Expositions

 

 

 

Picasso, bleu et rose

 

 

 

 

 

 

On croyait tout savoir sur Picasso, ses amours, ses révolutions esthétiques, ses engagements et voilà qu'une exposition du musée d'Orsay vient nous apporter quelque chose de nouveau avec un  rassemblement quasi exhaustif de toiles, dessins et sculptures des périodes bleues et roses. Nous connaissions le Minotaure au regard noir, l'homme « au masque d'obsidienne », le vieillard toujours vert, le maître dominant de haut le XXe siècle, mais avions-nous conscience qu'il fut un jour jeune, insolent, ardent, conquérant et, sans doute, un peu inquiet ? L'exposition fait toucher du doigt une réalité que l'on aurait tendance à oublier - nous qui connaissons la suite. 1900-1906, ces six années voient la transformation d'un enfant terrible de la peinture espagnole en maître incontesté d'une des révolutions esthétiques les plus radicales du XXe siècle, le Cubisme.

 

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Quand il arrive à Paris à l'automne 1900, il n'a pas dix-neuf ans ; il vient voir sa toile Derniers moments exposée dans la sélection de peinture espagnole de l'Exposition universelle. Picasso était un prodige et il avait su dans cette peinture bien-pensante, recouverte aujourd'hui par La Vie, domestiquer son génie provocateur. Un jeune prodige certes, mais pas un enfant de chœur ! L'intéressait surtout le monde interlope de la bohème Barcelonaise voire celle de Madrid - Il savait son Goya par cœur – et les quelques toiles et merveilleux dessins, voisinant avec ceux de ses amis, Nonell, Ramon Casas, Casagemas témoignent du monde un peu en marge où il évoluait. On remarquera  L'allégorie, Jeune homme femme et grotesque qui puise son inspiration directement des Caprices ou encore l'étreinte rien moins que poétique... On aimera aussi la suite de cinq petits portraits dessinés de ses amis, de formats carré, puissants de par l'économie des moyens utilisés... 

 

Le jeune homme ne se contente pas de faire du tourisme, il visite ateliers, expositions et collections. Son premier contact avec l'avant-garde parisienne est décisif, il découvre Van Gogh, Toulouse-Lautrec. Il ne néglige pas pour autant le Louvre où il étudie la grande tradition de la peinture française, Poussin, David, Ingres, Delacroix ; il en fera son miel. Trois autoportraits forment comme une sorte de préface, un raccourci à l'exposition : le premier Yo Picasso, peint en grasses touches de couleurs vives à l'instar de Van Gogh est une superbe affirmation de soi (1901), le second de la même année le grand Autoportrait en bleu un des chefs-d'œuvres du Musée Picasso à Paris, mélancolique, désabusé est comme une prescience des premières années parisiennes faites de misère, de crasse, de privations, les années Fernande, enfin le dernier (1906) exécuté à Gósol pause les premiers pas sur le chemin qui devaient le conduire à la révolution cubiste.

 

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Sa première chance fut l'exposition en compagnie de son ami Nonell à la galerie Ambroise Vollard en 1901. à la différence de ce dernier il tourne le dos à l'Espagne et peint en quelques semaines une soixantaine de tableaux rapidement brossés, colorés sur la vie parisienne. Non celle des cafés chics de la haute noce mais celle du petit peuple : cafés bondés, cafés-concerts, buveuses d'absinthe, mères vannées, modèles fatigués, femmes trop maquillées, monstres... mais aussi enfants, pierrots, une humanité pathétique. Le Portrait de Gustave Coquiot, écrivain et critique préfacier de l'exposition Vollard, domine la section. Peint en épaisses touches, l'homme, au visage de viveur qu'un sourire carnassier n'humanise guère, assis tel le M Bertin d'Ingres, se détache sur un fond où des danseuses vaguement orientales se déhanchent. 

 

Ce fut un succès commercial, mais l'année avait commencé par un drame. Le suicide à Paris de son ami le peintre Casagemas l'avait beaucoup frappé. En une série de toiles intimistes il compose un « tombeau » comme on le disait au XVIIIe siècle. Portraits de son ami mort, reposant sur son lit ou dans son cercueil, avec le blessure à la tempe, effigies composées sur le modèle des photos qu'à l'époque les familles faisaient tirer avant l'ensevelissement. Plus frappante une composition du musée d'art moderne de la ville de Paris, évocation, étrange toile en hauteur où, comme dans l'Enterrement du comte d'Orgaz du Gréco, deux registres se superposent : en bas, le monde des vivants, les pleurants, drapés de noir s'étreignent et pleurent le corps enroulé dans son linceul posé à même le sol devant la tombe tandis que dans le registre haut l'âme du défunt, en noir, est accueillie par des femmes vêtues seulement de leur bas, des enfants, à gauche un couple d'amantes s'enlace, enfin plus haut un cavalier sombre enlève une de ces créatures. La sincère peine de Picasso ne l'entraine pas dans la pieuse componction de rigueur ! 

 

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Ces toiles disposées dans un petite pièce intimiste sont comme l'antichambre des peintures bleues. « C'est en pensant que Casagemas était mort que je me suis à peintre en bleu. » avouera-t-il plus tard à pierre Daix. À vrai dire le bleu était apparu bien avant mais il devient ici comme une marque, un signe, de cette série consacrée aux pauvres, aux misérables, aux vaincus, - buveuses d'absinthe, pierreuses, jeunes prostituées, enfants, Pierrots, mendiants, mais aussi portraits d'amis -, série qu'il développe jusqu'à son installation définitive à Paris, en 1904. Le peintre évolue alors entre Barcelone, Paris et Madrid. Trois œuvres se détachent pour cette production : l'Autoportrait en bleu, la Célestine et la grande toile au sens énigmatique La Vie: du côté gauche un couple nu enlacé - l'homme est Casagemas -, de l'autre, une femme tenant un enfant dans les bras, tandis qu'au milieu, mais au second plan, un chevalet avec deux toiles, un couples enlacé transi, un vieillard cachectique replié sur lui-même. Dans un premier temps, quelques dessins préparatoires en témoignent, Picasso avait pensé remplacer la mère par un auto-portait palette à la main. Allégorie de la peinture plus vraie que la vie ? De la vie malgré tout ? Mêlée intimement à cette section une série consacrée au Picasso érotique n'est pas si incongrue qu'il n'y paraît. Un dessin montre son ami Angel de Soto, assis, habillé avec élégance mais débraguetté, turgide, fumant nonchalamment sa pipe, qui de son index droit chatouille une femme nue assise sur ses genoux (devinez où ?). Tout est dit sur l'aliénation de la prostituée. Oublions ces images où quelques copains se remémorent leur « bons moments » et disons que, si Picasso n'a jamais passé pour un féministe, il aima et fut aimé de femmes de fort caractère qui n'avaient rien de victimes exploitées...

 

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De 1904 à 1906, les couleurs plus chaudes, rouges, roses, bistres, réapparaissent, les thèmes évoluent : Arlequins, saltimbanques, acrobates, montreurs d'animaux, Hercules de foire, adolescents deviennent ses sujets préférés. Une peinture assez sentimentale. Il pratique la gravure et la sculpture. Les gravures qui sont la partie la moins connue de sa production, occupent une place importante à ce moment. Il dessine au burin à même la plaque ébauches et croquis d'une extraordinaire vivacité. Mais son sujet préféré reste toujours la femme. Nu cariatide, nu idole - fascinant et repoussant à la fois -, belle à sa toilette, femmes se coiffant. Il reprend en lui conférant une monumentalité bizarre un sujet emprunté au Bain turc d'Ingres qu'il découvre à ce moment, en 1905. À la même époque, il est fasciné par l'art antique ibérique dont le Louvre vient d'acquérir une importante collection. Il achète même quelques pièces dont il ignore qu'elles ont été dérobées au musée. Il les rendra. Il trouve là un modèle de représentation de la réalité, l'art d'aller à l'essentiel qu'inconsciemment il recherchait. Leçon que complètera son séjour dans le petit village catalan Gósol avec ses paysages arides, quasi géométriques, ses personnages émaciés, taillés à la serpe. La route vers le Cubisme est ouverte... 

 

Il ne faut pas trop se laisser influencer par le découpage en périodes de l'œuvre Picassien, en dépit des « révolutions » apparentes, il y a une profonde continuité sous-jacente dans son cheminement : les thèmes débordent les frontières et c'est à une lente évolution des formes et des couleurs, à une montée auquel nous assistons. On poursuivra cet itinéraire au centre Pompidou avec l'exposition sur le Cubisme... 

 Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

- Gustave Coquiot, 1901, huile sur toile, 100 sur 81 cm, Paris, musée national Picasso, dépôt du Centre Pompidou, © Centre Pompidou, MNAM-CCI, RMN-Grand Palais / Béatrice Hatala © Succession Picasso 2018

- La Célestine, huile sur toile, 74,5 sir 58,( cm, Paris, musée national Picasso, © RMN-Grand Palais, photo Mathieu Rabaud. © Succession Picasso 2018

- Ecocation (L'Enterrement de Casagemas), huile sur toile, 150 sur 90 cm, Paris, musée d'art moderne de la ville de Paris, © www.bridgemanimages.com © Succession Picasso 2018

- Acrobate à la boule, 1905, huile sur toile, 147 sur 95 cm., © Image, Pushkine State Museum of Fine Arts, Moskow © Succession picasso 2018

 

 

 

 

 

 

 

Picasso, Bleu et rose

18 septembre 2019 – 6 janvier 2019

Musée d'Orsay, grand espace d'exposition

1, rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris

Internet :www.musee-orsay.fr

Tél. : 01 40 49 48 14

Horaires et tarifs : du mardi eu dimanche de 9h30 à 18h, nocturne jusqu'à 21h45 le jeudi, fermeture le 25 décembre. Tarifs, 14€ et 11€ (voir sur le site le détail), pour la gratuité consulter le site.

Publications : catalogue, éditions musée d'Orsay/Hazan, 350p., 45€ ; album de l'exposition, coédition éditions du musée d'Orsay et des éditions Hazan, 9€.

Autour de l'exposition : conférences, événements, visites guidées, atelier, consulter le site du musée.