Expositions

 

 

 

Alfred Courmes (1898-1993)

 

 

Un art inconvenant qui étrille gaillardement les préjugés du vingtième siècle, la peinture d'Alfred Courmes, « l'ange du mauvais goût » selon André Breton, d'une étrange tendresse en dépit de ses féroces provocations, éclate sur les murs du siège de Parti communiste à Paris. Les tableaux colorés et lumineux de l'artistes se lovent à merveille dans les sinuosités rondes et pentues du labyrinthe conçu par Oskar Niemeyer. Ici, le contenu et le contenant, de par un déséquilibre soigneusement dosé, dialoguent et assez paradoxalement se mettent en valeur. C'est une fête qui est proposée à l'amateur parisien pour quelques semaines encore. Il faut y courir car Gourmes est un artiste rare et encore plus rarement exposé et une telle occasion de découvrir sa peinture dans son ensemble ne se reproduira pas de sitôt, du moins à Paris. Doit-on ajouter que cette œuvre ne correspond pas vraiment à l'air du temps, le nôtre que l'on pourrait appeler le temps des Offusqués, car l'artiste bouscule joyeusement les limites de notre humanisme cauteleux.

 

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Alfred Courmes est né en 1898 à Bormes-les-Mimosas, il est mort à Paris quelques quatre-vingt quinze ans plus tard. Sa jeunesse se passe dans le sud de la France, à Monaco et au Lavandou. Son père, officier de marine, ne s'opposant pas à sa vocation artistique, il fait des études classiques. La première rencontre importante, qui le marquera, sera celle de Roger de la Fresnay dans le sanatorium de Durtol où ils sont « voisins de transat ». Ce dernier lui ouvre les portes de l'art contemporain de l'époque et jouera pendant plusieurs années le rôle d'un mentor aussi exigeant que sourcilleux, Courmes sera le seul disciple du peintre parisien. De ce long compagnonnage témoignent ici quelques toiles géométriques : la Vue du port d'Ostende, le pêcheur du même port et, plus tard, Trois arbres avenue Secrétan. Il a retenu de cette expérience cubiste – un Cubisme syncrétique – le goût des formes simples et géométriques, un sens de la narration efficace, un usage solaire de la lumière.

 

Mais la seconde rencontre décisive se fera un peu plus tard en Belgique : il s'installe en 1927 pour deux ans à Ostende avec la jeune femme, Henriette van de Put, qu'il vient d'épouser. Il fait la connaissance de James Ensor, puis du tout jeune Felix Labisse et, par leur entremise, de l'avant-garde belge. Il visite les musées où il découvre la truculente peinture flamande qui le marque profondément. Son art figuratif, clair, d'une tendre objectivité, s'enrichit au contact de cette culture nordique d'une salubre vigueur bien éloignée des cénacles parisiens et de leurs recherches formelles ; son Surréalisme en gardera la saveur unique d'une ironie bonhomme unique dans le mouvement. Il adopte souvent les structures de l'art renaissant et baroque : dans les deux versions du Marin au bar (1927) par exemple il transcende une scène de bordel crue, où un jeune marin en bordée se blottit contre une prostituée en pétrissant son sein, en un moment de grande empathie : la femme, telle une Vierge se penche vers l'homme/enfant en une attitude plus compassionnelle qu'érotique. Traditionnelle aussi dans La Marchande de fruits l'opposition des deux couples les jeunes au premier plans, les vieux en retrait et dans l'ombre. Remarquer aussi les paysages en fond des toiles de l'époque belge, aux deux tiers de la hauteur du tableau, comme chez les primitifs flamands : La ferme flamande, Couple de pêcheur ostendais avec enfant... C'est aussi à Ostende qu'il expérimente et adopte l'habitude d'écrire de petites phrases directement sur la toile, des interjections, ironiques ou grinçantes, narquoises, parfois carrément vulgaires. « Du vélo, elle veut »... Vraiment ? Du vélo ? La convoitise de la dame chapeautée au sourire carnassier s'adresse-t-elle au vélo ou à son propriétaire le jeune prolétaire à casquette ?

 

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Dès 1930, il retourne à Paris et s'installe dans le quartier populaire qui borde le canal Saint-Martin scandé d'écluses avec ses ateliers, ses remises, ses usines ; il va servir de toile de fond à de nombreuses tableaux. Il ajoute alors à sa panoplie les acteurs les plus connus des affiches publicitaires : le bébé Cadum, la petite fille des chocolat Menier, le Bibendum des pneus Michelin. Tentative de défense et d'adoption d'une culture populaire ? Pied-de-nez à tous les académismes, même ceux qui se veulent d'avant-garde ? plutôt adoption d'un réalisme du commun comme l'écrit Philippe Dagen dans un bel article du Monde. Cela donne d'étranges amalgames. Mais sous ce qui peut paraître des pitreries pas toujours de très bon goût – André Breton n'avait pas vraiment tort ! -, se cachent souvent des problèmes de société. Son anticléricalisme, insistant, fustige une institution religieuse, hypocrite et aveugle sur les problèmes de société. Le cyclope n'a qu'un œil mais c'est le bon (1960) montre un ecclésiastique en soutane de dos regardant la petite fille Menier crayonnant Ave Mariasous une niche abritant la statue de la Vierge de Lourdes - deux ans après le procès du curé d'Uruffe – il ferait scandale aujourd'hui. Il réitère avec les nombreuses figurations de la sainte famille, Bibendum remplace qui Ssaint Joseph, qui l'ange de l'annonciation , de Saint Sébastien, présenté en des attitudes plus qu'équivoques. Les références à l'homosexualité sont récurrentes : les Saint Sébastien fortement sexués, les amazones à cheval fustigeant de jeunes hommes nus le long du canal ou utilisant une vespasiennes après avoir chassé leurs utilisateurs légitimes (Escadron d'Amazones au repos 1976, Invasion d'Amazones 1943) ; à ce propos doit-on rappeler que le canal Saint-Martin fut un actif lieu de rencontres gay ?

 

Il revisite de même les mythes antiques de sa manière excentrique et narquoise. Et c'est là que peut-être qu'il est le plus original. Parmi tant d'autres, le chef-d'œuvre du genre Non non et non elle ne tolèrera pas qu'il fasse de l'aéroplane (1964) est un tableau qu'il faudrait longuement analyser : il montre quatre maritornes de dos, en rang, tristes fesses à l'air, mollets de déménageurs, pistolet en main, venant de canarder Icare, le bel adolescent nu qui s'abime dans le canal, le tout dans la lumière d'un clair matin. Tableau ambigu qui mêle trivial et classicisme, avec son réalisme pour la description du décor quotidien opposé à la facture « léchée » du héros.

 

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Alfred Courmes a-t-il délibérément ignoré les tragédies qui ont marqué ce siècle de fer que fut le XXe ? Non bien entendu, mais il en parle à sa manière. Si le message du Départ gare de l'est (1939-1940) est sans ambiguïté qui, sur un fond uni avec en arrière plan un quai de gare stylisé et de wagons, décrit un couple tenant leur enfant par main, le soldat étant en fait un squelette, la guerre de 1914/18 est décrite de façon plus allusive : de noires silhouettes de bateaux de guerre croisent, ombres menaçantes planant sur la plage où des couples s'étreignent, devisent. Faut-il voir une allusion au rôle répressif de l'armée dans On demande l'intervention de l'armée (1969) ? Sans aucun doute : De Gaulle s'était bien rendu en Allemagne pour consulter l'état major si la « chienlit » ne se calmait pas et les deux officiers de ce petit diptyque sont coiffés de képis semblable à ceux du temps du capitaine Dreyfus, de plus au fond trois paras marchent en caleçons et képi sur la tête. Toile difficile à décrypter mais dont le sens général est sans ambiguïté.

 

La peinture de Courmes est d'un étrange paradoxe qui mèle en un cocktail déconcertant les icônes publicitaires du monde moderne, les références irrespectueuses voire iconoclastes de la tradition religieuse, l'univers mythologique de la culture classique, le tout assaisonné d'une curieuse bonomie et d'un humour chaleureux.

 

Gilles Coÿne

Alfred Courmes, la rétrospective.

Espace Niemeyer, 2, place du colonel Fabien, Paris 19e

Jusqu'au 4 juin

Du mercredi au dimanche, de 10h à 19h, 12 et 8€