Expositions
Louis Boulanger
Peintre rêveur
«Il était plus poète que peintre. » Constatait avec beaucoup de justesse Sainte-Beuve en parlant du peintre Louis Boulanger (1806-1867). La maison de Victor Hugo consacre une exposition à l'œuvre de ce charmant petit maître assez inégal mais qui fut de tous les combats de la mêlée romantique avant de se ranger la maturité venue, de se marier et de finir dans la peau d'un très bourgeois directeur de l'école des Beaux-Arts de Dijon.
Dès l'escalier qui conduit aux salles, les dessins, aquarelles et lavis, accrochés aux murs disent ce qui finalement a été la part la plus originale d'une œuvre aujourd'hui peu connue : les projets de costumes pour les pièces de ses amis les dramaturges romantiques, entre autres et principalement Victor Hugo dont il fut le familier, Alexandre Dumas, d'autres... Revivent ici, saisis dans le vif, Esméralda, Frollo, Quasimodo, Gringoire... ils conduisent le visiteur au beau portrait au crayon, alors qu'il était âgé de vingt-deux ans, fait par son ami Achille Dévéria. La figure poupine qui garde encore les traces de l'enfance, à l'expression un tantinet butée, semble penser : Dieu que la vie peut être odieuse dans ce Paris réactionnaire de la Restauration. Dans deux ans, il sera l'un des organisateurs de la fameuse bataille d'Hernani (25 février 1830) qui consacrera définitivement la victoire du romantisme sur un classicisme ranci et forme un exorde aux trois glorieuses en juillet suivant.
Louis Boulanger est né à Vercelli dans le Piémont d'un père fonctionnaire militaire français et d'une mère italienne. Très rapidement la famille revient en France à Paris où le jeune garçon fera ses études. Son professeur de latin le met en relation avec ses propres neveux, les Dévéria, Achille (1800-1857) et Eugène (1805-1865), tous deux, peintres, illustrateurs et lithographes, il a douze ans et cette amitié durera toute leur vie. La maison des deux frères accueillait l'avant-garde parisienne s'insurgeant contre la culture officielle sclérosée de la Restauration, écrivains, poètes, dramaturges, romanciers, artistes, musiciens, acteurs, étaient ici comme chez eux. À quinze ans il entre avec Eugène Dévéria, son aîné d'un an, dans l'atelier de Guillon Lethière à l'école des beaux-arts de Paris, puis, à dix-huit, Il fait une tentative pour le concours du Prix de Rome mais ne persévèrera pas après un premier échec ; la même année (I824) il rencontre de Victor Hugo (1802-1885) dont il devient l'ami et, en quelque sorte, l'illustrateur officiel. Il va portraiturer toute la famille, en peinture, en dessin et même en lithographie, comme il va illustrer l'œuvre, poétique, romanesque, théâtrale de l'écrivain.
Louis Boulanger ainsi que les jeunes artistes ses exacts contemporains ou leurs aînés proches (Delacroix 1798-1863, Géricault 1791-1824, les Scheffer), et à la différence des « Pompiers » - le terme est inventé à ce moment –, puise son inspirations dans la littérature - Walter Scott, Lord Byron, Alexandre Dumas, Victor Hugo, mais aussi Shakespeare, Le Tasse, Cervantès... Ils glorifient certains événements d'actualités à qui ils prêtent le statut héroïque des histoires antiques ou mythologiques ; songeons aux toiles grecques de Delacroix ou au Naufrage de Géricault. Ils ressuscitent le Moyen-Age, chantent un Orient largement fantasmé avec ses cruautés, ses excès, l'éclat de ses coloris.
Ces très jeunes gens, talentueux et ne doutant de rien, présentaient aux salons d'immenses toiles qui faisaient l'évènement, tant par leurs dimensions, par leur sujet que par leur facture volontiers « bâclée », mais éclatante. C'est ainsi que Louis Boulanger expose au salon de 1827 un grand tableau – plus de cinq mètres de haut et qui comme tel ne peut être exposé ici, nous devrons nous contenter d'une réduction peu lisible : « Le Supplice de Mazeppa ». En ce même salon Eugène Dévéria présentait La Naissance de Henri IV, tout aussi monumentale, et Delacroix sa Mort de Sardanapale. Les deux amis, vingt deux et vingt et un ans, firent sensation et passèrent pour l'avenir du Romantisme. Ce ne fut que feu de paille, Louis Boulanger ne renouvellera pas cet exploit. Par ailleurs, il peint des portraits : on a parlé ici de ceux de la famille Hugo, mais il y a aussi ceux des Dévéria, Achille émacié, austère comme un moine espagnol du siècle d'or. Le plus séduisant, le plus réussi aussi, est celui de sa très jeune femme, charmante saisie dans un moment d'écoute spontané plein d'empathie. Il aborde un peu tous les genres avec parfois des maladresses étonnantes : Cromwell hanté par le spectre de Charles 1er d'Angleterre (1640) ressemble plus à un adolescent effrayé qu'à un Révolutionnaire torturé par la remords ; mais aussi et plus souvent avec un bonheur certain : La Folie du roi Lear (1836) est digne de Delacroix.
Mais au fond plus que la peinture l'intérêt de Louis Boulanger réside dans son travail graphique. Les instantanés de scènes de théâtre, notés d'une plume vive, les costumes pour les drames qu'il dessine d'après des documents d'époque dans un souci d'authenticité nouveau, les aquarelles illustrant Notre Dame de Paris, Les Orientales, d'autres œuvres plairont par leur inventivité et la variété de leur traitement. Les deux grandes lithographies dédiées l'une au Feu du ciel poème d'ouverture des Orientales (1829) et la Ronde du Sabbat (1861) toujours sur un poème de Victor Hugo, avec leur grappes humaines convulsées tournant autour, pour la première, d'un colossal Moloch à tête de bovin, pour l'autre d'un Bouc-prélat démoniaque qui n'est pas sans rappeler le bestiaire satanique de Goya. Ces deux estampes caractéristiques de toute une époque, illustrent la puissance poétique du romantisme français mais aussi ses limites car l'accumulation d'horreurs ne suscite pas forcément l'angoisse ou le malaise.
Goya ? Le maître espagnol passe quelques semaines de l'été 1824 à Paris avant de s'installer définitivement à Bordeaux. Ses gravures, dont les Caprices, circulent dans les milieux culturels de la capitale, son monde lucide, cruel, fantastique irriguent la fantasmagorie romantique qui n'en transmet pour autant l'épaisseur tragique. Louis Boulanger s'en inspire et même, tout uniment, le copie textuellement ; cela pourrait être un jeu de feuilleter les Caprices et de noter, au fil de l'exposition, tel ou tel emprunt. La comparaison risque d'être cruelle pour le jeune excité.
Le départ de Victor Hugo pour l'exil après le coup d'état de Napoléon III, met fin à l'aventure romantique. Louis Boulanger s'assagit, se marie, et finit par accepter le poste de directeur de l'école des Beaux-Arts de Dijon. Il peint pour l'église, réalise des décors pour des hôtels parisiens, mais il ne renie pas ses amours de jeunesses et expose au salon quelques toiles à sujets romantiques.
Gilles Coÿne
L. Boulanger : étude pour Sarah la baigneuse (les Orientales de V. Hugo), dessin plume et lavis, 1830, Paris, Bibliothèque nationale de France, Photo de l'auteur.
L. Boulanger : La Ronde du Sabbath, détail central (Odes et Balades de V. Hugo), lithographie, 1861, Paris, Maison de Victor Hugo, photo de l'auteur.
L. Boulanger : Adelaïde Boulanger, née Lemonnieer-Delafosse, huile sur toile, 1858, Musée du Louvre, département des peintures, photo de l'auteur.
Louis Boulanger
peintre rêveur
Jusqu'au 5 mars 2023
Maison de Victor Hugo
6, place des Vosges, 75004 Paris
- Tél. : 01 42 72 10 16
- www.maisonvictorhugo.paris.fr
- Horaires et tarifs : tous les jours de 10h à 18h. 9 et 7€. Gratuit pour les moins de 18 ans.
- Publication : Louis Boulanger, peintre rêveur. Sous la direction d'Olivia Voisin er de Gérard Audinet.- Paris 2022, Paris Musées, 168p., 150 ill., 29,90.