Expositions
Sur le motif. Peindre en plein air 1780-1870
La fondation Custodia est un des lieux les plus charmants de Paris. Si le grand public connait bien le bâtiment donnant sur la rue de Lille au luxe bourgeois de la fin du XIXe siècle, où se tiennent de merveilleuses expositions, il ignore souvent en revanche l'aile en équerre en arrière ouvrant sur la cour et qui, elle, date du XVIIIe siècle. Ce rescapé de l'ancien hôtel de Turgot a gardé l'élégance discrète et la bonhomme des constructions de l'époque. Il faut gravir l'ample perron pour pénétrer dans le vaste carré, lumineux, qui forme à la fois l'entrée et l'escalier assurant la distribution : en bas les pièces de réception, en haut, on le suppose car on ne les visite pas, les appartements privés. Suivant la progression des volées de marches sont accrochés sur les parois des dizaines de petits tableaux, des esquisses de paysage peints par des artistes connus, moins connus voire franchement méconnus – ici prime la qualité de l'œuvre sur le prestige de la signature. Les organisateurs de l'exposition, Sur le motif, peindre en plein air, 1780 – 1870, n'ont eu qu'à piocher dans ce fond mais aussi dans celui de la National Gallery of Art de Washington, du Fitzwilliam Museum de Cambridge et d'une collection privée pour réunir un ensemble cohérent illustrant avec éclat une activité qui a connu son acmé pendant presqu'un siècle (1790 – 1970), celle du paysage peint sur place.
Rochers, collines et montagnes, cascades, rus, fleuves, océans plus ou moins démontés, arbres, bâtiments – on disait fabriques à l'époques -, nuages, les paysagistes du temps en saisissaient les mille nuances en fonction des variations de la lumière selon l'heure ou les saisons. Ils utilisaient le papier, marouflé dans un second temps, mais aussi la toile, ou même de légers panneaux de bois plus maniables et que l'on pouvait insérer dans la boîte de couleurs où ils séchaient à loisir sans risque d'accident. De retour dans l'atelier ce matériau soigneusement conservé servira à élaborer des œuvres plus complexes, plus ambitieuses livrées au jugement de la critique et du public. Ces artistes, il ne leur serait jamais venu à l'idée de d'exposer ces pochades qui nous séduisent aujourd'hui tant par leur spontanéité que par leur fraîcheur, pouvaient en discuter avec leurs amis et collègues et l'on conserve quelques toiles témoins de ces réunions amicales. L'Italie reste le sujet privilégié de la plupart des tableaux exposés ici. Un séjour plus ou moins long, était considéré comme particulièrement formateur et de partout en Europe les jeunes créateurs venaient se former au contact des grands maîtres, des ruines antiques, ou plus simplement d'une nature aimable et pittoresque à souhait. Surtout le pays jouissait d'une lumière assez stable permettant de rester sur le motif un laps de temps suffisant – deux heures écrira le peintre Pierre-Henri de Valenciennes (1750 - 1819) dont le Louvre conserve une merveilleuse collection d'esquisses peintes en Italie.
La vue de Bolzen 1837 (aujourd'hui Bolsano) avec un peintre de Jules Coignet (1798 - 1860) malgré son format restreint - 31 x 39 cm. - a tout d'une œuvre achevée. Elle représente la montagne du Sud Tyrol en contre jour sur fond de ciel doré, crépusculaire, on remarquera au premier plan à gauche, peinte plus librement, la silhouette du compagnon du peintre, lui aussi au travail. C'est un sujet récurrent que l'on retrouvera au cours de l'exposition les peintres représentaient en train de peindre leur ou leurs compagnons : ils partaient en rarement seuls, mais en groupe, un de ces couples artistiques fameux fut celui de Fragonard et d'Hubert Robert - ils dessinaient surtout - dont aujourd'hui on a parfois peine à déceler qui faisait quoi à ce moment tant leur facture était alors proche. On notera enfin l'ombrelle projetant son ombre sur le groupe, il ne s'agissait pas, bien entendu, de protéger le teint de magnolia de l'artiste mais le tableau : le plein soleil dénature les couleurs.
Le sujet de ces petites esquisses, aux yeux des contemporains n'en était souvent pas un, souvent anonyme, pris dans la campagne, indéterminée, (arbre, nuages, ferme etc.), il était un simple exercice ; il est difficile par exemple de savoir où Simon Denis (1755-1813) a saisi ses Arbres devant une vallée mais c'est aux yeux d'aujourd'hui un tableau achevé au plein sens du terme par son fini, sa structure maitrisée, son ambiance. On sent presque la fraîcheur de l'ombre, la tiédeur de l'air, l'odeur de l'herbe. La toile dépasse-t-elle le statut d'esquisse avec ses dimensions – 68,8 x 91,1 cm. ? Les deux arbres en contre-jour dont les rayons du soleil fait chanter le feuillage d'un vert frais font un contraste savoureux avec le lilas du versant opposé. Un pur objet de délectation..
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L'Île et le pont de San bartolomeo peinte par Corot (1796 – 1875) lors de son premier séjour en Italie avec ses volumes géométriques s'emboitant selon une logique colorée et se reflétant dans le Tibre par un clair matin romain est très séduisante. C'est un exemplaire des petits tableaux spontanés qu'il a multipliés lors de ses voyages dans la péninsule ; on les préfère souvent aux grandes compositions qui ont fait sa gloire au XIXe siècle.
On retrouvera ici avec plaisir une des rares artistes qui avaient tiré leur épingle du jeu lors de la terne exposition du musée du Luxembourg consacrée aux femmes artistes au tournant des XVIIIe et XIXe siècles : Louise-Joséphine Sarazin de Belmont (1780 – 1870). L'artiste signe un Théâtre romain de Taormine peint en 1828, vaste panorama de ruines « dans leur jus » avant leur envahissement par des constructions parasites, sur fond de baie avec, en arrière fond, le majestueux Etna empanaché de fumée légère. Le tout baigne dans la lumière cristalline d'une brume dorée, sérénité d'un vaste paysage classique où l'on respire le grand air de l'histoire en dépit du format restreint de l'œuvre.
Il est difficile dans le cadre restreint d'un article de rendre compte de toutes les richesses d'une manifestation qui réunit des artistes issus de toute l'Europe et dont le visiteur découvrira souvent le talent,
Gilles Coÿne
- Simon Denis (Anvers 1755-1813, Naples. - Arbres devant une vallée, huile sur toile, 68,8 sur 91,5 cim., Fondation Custodia
- Jules Coignet (Paris 1798 -1860 Paris).- Vue de Bosen avec un peintre, 1837,Huile sur papier contrecollée sur toile - 31 sur 39 cm.National Gallery of Art Washington, D.C..
- Camille Corot (Paris 1796 - 1875 Paris).- L'île et le pont de San Bartolomeo, Rome '1825-28). Huile sur papier , contrecollée sur toile, National Gallery of Art Washington D.C.
Sur le motif. Peindre en plein air, 1780 – 1970
Jusqu'au 3 avril 2022
Fondation Custodia
121, rue de Lille, Paris 75007
- Tél. : 01 47 05 75 19
- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h. ; tarifs, 10 et 7€.
- Catalogue : Ger Luijten, Mary Morton et Jane Munro (ed.) : Sur le motif Peindre en plein air 1780-1870.- Londres, 2020, Paul Holberton Publishing, 280 p., 140 illustrations, 40€.
- Visites guidées : 12h30, Jeudi 17 février, merc redi 9 mars, samedi 19 mars. Inscriptions par e-mail à dans la limite de 2 places par réservation.