Expositions

 

 

 

Luca Giordano (1634-1705)

le triomphe de la peinture napolitaine

 

 

 

 

Giordano1Ils sont quatre, les autoportraits de Lucas Giordano, ils ouvrent l'exposition que le musée du Petit Palais à Paris consacre à ce maître du XVIIe siècle. Le plus séduisant, vers 1665, alors qu'il aborde la trentaine, le montre richement vêtu de sombre, une chaîne d'or au cou, visage tourné vers le visiteur. La chevelure librement répandue sur l'épaule, le beau regard plein de douceur, la barbe soigneusement taillée, confèrent une aura romantique à cette superbe effigie d'un jeune homme qui a commencé à conquérir le monde. Trente ans plus tard, autour de 1692, il se représente en gros plan, les traits empâtés, le nez chevauché de besicles. La matière picturale plus lourde dénonce les fatigues d'un artiste qui a connu le succès mais qui en a peut-être trop vu et ne songe plus qu'à revenir mourir dans sa patrie... 

 

C'est que pour Naples, sa ville natale, le XVIIe siècle est, certes, un siècle d'or pour les arts mais aussi et surtout un âge d'airain : la révolte populaire de Masaniello en 1647 puis, moins de dix ans plus tard, en 1656, la peste, ont été des épisodes dramatiques. En quelques mois cette ville, une des plus peuplée d'Europe, des plus vivantes, va perdre plus de ma moitié de sa population. Au pic de l'épidémie, dix à quinze mille personnes meurent chaque jour. On ne peut plus enterrer les morts, les cadavres s'accumulent, encombrent les rues répandant partout une odeur atroce, insupportable. Une épouvante dont un petit maître, Micco Spadaro, a illustré l'horreur en un tableau exposé plus loin. Même si ces événements dramatiques ont peu marqué sa peinture, en regardant ses retables si élégamment organisés, ses Vénus si sensuelles, nous ne devons jamais oublier qu'à vingt-deux ans le peintre a connu le pire dans une ville qui avait perdu jusqu'à la notion d'espoir.

 

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Lucas Giordano était le fils d'un artiste au talent modeste mais qui sut le former en l'obligeant à copier les grands maîtres et à exécuter quelques toiles « à la manière de » qui lui assurent une notoriété précoce. Il était d'une virtuosité confondante, sans que cette célérité nuise à la qualité de ses œuvres. Il y gagna le surnom de « fa presto » témoignage de la grande admiration dont il jouissait de la part de ses contemporains, mais aussi, plus subtilement, d'une certaine distance vis à vis de tant de facilités. Il est l'auteur de plus de cinq mille peintures sans compter les vastes fresques décoratives à Florence et en Espagne. La première salle qui expose quelques-uns des grands retables peints pour les églises de Naples, est caractéristique de sa faconde mais aussi de sa trop grande facilité : comment ne pas être séduit au premier regard par un sens de la composition si harmonieux, emballé par une telle expressivité de la gestuelle, séduit par l'éclat d'un coloris à nul autre pareil ; tout emporte notre adhésion (c'est fait pour ça d'ailleurs). Mais, mais... comment ne pas remarquer aussi la répétitivité des formules comme si Giordano avait puisé son vocabulaire artistique dans un dictionnaire de formes, un livre de recettes. Trop d'aisance, trop d'élégances cela convainquait à l'époque mais aujourd'hui ? Prenons par exemple, une de ces grandes toiles (autour de quatre mètre de hauteur), peinte pour l'église de Pontecorvo, La Sainte Famille et les symboles de la Passion.Que voit-on ? Sur terre, en bas à gauche, un charmant bambin frisotté d'or ouvre les bras en signe d'acceptation, sa mère comme énamourée, son père perdu dans ses pensée ; sur la gauche plus haut un envol d'anges mutins présente la croix, la lance, les clous bref les instruments de la passion, tandis qu'en haut Dieu le père le manteau gonflé par le souffle de l'espoir indique le paradis. Ce genre de piété édifiait alors. Aujourd'hui nous serions plutôt horrifié devant le traitement euphémique de ce qui fut, si l'on y réfléchit un peu, un drame affreux.

 

Giordano3Paradoxalement Luca Giordano, en ses débuts et parallèlement à cet art mondain, subit l'influence de Ribera. Une peinture noire, dramatique, dernier moment d'un Caravagisme que le Baroque supplante. Épisodes tragiques tant dans le domaine religieux que dans le domaine profane ou mythologique, en une seule année (1660) il peint un Christ à la colonne, un Apollon et Marsyas, une Crucifixion de Saint Pierre. Le fils de Dieu, entouré de ses tourmenteurs, surgit blafard d'une nuit dramatique tout comme l'Apollon en train d'écorcher le satyre dont la posture, tête renversée, pied en haut, n'est pas sans rappeler celle du Saint Pierre crucifié. Peinture noire, aux fulgurances lumineuses brutales, aux coloris délibérément âpres et puissants. Il peint encore des figures isolées sur des fonds neutres qui semblent interpeler le visiteurs : ces personnages qui ressemblent plus à des portefaix qu'à des philosophes, vêtus d'oripeaux douteux ont abandonné tout souci d'élégance voire de simple hygiène pour mieux se consacrer aux disciplines de l'esprit. Géographe, mathématicien, philosophe, musicien, théologiens peints dans une game de bruns et de noirs que viennent éclairer des rouges surgissent dans une atmosphère neutre d'où tout décor est banni.

 

Rome, Venise, Florence, Luca Giordano n'ignore pas ce qui se fait dans les autres grands centres artistiques italiens. Sans pouvoir être accusé de plagiat, l'influence du Titien est primordiale, au point que certaines de ses toiles ont pu passer pour des œuvres du grand Vénitien. Une peinture riche, colorée, sensuelle et d'une aimable facilité qui ne pouvait que plaire. Encore que ses nymphes, ses Vénus, ses Dianes, paraissent manquer parfois de souplesse et font preuve d'une plus lourde sensualité que chez leur grand modèle. Son succès couvre l'Europe. On s'arrache ses tableaux et Florence puis la cour d'Espagne font appel à lui pour de grands décors à fresque : l'Escurial, mais aussi les palais et les églises madrilènes. Par définitions ce genre d'œuvre est intransportable. Une salle tente de palier ce handicap où sont projetés sur le plafond et les murs quelques échantillons de ces vastes compositions.

 

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Ce décorateur hors pair, cet homme heureux, riche, comblé d'honneurs, en 1702 quitte l'Espagne et revient dans sa patrie pour y mourir trois ans plus tard. Les temps ont changé, disons-le, il n'est plus à la mode. Et pour sa dernière commande pour les Gérolami de Naples on discerne dans les tableaux consacrés à la rencontre des saints Philippe Néri et Charles Borromé une véritable émotion : trace de l'amitié profonde qui unit deux personnalités exceptionnelles mais surtout témoignage de l'humanisme de l'artiste qui ne fut pas toujours superficiel.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Luca Giordano

Le triomphe de la peinture napolitaine

Jusqu'au 23 février 2020

Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris

- Tél. : 01 53 43 40 00

- Web : www.petitpalais.paris.fr

- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf lundi de 10h à 18h, nocturne le vendredi jusqu'à 21h. Tarif, 13€, tarif réduit 11€.

- Publications : Luca Giordano, le triomphe de la peinture napolitaine, sous la direction de Stefano Causa. - Paris, 2019, 232 pages, 237 illustrations, 39,90€.

- Animation culturelle : visites guidées, ateliers, consulter le site du musée. 4 février, conférence par Arnauld Brejon de Lavergnée Giordano et ses contemporains. À partir du 12 février, Atelier de 3 jours, Du dessin préparatoire au grand format peint.