Expositions
Peintres femmes, 1780-1830,
Naissance d'un combat
Le musée du Luxembourg propose sous le titre « Femmes peintres 1780-1830, naissance d'un combat » une exposition militante qui comme telle assume ses ambitions comme ses,limites : il ne s'agit ni de toutes les femmes artistes de l'époque pas plus que de l'entièreté de leur domaine d'activité dont des pans entiers jugés spécifiquement « féminins » sont délibérément ignorés, on pense à la nature morte, au domaine floral par exemple ou celui de la miniature. Les organisateurs se sont cantonnés aux seuls genres qu'en ces temps on pensait réservés aux hommes, le portrait d'apparat et la grande peinture d'histoire ; la peinture de genre et le paysage, domaines moins prestigieux mais honorables, étant simplement évoqués.
Depuis les débuts de la Renaissance il y eut toujours des femmes peintres dont la carrière fut aussi brillante que celle de leurs collègues masculins. Pensons à une Lavinia Fontana au XVIe siècle, à une Artemisia Gentileschi au XVIIe siècle et dans le domaine nordique à Judith Leyster dont l'art est aussi vigoureux que celui de son contemporain et maître Frans Hals, citons pour la France de l'époque Louise Moillon qui cache sous l'apparente simplicité de ses « Vies silencieuses » une méditation sur la vie et les fins dernières ; enfin pour le XVIIIe siècle Marianne Loir. Mais à la fin de ce dernier siècle, le nombre des artistes femmes se multiplie elles connaissent un succès grandissant, et font des carrières brillantes, mais elles se heurtent – il n'y a rien de nouveau sous le soleil – au fameux plafond de verre. Certes elles peignent, elles rencontrent le succès, certaines font fortune souvent plus que la plupart de leur confrères masculins, mais les genres considérés comme nobles leur sont interdits : essentiellement la peinture d'histoire qu'elle soit biblique, religieuse ou historique.
La discrimination commence dès la formation : L'Académie leur est fermée, interdit qui ne sera levé qu'en 1891... On les voir mal, vu les préjugés de l'époque, dessinant et peignant le nu, qu'il soit féminin ou, oh horreur, masculin... Ne parlons pas de la promiscuité avec le milieu des rapins aux mœurs parfaitement débridées comme chacun le sait. Elles doivent faire leur apprentissage auprès de peintres qui acceptent de le faire, souvent un ami de la famille, ou encore dans les ateliers féminins qui leur sont destinés et se multiplient après la Révolution. Sous l'ancien régime, elles ne pouvaient exposer au Salon qui se tient tous les deux ans au Louvre et qui était le seul moyen pour un artiste d'obtenir des commandes officielles, la manifestation n'étant ouverte qu'aux membres de l'Académie. Il fallu toute l'autorité du roi pour que Mme Vigée-Lebrun et sa rivale Mme Labille-Guiard se voient ouvrir les portes de l'institution. Auparavant, comme leurs consœurs,elles se contentaient d'être membres de l'Académie de Saint-Luc plus libérale et qui organisait aussi des expositions ; l'institution en accueillit cent trente en 1777.
À lire la biographie de ces femmes on ne peut que constater qu'elles appartiennent pour la plupart à l'étroit milieu artistique parisien, soit fille de, épouse de, sœur de, compagne de... Mme Vigée-Lebrun, fille d'un pastelliste, épouse d'un peintre restaurateur et marchand, Mme Labille-Guiard, intime depuis son adolescence de François-André Vincent qui l'initia à la peinture à l'huile et finira par l'épouser en seconde noces, Marguerite Gérard belle-sœur de Fragonard, tant d'autres... elles furent souvent collaboratrices de leur époux ou de leur amant et bien des tableaux que nous connaissons sous une signature prestigieuse doivent beaucoup à cette discrète collaboration. En témoigne, en fin de parcours le portrait posthume de Mme de Staël peint en 1817 par François Gérard et la copie par sa collaboratrice et amante Marie-éléonore Godefroid accrochés l'un à côté de l'autre ; à la comparaison on remarquera que si le visage peint par l'élève durcit celui du maître, les deux tableaux de même format sont d'une qualité proche ; on pourrait s'y tromper nonobstant la couleur différente de la robe.
Le parcours de l'exposition est agréable, scandé de tableaux aux couleurs vives comme l'imposait le goût de l'époque. Un bémol cependant : les auteurs ont opté pour un approche thématique qui rend le propos un rien dogmatique et peut agacer. On ne fait pas confiance au visiteur et on se croit obligé de guider son regard et pas toujours de manière pertinente. Pire, certaines de ces artistes, les plus talentueuses voient leur production dispersée au gré du discours, au risque d'occulter leur génie. Mme Vigée-Lebrun, Mme Labille-Guiard ou Marguerite Gérard sont particulièrement maltraitées, elles ne sont pas les seules. Enfin certains tableaux manquent cruellement. On pense particulièrement au portrait que fit Mme Benoist de sa servante noire. Certes il a été exposé récemment au musée d'Orsay et on peut l'admirer au Louvre, sa présence ici aurait rehaussé un accrochage parfois un peu ennuyeux et pas toujours convaincant : quelle mouche a piqué les commissaires d'exhumer le « Mars et Vénus » (1841) d'Angélique Mongez où l'on voit un Mars de dos, trapu, au physique ingrat - un commis de boutique costumé à l'antique loin de la « terribilità » que l'on prête au dieu de la guerre -, fouler un nuage cotonneux et se retourner pour offrir à une séduisante Vénus beaucoup mieux venue, une colombe. Finalement le meilleur du tableau réside dans les fleurs éparses aux pieds de la déesse ? Une véritable contre démonstration ! Heureusement « La Mort de Malek-Adhel » (1814) de Césarine Davin-Mirvault, une scène tirée d'un roman paru à l'époque, justifie l'ambition des femmes peintre, tels leurs collègues masculins et souvent mieux qu'eux, à aborder le genre historique. La toile est classiquement charpentée sur deux triangles et on remarque le jeu des regards qui se répondent, non sans une certaine mièvrerie... c'était le goût de l'époque.
Les deux paysages de Louise-Jeséphine Sarazin de Belmont exposés démontrent, qu'une femme peintre peut atteindre l'excellence : saVue de Naples depuis le Pausilippe,vaste et noble panorama de la baie que clôture dans un lointain bleuté un Vésuve enfumé un peu inquiétant, déploie toutes les séductions d'une construction solidement charpentée en plans habilement disposés et celles d'une lumière claire et chaleureuse. On notera, au premier plan le groupe de paysannes et leurs enfants à qui une dame de la bonne société fait la charité... La scène détonne malgré le brio de la facture et montre que l'on peut à la fois revendiquer et être insensibles aux tares de son époque. SonForum le matin,tout poudré d'un or matinal, montre les mêmes qualités. Ces deux tableaux séduisent mais on est bien obligé de remarquer en découvrant leur date d'exécution (entre 1842 et 1860), c'est le temps de la pleine explosion du romantisme et du réalisme, que l'artiste reste fidèle à une esthétique dépassée en dépit du succès qu'elle rencontra à l'époque.
L'essentiel de la manifestation est consacrée au portrait et à la peinture de genre. Beaucoup d'autoportraits ou d'effigies de consœurs mais aussi de confrères : superbe le portrait posthume de David fait par Marie-éléonore Godefroid bien qu'elle ait discrètement atténuée la déformation de sa mâchoire ; surprenante aussi la toile où Marie-Adélaïde Durieux (1793-98) s'est représentée. Image sans apprêt où la dame au regard aussi aigu que son nez, défie le visiteur. Affirmation de soi-même rare chez ces artistes qu'ils soient masculins ou féminins. On sera charmé aussi par la représentation d'elle-même que fit la ravissante belle-sœur de Victor Hugo, Julie Duvival de Montferrier. Abordant la scène de genre, peinture de tous les dangers que guète l'insignifiance et la mièvrerie, ces artistes ne feront ni mieux ni pire que leurs confrères hommes. On goûtera l'humour de la petite toile de Marie-Nicole Vestier, où elle se représente tiraillée entre ses devoirs de mère et son travail d'artiste ; les femmes d'aujourd'hui apprécieront...
Gilles Coÿne
- Constance Mayer, Autoportrait (vers1801), huile sur toile, Boulogne-Billancourt, Bibliothèque Paul Marmottan - Académie des Beaux-Arts institut de France © Fine Art Images/Bridgeman Images
- Adrienne Marie Louise Grandpierre Deverzy, L'Atelier d'Abel de Pujol (1822), Paris, Musée Marmottan Monet © Marmottan Monet Paris France/Bridgeman Images
- Césarine Davin-Mirvaul, Le Mort de Malek-Adhel (huile sur toile, Aurillac, © Musée d'Art et d'Archéologie
- Louise-Joséphine Sarazin de Belmont, Vue du Forum le matin, © Misée des Beaux-Arts de Tours
Peintres femmes
1780-1830
Naissance d'un combat
Jusqu'au 4 juillet 2021
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard, 75006 Paris
- Tél. : 01 40 13 62 00
- Informations, réservations : museeduluxembourg.fr
- Horaires et tarifs : Tous les jours de 10h30 à 19h nocturene le lundi jusqu'à 22h30. Tarifs 13€ et tarif réduit, 9€ pour les jeunes 16-25 ans, et pour deux personnes les lundis et vendredis après 16h, gratuité pour les moins de 16 ans, bénéficiaires de minima sociaux, illimité avec le pass Sésame Escales, réservation obligatoire.
- Publications : Catalogue, 208p., 150 images, 40€ ; Journal de l'exposition, 24p., 40 images, 6€.
- Programmation culturelle : conférences et animations, visites etc, consulter le site du musée,