Expositions
Fernand Khnopff (1858 - 1921)
Les femmes, gardiennes de secrets indicibles, ne peuvent qu'être mystérieuses et évanescentes, leurs yeux d'eau insistants, interrogateurs, troublent le spectateur en un reproche muet, une invite équivoque... Mondes clos, atmosphères torpides, sommeils profonds, rêveries infinies, là tout n'est que parfums orientaux, tissus aussi lourds que riches, bijoux, brumes où se dissolvent les formes... Ah Byzance, Athènes, enfin Bruges la morte ! Tout l'attirail d'un Symbolisme qui nous paraît aujourd'hui aussi surfait que dérisoire... Pourtant l'univers de Fernand Khnopff que le musée du Petit Palais à Paris expose en ce moment, sans qu'il échappe toujours aux défauts de cette pacotille esthétique, est un monde étonnamment clair et léger ; un monde qui dépasse en profondeur et en poésie les clichés et les recettes un peu surfaites de ce mouvement triomphant, autour des années 1900, dans l'Europe entière.
Sont exposées ici les œuvres principales de cet artiste qui, pour ses créations les plus connues s'est fait le chantre de la femme. Une composition manque cependant, peut-être la plus emblématique, « Memories » (1889) intransportable pour des raisons de sécurité – les plus anciens se souviendront de cet immense pastel (127 sur 200 cm.) exposé en 1979 au musée des Arts décoratifs à Paris, il avait fait sensation alors : dans un paysage indéfini et crépusculaire, sept figures féminines pour lesquelles il avait fait poser sa sœur se tiennent immobiles, silencieuses, groupées par deux, par trois ou solitaires tenant chacune une raquette à la main. Œuvre mystérieuse, à la signification ambigüe, pour ne pas dire absconse, et par là-même envoutante en ce qu'elle invite le spectateur à projeter ses propres fantasmes, ses intimes sentiments ; œuvre obsédante aussi de par la répétition de cette unique figure en des costumes et des attitudes différents. Effigies proches physiquement mais isolées chacune perdue dans son rêve, dans sa solitude... On devra se contenter des photos prises par l'artistes lui-même et de dessins préparatoires.
Outre « Memories », l'image obses-sionnelle de la sœur - double psychique si proche, si semblable et si dissemblable à la fois, communiant en une sorte de gémellité de l'âme - occupe une place centrale au milieu de ses figures féminines. Elle est là, posant en photo, idéalisée en peinture, en dessin, pour donner chair aux allégories : images de la femme, interdite, inac-cessible, troublante de par sa froideur. Amour incestueux qui n'ose dire son nom ? Homosexualité refoulée au plus profond de la psyché ? Qui le saura jamais ? L'incertitude de l'âme qui forme la trame psychologique de l'artiste explique – si l'on peut expliquer les moteurs de la création – les choix d'une existence placée toute entière sous le signe de l'intran-quillité. Fernand Khnopff a cherché, dans sa création comme dans sa vie les clés d'un monde où esthétique et mystique se fondaient en un tout harmonieux. Il fut un adepte fidèle et convaincu de ce bizarre personnage que fut le Sâr Péladan et finalement trouva une partie de ce qu'il recherchait dans la philosophie du penseur suédois Swedenborg.
Pour enfermer ses rêves dans un cocon digne de leur fragilité, l'architecte belge Edouard Pelseneer, sur ses injonctions précise, lui construisit une superbe villa, véritable « temple du Moi », où, selon une scansion savamment orchestrée, le visiteur parvenait jusqu'au saint des saints. La maquette du bâtiment, aujourd'hui disparu, ouvre l'exposition, les organisateurs s'en sont inspirés pour imaginer l'écrin où ils ont enchâssé cette œuvre si singulière. Signalons aussi, un élégant espace bibliothèque-repos offert au visiteur pour se documenter ou tout simplement se reposer
Fernand Khnopff est né le 12 septembre 1918 à Grembergen-lez-Termonde dans le châgteau de son grand-père maternel. L'année suivante son père, magistrat de son état, installe la famille à Bruges où il vient d'être nommé. Ces premières années dans une ville aussi magnifique que mélan-colique, au charme décadent, « Bruges la morte » écrira plus tard son ami Georges Rodenbach, frappent la sensibilité du jeune garçon et influenceront l'adulte. Il suit un cursus classique d'études artistiques à Bruxelles com-plétées par des séjours à Paris où il fréquente les cours libres de Jules Lefèbvre et l'atelier Julian ; mais ce sont surtout les préraphaélites anglais, avec lesquels il se sentait proche, ou encore l'esthétique de la Sé-cession viennoise et munichoise qui influenceront son art. Lon-dres, Munich, Vienne plus que Paris seront les lieux où il se sent en empathie avec le milieu intellectuel. Paris, même s'il devient proche du Sâr Peladan et qu'il participe à toutes les expositions des Rose-Croix, lui sera toujours une ville un peu étrangère.
Il connaît ses premiers succès en tant que portraitiste à Bruxelles et devient le peintre de la bonne société belge, plus que ses rares effigies masculines qui ne dépassent pas ce qui se fait ailleurs, il a l'art de représenter les bonne bourgeoises de l'époque en de petites toiles dépouillées, minutieuses, ou leurs élégantes silhouettes se détachent sur un fond clair. Les enfants surtout l'inspirent et il sait rendre leur fraîcheur, leur innocence en des tableaux délicatement colorés ; on remarquera les enfants de M. Nève qu'il a adroitement placés dans l'escalier de leur demeure ou la petite fille du graveur Van der Hecht dont le visage et la chevelure semblent se dissoudre dans un fond coloré et flou. Il fut aussi un paysagiste sensible. Bruges bien entendu mais aussi et surtout Fosset dans les Ardennes où se trouvait la maison de campagne familiale l'ont inspiré. Les vues de Fosset, échos de son désenchantement, rendues en touches fines presqu'imperceptibles sont d'une infinie mélancolie. Le peintre semble peu intéressé par les ciels qui ne sont pas absents certes mais il s'intéresse plus aux jeux de l'eau, aux reflets, aux architectures... tout cela dans une atmosphère crépusculaire.
Fernand Khnopff, le symboliste, est avant tout l'un des maîtres incontestés de ce mouvement et il en a créé quelques unes des œuvres les plus emblématiques. L'Art ou Des Caresses, exposé à la première Sécession de Vienne en 1898 et devenu une icône, est une interprétation très personnelle de la confrontation d'Œdipe et du sphinx : le sphinx est une sphinge, et l'animal est un léopard et non un lion, enfin, comme le souligne le second titre, ici plus d'interrogation anxieuse mais plutôt une étrange et tendre scène entre un être fabuleux et un jeune homme. On ne discerne pas le sens profond de cette scène mais elle séduit.
Il trouve son bien dans une antiquité, une antiquité rêvée plus que réellement archéologique, et dans les mythes du moyen-âge qu'il « revisite » comme nous le dirions aujourd'hui. Cependant cet homme qui se réfugiait dans le rêve était parfaitement au courant de ce qui se faisait en fait de techniques photographiques et les utilisait dans son travail en faisant poser ses modèles. Il en avait compris aussi l'intérêt pour la diffusion de son œuvre : il faisait exécuter par le photographe Alexandre certaines de ses compositions, il les retouchait au crayon de couleur ou en pastel, sortes de multiples avant la lettre.
Telle fut la trajectoire d'un artiste attachant, toute dédiée à la traque d'un beau idéal, un beau sans cesse s'évanouissait alors qu'il pensait s'en approcher...
Gilles Coÿne
- L'art ou Des Caresses, 1896, Huile sur toile, 50,5 sur 150 cm, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, crédits photos, J. Geleyns Art Photography
- Les lèvres rouges, vers 1900, photographie d'Alexandre rehaussée au crayon et au pastel, collection Lucile Audouy, photot Thomas Hennocque
- Portrait des enfants de M. Nève, 1893, huile sur toile, collection privée, photo AKG-images
- I Lock my Door Upon Myself, huile sur toile, 72 sur 140 cm., Munich, Neue Pinakothek, crédits photos photo BKP Berlin
Fernand Khnopff
Le Maître de l'énigme
11 décembre 2018 -17 mars 2019
Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
- Tél. : 01 53 43 40 00
- Informations : www.petitpalais.paris.fr
- Horaires et tarifs : du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturnes les vendredis jusqu'à 21h. Fermé le lundi. Tarifs : 13 et 11€, gratuité jusqu'à 17 ans inclus. Billet couplé avec l'expositionJean-Jacques Lequeu, le bâtisseur de fantasmes, 15 et 13€.
- Publications : Michel Draguet et Dominique Morel, Fernand Khnopff le maître de l'énigme.Album de l'exposition, 96p., 75 illustrations, 11,90€ ; Michel Draguet : Fernand Khnopff.- éditions Fonds Mercator, 304p., 49,95€
- Activités culturelles : visites guidées, conférences, concerts, projections, consulter le site du musée.