromie de tablier, travail virtuose quasi abstrait. Mais ce qui frappe le visiteur c'est la gravité de ces femmes, point de sourire encore moins de rire, un air pensif teinté de mélancolie.
Le peintre était peu motivé pour la figure masculine, aussi s'étonnerait-on de la présence ici de deux hommes en armure si l'on ne savait qu'ils représentaient un hommage à Giorgione. Il était fasciné par les reflets de la lumière sur le métal. Peut-on y voir aussi comme une référence au goût romantique pour le moyen-âge qui a traversé le XIXe siècle ? La Marietta de Rome n'est pas le seul nu qu'il ait peint. Toute une série de petits tableaux déclinent le thème. On peut aimer ces peintures... Personnellement je ne trouve pas cela très convainquant : des dames allongées dans l'herbe ou au bord de la mer censées représenter figures mythologiques reprennent la pose de l'Italienne. L'une d'entre elles est particulièrement grotesque, la Bacchante à la panthère qui plut et plaît encore beaucoup – une dame étendue nue sur des tissus colorés tend à une panthère (qui serait plutôt un jaguar) que chevauche un amour, un oiseau mort en guise de su-sucre. Au second degré c'est amusant, mais il n'est pas sûr que cela ait été l'effet recherché par la maître.
Beaucoup plus intéressantes sont les vues de son atelier où de jeunes femmes contemplent des tableaux. Une atmosphère poétique baigne ces compositions ; cela du à la modestie du décor et à l'attitude recueillie, un peu rêveuse, de ces femmes. On pourrait y voir une sorte d'allégorie de la peinture qui transcende la réalité et transforme en or le plomb du quotidien, une nostalgie des moments fugaces où les êtres communient dans la contemplation de la beauté. Ces quatre toiles sont un des moments forts de l'exposition. Elles amènent le visiteur tout naturellement vers La Dame en bleu, une de ses dernières compositions, un de ses chefs-d'œuvres. Emma Daubigny a posé pour cette toile dans l'atelier, mais peu importe l'endroit et la personne, peu importe l'élégance et le naturel de la pose, compte en premier lieu le magnifique bleu de la robe et son accord avec les bruns et les argentés si pauvres mais si subtils de cet atelier. La toile, image d'une dame du temps et non celui d'une déesse ou d'une quelconque figure exotique, achève avec panache l'exposition comme elle prouve l'étonnante verdeur d'un créateur qui sut se renouveler jusqu'à ses derniers jours.
Gilles Coÿne
- Marietta ou l'Odalisque romaine, 1843, Huile sur papier marouflée sur toile, Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris © Petit Palais/Roger Viollet
- La moissonneuse tenant sa faucille, 1838, huile sur toile, Legs de William A. Coolidge, Boston Museum of Fine Arts - Photograph © 2018 Museum of Fine Arts, Boston
- L'Atelier de Corot. Jeune femme assise devant un chevalet, 1873, huile sur toile, legs du comte Isaac de Camondo, Paris, musée du Louvre, photo © RMN/Grand Palais, René Gabriel Ojéda
- La Dame en bleu, 1874, Paris, musée du Louvre, photo © RMN/Grand Palais, Stéphane Maréchalle
Corot (1796 - 1875)
Le peintre et ses modèles
8 février – 8 juillet 2018
Musée Marmottan-Monet
2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris
- Téléphones : groupes : 01 44 96 50 83 ; Boutique : 01 44 96 50 46
- Internet : www.marmottan.fr
- Horaires et tarifs : du mardi au dimanche de 10h à 18h, jeudi jusqu'à 21h, ferméle 1r mai. Tarifs, 11€, tarif réduit, 7,5€, gratuit pour les moins de 7 ans.
- Publications : Sébastien Allard.- catalogue.- Paris, 2018, coédition Musée Marmottan/ éditions Hazan, 192p., 29€ ; Hors-série Connaissance des Arts n° 795, 43p., 9,50€ ; Livret pédagogique, 16p., 3,50€.
- Animation culturelle : ateliers pédagogiques, scolaires, en langues étrangères. Renseignement et réservation : 01 44 96 50 41.