Expositions
Picasso et la Préhistoire
C'est royal, la restauration récente du bâtiment qui abrite le Musée de l'homme sur la colline du Trocadero, lui a rendu les nobles proportions intérieures, lumineuses et sobres : le puits de lumière de seize mètres de hauteur autour duquel s'organise le lieu, les amples volées d'escaliers, les grandes baies sur toute la hauteur de la façade dominant un des plus beaux paysages de la capitale ; les jardins du Trocadero au premier plan, la Seine, la tour Eiffel et au fond le poudroiement des ors des Invalides et du Panthéon justifieraient le déplacement à eux seuls. Une expositions consacrées à Picasso et les premières productions de l'humanité de par son originalité et sa nouveauté est une incite supplémentaire à s'attarder ici.
Picasso et la Préhistoire est certainement le sujet le plus inattendu et le plus original des événements culturels qui, cette année, vont marquer le cinquantenaire de la mort de l'artiste (1973-2023). L'exposition est brève par le nombre des objets exposés mais certainement pas la moins intéressante. Peintures, dessins, gravures, sculptures, collages, mais aussi, le seul Ready-made inventé par l'artiste sont confrontés aux quelques objets prêtés par le musée de l'Homme et aux statuettes, relevés, moulages et publications venus d'ailleurs. C'est assez stimulant et non sans un certain humour...
Picasso, dont la curiosité était légendaire, s'est toujours intéressé aux formes artistiques étrangères à l'art occidental et il y a trouvé le matériau pour nourrir ses révolutions artistiques. Sans que l'on puisse à proprement parler de modèles, de copies, voire d'emprunts mais bien plutôt d'inspiration, d'ouverture à d'autres façons de voir, de représenter, il a toujours fait son miel de ces rencontres. Une photo de Brassaï prise en 1943 dans son atelier et représentant la « vitrine-musée » de l'artiste, sorte de bric-à-brac où les objets les plus modestes, des cailloux, des ossements, voisinent avec d'autres provenant de civilisations exotiques, voire antiques et deux reproductions de la Vénus de Lespugue, témoigne de cette curiosité insatiable. On connait les rôle qu'ont joués masques et statues africains lors de la réalisation des Demoiselles d'Avignon. Moins célèbre, mais tout aussi fondamentale, fut la découverte des têtes ibériques alors récemment achetées et exposées par le Louvre, dont le primitivisme l'inspira pour les toiles de la période de Gosol et le visage pétrifié du portrait que lui avait commandé Gertrude Stein (1906). Encore moins connu est son intérêt pour les formes et l'art de la préhistoire. Picasso est l'exact contemporain des découvertes et études sur les créations de nos lointains ancêtres. Il avait lu les articles et consulté les ouvrages qui parurent alors. Il avait même acheté des moulages de la Vénus de Lespugue dont il disait « Pourquoi j'aime ma Vénus préhistorique ? Parce que personne ne sait rien d'elle. » Son mystère le séduisait et l'inspirait à la fois.
Picasso avait un côté collectionneur compulsif, il ne jetait rien, il conservait des choses de formes curieuses que l'on ramasse mais dont on s'encombre rarement : des ossements d'animaux desséchés et usés, des cailloux, des galets ramassés sur le plage, des tessons de céramiques ou de verre que le travail de la mer et du sable avait polis, arrondis. Ce matériau « brut » voisine ici avec les petites sculptures qu'il en a tirées : des visages, un buste de faune, objets séduisants au charme à la fois poétique et cocasse. Tel un artiste préhistorique utilisant les formes suggestives d'une paroi, d'un os, d'un rocher, il les avait fait naître, par un travail de burin et de trépan aussi sobre que précis, de la matière brute.
La Femme lançant une pierre (années 1930) est une toile directement issue de cette glane, elle semble composée de formes minérales, de cailloux, d'ossements assemblés de façon à évoquer un « être » étendu assez monstrueux mais fascinant - répulsion/attraction de l'image. Elle se situe dans la série de femmes sur la plage composées, à cette époque, de volumes géométriques tout aussi arbitraires mais lisses, façonnées, « civilisées ». Les bronzes, la Baigneuse allongée (1931), les têtes de mort, un dessin de la même époque - une autre baigneuse allongée - s'inscrivent dans une démarches identiques. L'artiste renoue avec une tradition millénaire quand, tels nos lointains ancêtres de cavernes sur les parois des grottes ou les abris sous roche, il applique sa main sur une plaque de cuivre pour en conserver la trace. Affirmation primale, cri viscéral poussé par l'homme au moyen de ce type d'empreinte depuis les temps les plus reculés : « Je suis. »
Véritable thaumaturge extrayant la vie se cachant sous la forme inerte, il pratiqua ce jeu sa vie durant. En 1945, il va plus loin, pratiquant l'art du ready-made cher aux Surréalistes, en transformant un simple brûleur de cuisinière à gaz en Vénus de cavernes. L'objet, insolent, dressé dans sa vitrine, de par ses rondeurs mais aussi ses distorsions de caractères nettement préhistoriques – Tête petite, jambes longilignes, corps rebondi - possède une indéniable présence et attire le regard ; elle clôture en majesté un circuit aussi stimulant que déroutant.
Gilles Coÿne
1 - La glane de Picasso, photographie de l'auteur
2 - La Femme qui lance une pierre. Paris, Musée Picasso © RMN-Grand Palais - Mathieu Rabeau - Succession Picasso 2023
3 - Vue de la salle d'exposition avec, au premier rang La Vénus du Gaz. Paris, Musée Picasso, © RMN-Grans Palais - Succession Picasso 2023. Photo de l'auteur
Picasso et la Préhistoire
(dans le cadre de la saison « Art et Préhistoire »)
Musée de l'Homme
Place du Trocadero, 75016 Paris
8 février – 12 juin 2023
Tél. 01 44 05 72 72
Site web : www.museedelhomme.fr
Horaires et tarifs : tous les jours sauf le mardi de 11h à 19h. ; la visite de l'exposition est incluse dans le billet du musée, 10 et 13€, pour les tarifs réduits et la gratuité, consulter le site du musée.