Expositions
The Razzle Dazzle of Thinking
(La pensée tape-à-l'œil)
Sous ce titre passablement provocant, l'artiste américaine qui vit et travaille à Paris a conçu l'exposition que lui a demandé d'organiser Musée d'Art moderne de la ville de Paris/ARC à la fois comme une rétrospective et comme une vaste installation « Pour provoquer la pensée ».
En préface, Elastic Tango accueille le visiteur sur le palier de l'escalier qui conduit aux salles. Il s'agit d'une vidéo, réalisée spécialement pour l'occasion, diffusée simultanément par plusieurs moniteurs disposés en pyramide renversée. La qualité de l'image est remarquable. Il s'agit d'une dramaturgie en trois actes où sur un rythme syncopé les icônes populaires défilent. Difficile de trouver un sens à ce déroulement : des images, des images... parfois belles... parfois choquantes... d'autres violentes, qui n'ont d'autres signification que le fait d'exister. Un peu comme cela se passe à la télévision où montrer, c'est dire, c'est démontrer. L'artiste met ainsi le doigt sur la perte du signifiant au profit du simulacre. Le léché des clichés, le dynamisme du montage se suffisent à eux-mêmes. On appréciera enfin l'humour du titre...
Au dernier étage, l'exposition se déploie en fer à cheval : à gauche, un peu dans l'obscurité, après Dillinger Running Series, on trouvera une installation, créée spécialement pour l'occasion, The House of Horrors (voir Un regard une œuvre), à droite, vivement éclairé, commence l'accrochage proprement dit.
Gonzalez-Torres Untitled (America), un rideau d'ampoules pendant du plafond et répandu de façon aléatoire sur le sol, pose d'emblée le problème de l'ambiguïté de la plasticienne : il s'agit de la réplique d'une œuvre de l'artiste américain, d'origine cubaine, Gonzales-Torres. Ni hommage (bien que ce genre d'intention ne saurait être ignorée), ni simple copie ( il n'y a pas de réplique parfaite), Sturtevant pose, en recréant délibérément la création d'un autre, la question du statut de l'art, de sa place dans la cité et du rôle que joue le marché dans sa diffusion. La plasticienne duplique ainsi Joseph Beuys, Keith Haring, Stella qui sont ses contemporains. Elle adopte la même démarche avec Marcel Duchamp, mais là elle restitue aux ready made du Surréaliste leur force contestataire. En effet la provocation de l'urinoir, de l'égouttoir à bouteilles, de la roue de vélo sur un tabouret... devenus œuvres d'art de par la volonté de leur créateur avait bien perdu de sa force avec leur entrée au musée. En les copiant et en les réunissant dans une installation, en proposant une relecture du Nu descendant un escalier Sturtevant redonne une actualité à ces œuvres que le respect avait comme figées. Mais à son tour, cette dernière rentre au musée, son interrogation est récupérée, devient objet s'admiration, se fige. Il y a là une mise en abymes, un cycle infernal où l'on passe de l'insolence à la récupération, cycle sur lequel elle amène le visiteur à réfléchir
Deux œuvres un peu différentes mais qui se répondent retiendront l'attention : Finite infinite, spectaculaire vidéo projetée à même le mur de la salle sur 46 mètres montre un molosse faisant en boucle une course épuisante et sans fin. Symbole fort d'un monde postmoderne où la gesticulation, l'action pour l'action tiennent lieu de tout, justifient tout. L'homme, moderne Sisyphe, a perdu jusqu'au sentiment de la vanité de cette course à laquelle il est condamné. Il court, il court, comme le chien, sans fin... Dans le mur d'en face, comme une contrepoint (contrepoison?), Vertical Monade, une vidéo, se déroule dans deux recoins, deux renfoncements qui ne sont pas sans évoquer quelque confessionnal : le moniteur clignote dans le vide, une belle voix grave et rocailleuse lit un texte en latin, l'éthique de Spinoza. Peu de gens savent le latin, encore plus rares sont ceux qui comprennent la philosophie aride du philosophe hollandais. Mais cela importe peu, car tout le monde peut être sensible à la voix du récitant qui énonce des idées tellement hors de mode mais tellement d'actualité. On oublie l'agitation en entendant cette langue morte mais éternelle, cette philosophie hermétique, qui prône la recherche du bonheur par la quête intransigeante de la vérité. Le voisinage de ces deux vidéos est vraiment très fort et justifie à lui seul une visite.
Gilles Coyne
Duchamp Ciné, 1989 / Duchamp Nu descendant l'escalier, 1967, installation vidéo, Courtesy Galerie Reynolds, Londres
Finite Infinite, 2010, installation vidéo (projection murale) Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac Paris-Salzbourg
Sturtevant, The Razzle Dazzle of Thinking (la pensée tape-à-l'oeil)
5 février – 25 avril 2010
Musée d'art moderne de la ville de Paris / ARC
11 avenue du Président Wilson 76016 Paris
Tél. : 01 53 67 40 00
Fax : 01 47 23 35 98
Publication : catalogue, 39 €