Expositions

 

 

Degas à l'Opéra

 

 

 

Degas, obligé de passer quelques temps à la Nouvelle Orléans pour affaires de famille – Il est sorti de ce séjour un tableau aujourd'hui au musée de Pau –, se plaignait de ce qu'il n'y avait pas d'opéra dans cette ville et que la vie y était d'un mortel ennui. L'anecdote montre la place que tenait la musique dans sa vie : la première. Une exposition passionnante du musée d'Orsay montre comment chez lui création et musique, intimement liées, se nourrissaient l'une de l'autre. Bien entendu il y est beaucoup question de danseuses, elles occupent même une place prépondérante (un peu trop et un peu trop connues?) mais y est décrit aussi l'univers personnel du peintre fait d'amitiés et d'admiration pour artistes et interprètes. Apparemment Degas n'était pas si hautain dans le choix de ses amitiés qu'il n'y paraitrait au vu de ses origines sociales. Les Degas, de Gas en fait, appartenaient à la fois au monde de la grande banque et de l'aristocratie, monde bien éloigné des concertistes et des musiciens d'orchestre dont il rechercha l'amitié et qu'il portraitura avec beaucoup d'empathie.

 

Degas1

 

Les lundis musicaux organisés dans leur salon par les parents du peintre étaient très courus où on militait pour la redécouverte de la musique ancienne, Bach, Couperin, Rameau, Gluck. Degas dans ses débuts se consacre presque uniquement au portrait : sa famille mais aussi les artistes qui fréquentaient l'hôtel familial : le ténor Lorenzo Pagans, s'accompagnant de la guitare avec au second plan l'unique portrait qu'il fit de son père, Auguste De Gas, dans une attitude familière. La toile voisine avec La Leçon de chant(1869) qui rend peut-être mieux encore l'atmosphère décontractée de ces soirées : on a poussé les meubles, roulé le tapis, et deux jeunes femmes - dont l'une était sans doute sa sœur, amateur confirmée -, accompagnées au piano, jouent une scène d'opéra. On notera la gestuelle outrée de ces deux dames qui imitent celles des divas sur la scène. Il n'est pas sûr qu'il faille voir dans cette petite toile l'illustration d'une scène réelle dans un cadre tout aussi réel mais l'ambiance est bien retracée ; on notera le cadrage en plongée efficace et le travail raffiné de la peinture avec les transparences virtuoses des couches picturales superposées. Les pianistes Blanche Camus, représentée ici par un superbe dessin, et Marie Dihau dont le très intériorisé portrait est une des œuvres majeures du musée d'Orsay complètent la série de ces virtuoses féminines.

 

Degas2

 

Du côté masculin, le violoncelliste Louis-Marie Pilet, superbe présence, s'abstrait un instant du travail sur une partition et laisse son regard se perdre par delà la fenêtre. L'ombre géométrique de la caisse de l'instrument au premier plan architecture la toile, en un efficace repoussoir. Le frère de Marie, Désiré Dihau, bassoniste dans l'orchestre de l'opéra lui passe commande de son portrait, ce sera L'Orchestre de l'Opéra(1870). En fait un portrait collectif d'amis puisqu'on y reconnaît outre le musicien au centre, Gouffé le contrebassiste, le flutiste Allès etc. tout au fond, dans la loge, comme décapité, le compositeur Chabrier. Les figures ne sont pas disposées selon la logique de la formation orchestrale mais dans celle propre au tableau. Pour la première fois aussi il superpose deux registres, celui de la scène, violemment éclairée opposé à celui de l'orchestre dans l'ombre et il a l'audace de couper les danseuse au niveau des épaules. Un monde réel, un monde irréel peint en un poudroiement de roses, de blancs, de verts bleutés. Une réussite et aussi son premier grand succès public. Degas renouvèlera cette construction bipartite pour les ballets comme pour l'opéra : les spectaculaires toiles dédiées au ballet nocturne des nonnes maudites dans Robert le Diablefera regretter que dans les (rares) reprises aujourd'hui de cet opéra on se permette de supprimer purement et simplement ce moment. Toiles sombres où la scène, toujours hâtivement brossée, s'équilibre avec le registre de l'orchestre plus fouillé.

 

Le tableau représentant Mlle Fiocre en costume et au milieu du décor pour le ballet de Minkus et Delibes La Source,ne reproduit pas à proprement parler une scène précise, bien que l'étoile soit entourée de ses comparses, ni un portrait. C'est une toile colorée, chatoyante, comme la musique, qui n'est pas sans anticiper le Gauguin des îles ; premier tableau qu'il ait consacré au monde de la danse. Ce monde qui fit sa célébrité occupe les deux tiers restant de l'exposition.

 

 

Degas3Degas a connu l'opéra Le Pelletier avant l'Opéra Garnier qui ne fut inauguré qu'en 1874. Une stance de l'exposition, comme une césure dans le parcours, retrace ce que fut ce type de d'établissement au milieu et à la fin du XIXe siècle : un lieu de culture et de mondanités, le laboratoire d'une nouvelle esthétique officielle faite de richesse, de luxe, et de surabondance décorative. L'Opéra Garnier en est la quintessence et sa spectaculaire maquette explique fort bien comment tout s'organisait autour de ce trou noir, la scène et ses espaces accessoires, qui coupent en deux la bâtiment : Le lieu ne se réveillait qu'au moment du spectacle grâce à la lumière, aux décors, aux artistes ; c'est ce miracle de la lumière artificielle qu'il ne cessera pas d'analyser, de dompter. Plus loin dans des vitrines les projets de décor d'opéras comme de ballets dont on sait que le peintre les a vus et les a aimés ; on peut même entendre quelques chanteurs qu'il a admirés dans des enregistrements d'époque, enregistrements nasillards relevant plus de la curiosité que de la délectation... 

 

Le thème de la danse et des danseuses, répété parfois jusqu'à l'ennui, est pour Degas un moyen d'expérimentation, une exploration des possibilités de la représentation. « Sérieux dans un endroit frivole », il en peint l'éblouissement non sans cruauté ; il ne juge pas, mais l'approche froide, clinique, dénuée d'empathie qui est la sienne, a quelque chose de l'entomologiste. Danseuses, maîtres de ballet, répétiteurs, admirateurs, ne sont pour lui que des sujets à peinture, à expérimentation. Cette distance n'est jamais mieux sensible que dans l'effigie, grandeur nature, qu'il fit d'un petit rat : statue de cire noire où l'adolescente exécute un mouvement d'étirement, son visage quasi simiesque, le tutu en véritable tulle, ont décontenancé ses contemporains, et nous met mal à l'aise encore aujourd'hui.

 

S'il représente les évolutions de ravissants papillons blancs ou de couleurs pastel exécutant comme en se jouant les figures les plus acrobatiques dans l'éclat de la lumière, il s'intéresse tout autant à l'envers du décor – au sens propre du terme - où de gros messieurs la bonne cinquantaine en frac noir et hauts de forme côtoient des filles à peine nubiles et quasiment nues (selon les critères de l'époque) sous le regard de mères, gérant la « carrière » de leur progéniture. Son ami, Ludovic Halévy, en tirera une chronique acidulée relatant les aventures de la famille Cardinal qui eut un succès foudroyant. L'artiste en tirera une série dans un médium nouveau, le monotype, procédé entre le dessin et la gravure où le hasard joue une grande part, en illustration de ce roman à scandale - Halévy préféra une version moins caustique pour l'édition. Degas mènera d'ailleurs de pair une autre série dédiée à la prostitution et aux maisons closes tout aussi féroce.

 

Degas4

 

Degas n'est pas un moraliste, il représente ce petit monde tel qu'il va avec ses moments de gloire – la scène – mais aussi les moments de travail, de repos (Ah cette danseuse qui se gratte le dos !). Le sujet des ballets cent fois remis sur le métier est surtout l'occasion d'expérimenter de nouvelles possibilités esthétiques. Il joue sur les formats, essayant des toiles en long – la largeur de deux fois la hauteur -, même le format en éventail, puis sur les vides et les pleins, n'hésitant pas à exiler le sujet principal sur les marges. Il adopte des points de vue insolites : plongée, contre plongée. Enfin dans les dernières années, alors que sa vue baisse, il dessine de grands tableaux où les corps écartelé ne sont plus que d'admirables arabesques. Du grand art.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

1 – L'Orchestre de l'Opéra, vers 1870, huile sur . Musée d'Orsay ©RMN/Grand Palais (musée d'Orsay)/ Patrice Schmidt

2 – La Répétition de chant, 1873 – 1873, huile sur toile, Washington, DC, Dumbarton Oaks ©Dumbarton Oaks, House Collection.

3 – Les petites Cardinal parlant à leurs admirateurs, 1876/77, monotype, projet d'illustration, musée d'Orsay, ©RMN Grand Palais musée d'Orsay / Adrien Didierjean

4 – Danseuse au bouquet, 1878, pastel marouflé sur toile, Paris, musée d'Orsay ©RMN/Grand Palais (musée d'Orsay)/ Stéphane Maréchalle

 

 

 

 

 

 

Degas à l'Opéra

Jusqu'au 19 janvier 2020

Musée d'Orsay

Grand espace d'exposition

1, rue de la Légion d'honneur, 75007 Paris

- Tél. : 01 40 49 48 14

- Internet : www.muee-orsay.fr

- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h, jusqu'à 21h45 le jeudi. Tarifs : plein tarif, 14€ / tarif réduit 11€ (tout asulte accompagné d'un enfant, familles nombreuses, touts pour les nocturnes à partir de 18h) ; gratuité, enfant de moins de 18 ans, 18-25 ans ressortissants des pays de l'Union européenne, Amis du misée, personnes handicapées, demandeurs d'emplois et pour tous le premier dimanche du mois).

- Publications : Catalogue, 328p., 331 illustrations, 45€. Pour les jeunes :Les Pop up du musée d'Orsay, 14p., 13,50€.

- Autour de l'exposition : performances, documentaire, concerts, colloques, cinéma, Danse, visites guidées, ateliers, consulter le site du musée.