Expositions
Franz Marc (1880-1916) / August Macke (1887-1914)
l'aventure du Cavalier bleu
Une belle histoire d'amitié et de création, celle qui réunit pendant quelques années deux jeunes artistes germaniques Franz Marc et August Macke à Munich juste avant la première guerre mondiale. Brève rencontre mais rencontre féconde puisqu'elle a débouché sur un des mouvements artistiques les plus radicaux de l'Allemagne expressionniste, le Blaue Reiter, le Cavalier Bleu. Le musée de l'Orangerie, dans le cadre pluriannuel de son exploration des avant-gardes européennes, consacre une exposition à leur collaboration pour cet aussi éphémère que célèbre mouvement.
Munich était alors, avec Berlin, une des villes les plus stimulantes et les plus vivantes de l'Allemagne. Là à l'écart d'une société embourgeoisée engoncée dans ses certitudes sociales, culturelles et religieuses, à Schwabing, s'agitait toute une faune imaginative et créative. Revues, parfois éphémères, livres, expositions, théâtres entretenaient une animation aussi joyeuse que désordonnée, une vie propice à l'innovation. C'était une société dans la société, ouverte à tout ce qui se faisait ailleurs en Europe, que ce soit à Berlin, à Vienne et surtout à Paris. Le Munich de ce temps attire Wassili Kandinski, sa compagne Gabriele Münter, Alexej von Jawlensky et Marianne von Werefkin... Plusieurs expositions font connaître Paul Cézanne, Paul Gauguin, le Douanier Rousseau, Vincent Van Gogh, Robert Delaunay...
Franz Marc, munichois de naissance et fils d'artistes et d'intellectuels protestants (dans une ville bastion du catholicisme en Allemagne), a longtemps hésité sur sa carrière - pasteur ? Philosophe ? - pour finalement s'orienter vers les arts plastiques. Il rejette rapidement l'enseignement sclérosé de l'Académie des Beaux-Arts de Munich qu'il quitte, après un voyage à Paris en 1903, avant d'avoir achevé le cycle, et décide de se consacrer en priorité à la peinture animalière. Choix philosophique. La vision du jeune artiste n'avait rien à voir avec le naturalisme d'une Rosa Bonheur par exemple, Il concevait l'art comme une expérience à la fois mystique et lyrique : les animaux étant considérés, à l'inverse des humains, comme plus près de la nature, leur représentation devait permettre une approche du monde empathique et débarrassée de tout affect humain.
Ses premières toiles de teintes claires et gaies décrivent un monde apaisé selon une vision délibérément optimiste ; signalons deux petits tableaux à la pâte riche représentant un cavalier nu chevauchant à cru devant une mer d'émeraude. La silhouette de l'homme se perd dans le ballet des touches virevoltantes de même les linges d'une lessive claquant au vent prennent des allures de voiles conquérantes dans la seconde toile, à côté son Lapin de garenne(il y a tout à craindre de ce genre de sujet !) est une ode à la sérénité de la nature. En 1910, quand il rencontre le jeune August Macke il est déjà un artiste confirmé. Une brève et féconde amitié naît. L'éloignement, viendra plus tard, quand le plus jeune, en s'en gaussant, refuse l'évolution vers une abstraction mystique dans laquelle tombe l'aîné sous l'influence de Kandinsky et de Jawlensky.
August Macke, né lui aussi dans un famille à la vive sensibilité esthétique, a connu un parcours parallèle. Tout comme son aîné il récuse l'enseignement académique et s'il a fréquenté quelques mois l'atelier de Lovis Corinth à Berlin, il cherche ses modèles à Paris chez les Impressionnistes et plus tard chez les Fauves. Il est d'une étonnante maturité et d'une fécondité étourdissante. Ses toiles aux formes simplifiées, soulignées souvent d'un contour noir, faussement naïves, décrivent un monde apaisé et heureux – il venait de se marier avec la jeune fille qu'il aimait depuis son adolescence. Les coloris gais et éclatants font de ces petits tableaux des icônes du bonheur : voir les Géraniums devant la montagne bleue, où tout est disposé avec évidence en un équilibre parfait de formes et de couleurs chaudes et froides. Une parfaite image d'un matin acidulé en montagne.
Sous l'influence de son ami la palette de Franz Marc se réchauffe et même l'artiste se risque à un certain humour : son Tableau pour un enfant(Chat derrière un arbre) avec ses verts, le tronc bleu irréaliste mais qui fait si bien vibrer le roux du matou ensommeillé est très séduisant. Son Bon Berger(un garçon avec un agneau), une référence à une statue grecque archaïque du musée d'Athènes, le Moscophore, est sa toile la plus ambitieuse. Le jeune garçon, nu, dans une position tendue, ployant sous le faix de l'agneau blanc, lutte contre les éléments, une eau sombre agitée à l'écume blanche, des nuées vibrantes de rouges, de carmins, de cinabres. Et encore son Chien couché dans la neige, virtuose jeu de blancs, ses Trois animauximprobable réunion d'un chien d'un chat et d'un renard (évocation d'un paradis perdu?)...
Que ce soit à Paris, à Vienne, à Munich ou ailleurs le processus est le même : un salon officiel, après sélection expose les artistes retenus, la critique fait son travail ; par définition ce genre de manifestation génère un art officiel assez fermé, pour ne pas dire hostile, aux innovations. Les artistes qui ne se retrouvent pas dans les valeurs classiques ou tout simplement ostracisés, créent d'autres structures pour défendre leur sensibilité : ce sera le Sécession comme à Vienne, à Munich, à Berlin ce qui n'est pas sans créer quelques remous. À son tour la Sécession ne saurait représenter tout le monde : à Munich, Phalanx et la NKVM (Neue Künstler vereinigung München – Nouvelle Association des Artiste Munichois), dont Franz Marc deviendra le vice-président, voient le jour. Mais même l'orientation de cette dernières association très souple ne satisfait pas pleinement Marc et ses amis, Wassily Kandinsky, Paul Klee, elle n'offre pas une place suffisante à leur soif d'absolu et de transcendance spiritualiste d'où l'idée de créer un nouveau mouvement le Blaue Reiter, le Cavalier bleu. « Nous(Marc et Kandinsky) aimions tous les deux le bleu, Marc les chevaux, moi les cavaliers... » Un Saint Georges de l'art terrassant le dragon d'une tradition réactionnaire arque-boutée sur des certitudes d'hier devient le héros de la nouvelle peinture...
En fait plus que les quelques expositions collectives, l'Alma-nach du Blaue Reiter par référence aux publications populaires, publié en 1912, a marqué les esprits. Cet ouvrage, entièrement rédigé par des artistes, affirme qu'il n'y a pas de hiérarchie des genres, que ce soient ce que nous appelons les arts premiers, l'art populaire, l'art brut, les dessins d'enfants, l'archéologie etc. que des passerelles doivent être établies avec la musique, la littérature... Ils militent pour la spiritualité dans l'art et penchent de plus en plus vers l'abstraction que ce soit Kandinsky, Marc ou Macke. Deux étonnantes compositions de Macke sont des variations colorées géométriques à l'opposé de celles plus lyriques, plus déstructurées de Kandinsky.
étonnant le cosmopolitisme de ces artistes : jusqu'à la veille de la première guerre mondiale, c'est un incessant échange de tableaux, de visites, d'expositions. Une internationale d'artistes, avide de ce qui se passe dans la capitale voisine, surtout Paris, semble absolument aveugle au drame qui se prépare et qui va balayer l'élite intellectuelle et artistique de l'Europe. Ne voit-on pas Macke partir en Tunisie en compagnie de Paul Klee au printemps 1914 ? Il tombera le 23 octobre en France, il avait vingt sept ans. Franz Marc le suivit deux ans plus tard près de Verdun, il en avait Trente sept. Ce n'est pas sans une certaine mélancolie devant ces œuvres colorées et gaies, que nous songeons à ces trajectoires prometteuses, brisées par un conflit qui fut comme un suicide de l'Europe.
Gilles Coÿne
- Frantz Marc, Tableau pour enfant (Chat derrière un arbre),1911, huile sur toile, collection particulière © Christie's images limited
- August Macke, Trois jeunes filles avec des chapeaux de paille jaunes, 1913, huile sur toile, La Haye, collection Gemeentemuseum © Collection Gemeentemuseum.
- Franz Marc, Chevaux se reposant, 1912, encre sur papier, La Haye, Gemeentemuseum © collection Gemeentemuseum.
- August Macke, Colored Forms, 1913, huile sur carton, Ludwighafen, Wihelm-Hack-Museum © Wihelm-Hack-Museum, Ludwigshafen
Frantz Marc / August Macke
L'aventure du Cavalier bleu
6 mars – 17 juin 2019
Musée de l'Orangerie, niveau -2, espace d'exposition
1, place de la Concorde – jardin des Tuileries (côté Seine)
75011 Paris
- Tél. : 01 44 50 43 00
- Mail :
- Internet : www.musee-orangerie.fr
- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le mardi de 9h à 18h., fermeture le 1r mai. Tarif unique 9€, réduit, 6,5€, gratuité le premier dimanche du mois, adhérents, moins de 26 ans, tarif réduit pour l'accompagnant de deux enfants de moins de 18 ans. Visites guidées 6€ ; visites ateliers 6€. Pour le programme détaillé consulter le site.
- Publication : catalogue, co-édition musée de l'Orangerie / Hazan, 192p., 120 ill. Environ, 39,95€.
- Animation : visites conférences, Danse, films, ciné-concert, consulter le site.