Expositions
Maillol (1861-1944)
La quête de l'harmonie
Le musée d'Orsay illustre la Méditerranée avec deux expositions consacrées l'une à l'architecte catalan Gaudi, l'autre au sculpteur Maillol. Nous ne traiterons pas ici de Gaudi tellement cette manifestation se révèle décevante : Que l'on aime ou qu'on la déteste, il n'y a pas de juste milieu, l'œuvre de cette artiste mérite mieux qu'une manifestation où le bâti – ce qui est quand même le principal de son héritage - est si mal traité au profit d'un travail de designer qui aurait eu tout intérêt à rester confidentiel... Le mobilier dessiné par Gaudi lourd, triste et agressivement imposant - il fallait faire riche - ne convaincra que les passionnés. Passons...
Maillol, à contrario de Gaudi, c'est le soleil, la mer, la beauté épurée d'une nature généreuse et douce à l'homme, cette nature si présente à Banyuls où le jeune artiste est né en 1861 et passa la presque totalité de son existence ; au plus fort de sa notoriété, il ne séjournait à Paris que pendant les quelques mois d'hiver. Pour la plupart des amateurs, Maillol ce sont les joyeuses luronnes qui s'ébattent sans complexe sur les prairies des Tuileries à Paris. Certes, elles représentent l'essentiel de son message qui malgré tout est plus complexe et c'est le mérite du musée d'Orsay de nous convier à aborder la totalité d'une œuvre aussi variée. Pour entrer dans ce monde solaire, classique et primitif à la fois, il est, peut-être, utile de lire – si le lecteur peut encore les trouver chez un bouquiniste – les quelques charmantes pages qu'une écrivaine, Marie Dormoy, lui a consacrées dans « Souvenirs et portraits d'amis. » Ces simples pages marquées d'une profonde amitié feront mieux comprendre au lecteur le processus créatif de Maillol qui s'y révèle avoir été un artiste écologiste bien avant que le vocable ait existé.
Maillol est issu d'une famille de bourgeoisie campagnarde établie dans le Roussillon. Elle ne s'opposa pas à sa volonté de mener une carrière artistique quand il en émit le désir et c'est muni en plus d'une subvention départementale qu'il débarque à Paris en 1882. Dans un premier temps il pense mener une carrière de peintre et fréquente l'atelier de Cabanel puis celui de Jean-Paul Laurens avant d'entrer à l'école des Beaux-Arts. Il se construit un réseau d'amis qui le suivra toute son existence. Ce sont des jeunes gens en rupture de ban avec l'art officiel - ils se nommeront eux-même Nabis, prophète en hébreu, pour bien montrer qu'ils considèrent l'art comme une vocation et la peinture quasi comme un sacerdoce. Maurice Denis, édouard Vuillard, Rippl Ronay, Pierre Bonnard, Auguste Renoir (un peu plus âgé), forment cette joyeuse troupe amicale où il trouve à la fois un soutien moral et un environnement intellectuel et esthétique stimulant.
Ses premières toiles, monumentales, même dans les formats plus réduits, lumineuses, exécutées selon la technique du pointillisme, frappent par leur présence et leur fraîcheur. On peut chercher bien entendu les influences qui ont marqué son art à ce moment de sa carrière, mais on ne peut qu'être séduit par la simplicité de la mise en page, l'autorité de ces figures toutes peintes de profil comme dans les médailles de la première renaissance italienne. Il donne à ces effigies représentant des jeunes filles, des enfants jouant et la vielle tante qui l'a élevé, une aura de gravité quasi religieuse. Il y a dans ces tableaux, comme dans ceux de son ami Maurice Denis, un je ne sais quoi qui évoque irrésistiblement la clarté des œuvres de Fra Angelico. Un Fra Angelico Laïc si l'on peut se permettre une telle expression.
« La Vague » (1894), tranche tant par son érotisme que par sa facture, elle annonce avec son cadrage resserré quelques bas-reliefs qu'il sculptera quelques années plus tard. Le corps nu d'une jeune femme vue de dos, désarticulé, renversé par la force de la vague qui va l'engloutir en une étreinte voluptueuse, un peu comme un dieu de la mythologie déguisé en onde pour mieux se saisir une mortelle désirable, est une œuvre phare du mouvement Nabis. On sera sensible au coloris plus soutenu ici où les bleus sombres et les verts de l'eau contrastent et chantent au contact des chairs roses ourlées de bistre de la dame.
Le succès se faisant attendre, Maillol se lance dans des entreprises d'artisanat d'art : faïences, tapisseries, menues sculptures. Les tapisseries ou plutôt les panneaux brodés exposés ici laissent perplexes, de même la fontaine en faïence pseudo rococo, tout comme les statuettes qui flirtent avec le statut de bibelot... On n'est pas forcé d'aimer, mais cette période est un moment clef où il cherche, tâtonne et finalement trouve la solution : ce sera la sculpture. Un tentative sur bois faite comme par distraction, servira de révélation. Ces premiers essais doivent beaucoup à Gauguin avec, peut-être, un plus grand souci du poli, un goût pour la sensualité de la matière.
Très rapidement il se confronte aux grands formats ; dans une sorte de rêve le visiteur déambule au milieu de géantes bonhommes symbolisant qui l'Air ou la Montagne, une Rivière, la Méditerranée, voire un Monument à Cézanne, à Claude Debussy... Mais est-il besoin de lire les étiquettes ? Le plaisir que procure cet espace d'harmonie, de bonheur ne se suffit-il pas à lui-même ? à l'inverse de son œuvre peint consacré presqu'exclusivement au portrait, la quasi totalité de l'œuvre sculpté est dédiée à une figure allégorique, la Femme avec un grand F, en qui l'artiste décèle l'entièreté du monde, son mystère, son origine et sa fin. Ces visages énigmatiques, sans expression mais non vides, figés dans une sorte d'éternité, paraissent défier les atteintes du temps, comme celles des passions. « Je suis belle comme un rêve de pierre. » Jamais le vers du poète n'a trouvé plus belle et plus pertinente incarnation.
Ses premiers mécènes sont étrangers, la reconnaissance officielle viendra tard. Les frères Morozov commandent quatre statues, grandeur nature, destinées à leur salon de Moscou dont ils ont confié la décoration peinte à Maurice Denis ; quant à L'industriel allemand, Harry Kessler, il présente son jeune amant Gaston Colin, jockey et cycliste, comme modèle pour un Narcisse. Cette unique figure masculine, exposée finalement sous le nom de « Cycliste » (1907-8), d'un charme tout florentin de par sa sveltesse et le gracieux déhanché de la pose, forme un contraste total avec le reste de la production de Maillol. Il n'aimait guère l'œuvre, « C'est trop nature, il n'y a pas à dire, c'est trop nature... ».
Le même Kessler favorisera l'édition des « églogues » de Virgile, que le maître illustre avec un synthétisme expressif. C'est un exemple de l'abondant œuvre graphique, que l'artiste a pratiqué tout du long de sa carrière : dessins de premier jet, études plus poussées, carnets où il jette ce qui le frappe, études pour une œuvre précise – voir celles préalables au jeune cycliste -, croquis, œuvres en soi, au crayon, à la sanguine, au fusain, à la plume, au lavis et enfin en gravures, sa maestria s'illustre dans tous les matériaux, tous les domaines. On voit Maillol évoluer : les lignes sinueuses de son premier style proches de l'art nouveau, s'assagissent, gagnent en plénitude pour atteindre finalement une sorte d'apaisement classique monumental.
Gilles Coÿne
1 – Profil de femme, vers 1895, 73,5 sur 103 cm, huile sur toile, Paris musée d'Orsay, © musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais, photo de l'auteur
2 – L'Air, 1938/9 (modèle), plâtre de fonderie, H. 144 ; l. 242 ; P ; 96 cm. Paris, Fondation Dina Vierny – Musée Maillol © Photo de l'auteur
3 – Le Cycliste, 1907/8, Bronze, H. 98 ; L. 28 ; P. 22,5 cm, Bâle Kunstmuseum © Photo de l'auteur
Aristide Maillol (1861-1944)
La Quête de l'harmonie
Jusqu'au 21 août 2022
Musée d'Orsay
1, rue de la Légion d'honneur, 75007 Paris
- Zürich, Kunsthaus, 7 octobre 2022-22 janvier 2023
- Roubaix, La Piscine, 18 février – 21 mars 2023
Tél. : 01 49 48 14
- Horaires et tarifs : tous les jours sauf lundi de 9h30 à 18h., nocturne le jeudi jusqu'à 21h45. Tarifs 16€, 13€ tarif réduit, et 10€ les jeudis pour le nocturne à partir de 18h. Pour la gratuité consulter le site du musée.
- Publications : Maillol.- 2022, Paris, coédition Gallimard / musées d'orsay et de l'Orangerie, 352p., environ 304 illustrations, 45€.
- Programmation culturelle : très riche, consulter le site.