Expositions
Le Dessin néerlandais du XVIIIe siècle.
Aux yeux des historiens de l'art et surtout du commun des amateurs fascinés par le siècle d'or, le glorieux dix-septième, l'art en Hollande connut, pendant les cent-cinquante ans suivants, une éclipse pour ne ressusciter que tard dans le XIXe siècle avec l'école de la Haye autour de Jozef Israëls et Mauve et les Impressionnistes néerlandais. La fondation Custodia avec une exposition consacrée au dessin hollandais d'un siècle des lumières très élargi (1670-1820) veut réhabiliter une période qui fut beaucoup moins médiocre que ne le veut sa réputation. Quatre-vingt dessins provenant de la fabuleuse collection que Jean de Grez légua à l'état Belge peu avant le première guerre mondiale montre la variété et la qualité de cette production et ouvre un nouveau chapitre de l'histoire graphique. Elle devrait intéresser tous ceux qui aiment cette discipline si subtile, si spontanée, si fragile.
Les artistes hollandais ont toujours dessinés et considéraient le dessin comme la base de la pratique artistique. La formation se faisait au sein de l'atelier du maître ou encore d'académies privées. Mais vers la fin du XVIIe siècle cette situation ne satisfaisait plus personne. Des académies officielles ouvrent à Utrecht (1698), Leyde (1694), Amsterdam (1718), sur le modèle de l'Académie royale de Paris. Elles proposaient un enseignement rationnel du dessin, les ateliers étaient ouverts aux artistes mais aussi aux amateurs désireux de pratiquer et de se former le regard. À la fin du XVIIIe elles n'accueilleront plus que les professionnels. La qualité de l'art du dessin hollandais y gagna une homogénéité qualitative certaine mais peut-être fut-ce aux dépends de l'originalité. On est frappé par la prégnance forte de l'art du siècle d'or sur cette production. Mais un siècle d'or épuré, policé, débarrassé des scories d'un réalisme trop vulgaire. On chercherait en vain ici les gueux et les vieillards de Rembrandt et leur humanité, encore moins ces drôles crasseux peuplant les bambochades, édentés, ricanant, buvant, fumant, jouant, ripaillant, baisant, urinant et même déféquant, tout un monde infréquentable aux yeux des amateurs de l'époque, grands bourgeois gourmés et parfaitement éduqués.
L'exposition s'ouvre sur une étude pour un tableau, un Ecce Homo, lavis roux au beau mouvement baroque, dû à Gérard de Lairesse (1640-1711). Ce dernier, né à Liège mais installé à Amsterdam en 1665 qu'il ne quittera plus, publia en 1701 Les Principes du dessin qui connaitront plusieurs rééditions dans le siècle. Un des ouvrages de base pour amateurs comme pour étudiants. L'exposition se clôt sur une belle aquarelle de Gerrit Lamberts (1776-1850) représentant La Halle au poisson sous la grande église de Naarden animée de petits personnages vêtus comme on l'était cent cinquante ans auparavant et où l'on retrouve ce goût traditionnel pour le pittoresque des lieux portant les traces d'un long usage. Ces deux œuvres sont typiques des deux pôles entre lesquels navigue l'art du dessin tout au long du siècle des lumières : d'un côté l'exigence d'une perfection technique et d'une aisance inspirée des exemples européens, de l'autre le souvenir encombrant, d'un héritage réaliste qui parfois conduit au pastiche.
Les deux pastorales aimablement élégiaques, malgré une certaine rusticité dans les anatomies des bergers et autres nymphes, de Simon van der Does (1653-1718), annoncent l'ouverture aux autres traditions qui revivifient l'art hollandais en ce début de siècle. L'élégance et la virtuosité d'un Jacob de Wit (1695-1754), grand décorateur de nobles demeures du Herengracht et du Keizersgracht à Amsterdam, des églises et chapelles – il était catholique –, est typique et séduira le visiteur. Le maître laissa à sa mort plus de 2500 dessins - mythologies, allégories, scènes galantes, histoires bibliques - traités d'une plume preste et nerveuse rehaussée d'un lavis fluide où l'on sent plus l'influence de l'Italie et de la France que des traditions rubéniennes de ses années formatrices en Flandres. On retrouve une aisance identique dans les scènes de genres de Cornelis Troost (1696-1750) dont un étonnant nocturne est exposé ici, chez Tibout Redgers (1710-1768) ou Nicolaas Muys (1740-1808) et tant d'autres encore.
La présence du paysage est écrasante plus de la moitié des pièces exposées ici relèvent de cette discipline. Deux orientations se côtoient : d'un côté les paysages imaginaires soigneusement ordonnés, en couleurs - aquarelle, gouache, huile sur papier - qui vont souvent par paires, animés de petites scènes, mythologiques ou de bergeries qui n'ont d'autre ambition que d'orner d'élégants intérieurs ; de l'autre des représentations topographiques exécutées généralement à la plume rehaussées d'un léger lavis parfois relevées d'aquarelle que les amateurs collectionnaient avec passion. Isaac de Moucheron (1667 -1744) pratiqua avec un égal bonheur les deux procédés. Son Paysage italien, peuplé de personnages antiques, aux plans soigneusement disposés autour d'une ligne de fuite ouvrant sur la mer a beaucoup de charme tout comme les deux Vues du château Saint-Ange à Rome exécutées lors de son séjour dans la ville éternelle. Ils sont, peut-être, plus solidement charpentées et, certainement, plus convaincants. À noter que Moucheron sera l'un des derniers Néerlandais à faire le voyage dans la péninsule. La tradition ne reprendra qu'à la fin du XVIIIe siècle, comme en témoigne la Vue de la via Tiburtina sous la villa de Mécène à Tivoli (1779) de Jean Grandjean, vigoureux et lumineux lavis de bistre. Les amateurs sont friands de paysages topographiques, vues de lieux précis bien ordonnées soigneusement cadrées et d'une facture rigoureuse. Elles sont organisés comme de véritables scènes de théâtre. La Citadelle de Namur, vue du nord-ouest (1740) de Jean de Beijer est un chef-d'œuvre insurpassable dans le genre qui réunit une exécution impeccable à une mise en page séduisante.
Difficile dans le cadre d'un article de rendre compte de la diversité des thèmes abordés par les dessinateurs hollandais – animaux, plantes, bouquets, copies de tableaux anciens, illustrations d'événements, scènes maritimes etc. Pas plus qu'on ne saurait citer tous ces artistes ; mais tous ces noms qui ne diront rien au plus grand nombre méritent mieux que l'indifférence polie que leur portent les amateurs de dessins parisiens.
Gilles Coÿne
1 - Jacob de Wit (Amsterdam 1695-1754), Allégorie de l'automne, 1747, plume et encre brune et grise, lavis brun et gris, rehauts de gouache blanche sur paiper préparébrun clair.
2 - Isaac de Moucheron (Amsterdam 1667-1744), Vue du château Saint-Ange à Rome, 1695/97, plume et encre grise, lavis gris-brun sur première esquisse sur graphite.
3 - Bernard Picart (Paris 1673-Amsterdam 1733) : Nu féminin assis, sanguine,
4 - Abraham van Strij (Dordrecht 1753-1826),Vieillard assis en appuis sur sa canne, avant 1796, plume et encre brune, aquarelle et gouache sur première esquisse au crayon.
5 - Jean Grandjean (Amsterdam 1752-Rome 1781) : Vue de la via Tiburtina sous la villa (dite)de Mécène à Tivoli, 1779, plume et pinceau à l'encre brune, lavis brun, gris et vert-gris, rehauts de gouache blanche sur un tracé à la pierre noire,
Cabinet de dessinsn néerlandais
Le XVIIIe siècle
Collections des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
Jusqu'au 14 mai 2023
Fondation Custodia
121, rue de Lille, 75006 Paris
Tél.:01 47 05 75 19
- Horaires et tarifs : tous les jours sauf de lundi de 12h à 18h. Tarifs, 10 et 7€.
- Publication : Stefaan Hautejeete dir. Cabinet des plus merveilleux dessins. Dessins néerlandais du XVIIIe siècle issus des collections des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.- Bruxelles, 2019, édsitions Snoek Gand et Musées royaux des beaux-Arts de Belgique, 223p., 135 ill., relié, 29€.