Expositions

 

 

 

 

 

 

Etienne Dinet (1861-1929), une passion algérienne

 

 

 

 

Longtemps ce peintre ne fut connu que par un seul tableau, souvent reproduit et daté de 1900 : L'esclave d'amour et Lumière des yeux : Abd-el-Gheram et Nouriel-Aîn, légende arabe. La toile, achetée par l'état est aujourd'hui conservée par le musée d'Orsay : dans l'obscurité d'une nuit étoilée et devant un laurier en fleurs un couple s'étreint. La jeune femme, richement vêtue de voiles et ornée de lourds bijoux d'argent et d'or se presse dans les bras de son amant. On peut ne pas être sensible à une image aussi mièvre mais on ne saurait résumer l'œuvre entière de cet artiste à une unique toile ; une petite exposition organisée par l'Institut du monde arabe tente de lui rendre justice.

 

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L'image d'Etienne Dinet est paradoxale ; l'artiste qui fit partie de ces créateurs réunis sous le nom d'Orientalistes, honnis aujourd'hui pour le regard supposément empreint de racisme qu'ils portaient sur les peuples et les civilisations exotiques, est considéré par son pays d'adoption, l'Algérie, comme l'un des représentants de son identité culturelle. Et pourtant, si l'homme a protesté plusieurs fois contre les excès de l'administration coloniale, il n'en était pas moins convaincu de ses bienfaits : quant à son engagement artistique, rappelons qu'il fut l'un des créateurs du salon des Orientalistes. Nonobstant ces contradictions il n'en reste pas moins l'un des plus sincères et les plus honnêtes illustrateurs de la civilisation traditionnelle de l'Algérie musulmane. Il finit d'ailleurs par se convertir à l'Islam et fit même le Pèlerinage au soir de sa vie, un des rares Occidentaux à avoir été autorisé à y participer.

 

Etienne Dinet est né en mars 1861 à Paris, d'un père magistrat. Après une scolarité sans histoire, illustrée quand même par un premier prix de dessin au concours général, il entreprend des études artistiques à l'école des Beaux-Arts de Paris auprès de Bouguereau et de Robert-Fleury entre autres. Ces maïtres de la traditions sauront au moins lui donner un solide métier. Il découvrira l'Algérie et l'Orient à vingt trois ans au cours d'un voyage avec son ami Lucien Simon, peintre comme lui, mais de la Bretagne ; il obtient une bourse d'étude deux ans plus tard qui lui permet d'y revenir. Il fera des allers et retours réguliers dans ce pays pour finir par s'installer à Bou Saâda aux confins du Sahara où il fait construire une maison, aujourd'hui musée dédié à son œuvre.

 

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Son inspiration ? Une Algérie, ardente, dure, sèche, dépouillée, loin de tout pittoresque, dont il sait parfaitement dire la grandeur comme dans cette petite toile datée de 1887, Une rue à Laghouat : une étroite voie bordée de maisons ruinées en pisé, écrasées par un soleil implacable. De ce motif simple il sait tirer un superbe morceau de peinture austère. Sa matière épaisse, grumeleuse, qui doit beaucoup à l'exemple impressionniste, semble emprisonner la lumière d'un lointain midi. Remarquer l'étonnante luminosité rose de l'ombre épaisse du mur. Dans le registre humain il fait preuve d'un talent identique. « L'homme au grand chapeau » 1901, est le magnifique portrait d'un homme mûr, au visage émacié, brûlé par le soleil, qui darde vers le visiteur un regard aigu. Cette toile sait rendre la dignité d'un peuple pauvre, grand par sa noble acceptation d'un dur destin.

 

L' exposition de l'IMA présente peu de paysages et on peut le regretter ; dans ce registre l'artiste sait rendre la beauté d'une nature aride réduite à ses éléments essentiels, le sol, la roche, le ciel, éventuellement l'eau... De ce peu il tire des tableaux lumineux à la riche polychromie, à la pâte somptueuse. « Une crue de l'oued M'Zi » (1890) représente en fait les bords de la rivière qui serpente dans une plaine caillouteuse. Sous un ciel floconneux, une montagne rocheuse s'y reflète tandis qu'au fond le village se presse autour d'une maigre végétation. Les villageois, minuscules ponctuations, les chameaux de la caravane, un cheval, profitent le la fraîcheur du ru. Ce sont les dernières heures du jour, le soleil se couche, les couleurs chaudes, orange, jaune, mauve, bistre, éclatent dans les reflets chaleureux de l'eau. La toile en dépit de ses dimensions modestes est monumentale et témoigne du talent de son auteur.

 

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La part la plus originale de l'œuvre de Dinet est consacrée à l'illustration de la religiosité des gens de l'Islam. Le jour scandé par les prières, le ramadan, le Pèlerinage, l'appel du muezzin, Le conteur entouré d'auditeurs captivés par l'épopée du Prophète. Ce dernier tableau montre le groupe qui se presse autour du barde : le « Meddah » psalmodie la saga du fondateur de l'Islam au rythme d'un tambourin. Remarquer la construction, simple mais efficace, basée sur deux triangles s'emboitant ; remarques aussi la pauvreté des accessoires, le mur de pierre sèche, les lourds tissus de laine effrangée d'usure, le tambourin rustique, une simple peau tendue sur un cercle, qui n'entretient qu'un lointain rapport avec celui des danseuses du ventre rutilants de grelots et de sequins. La ferveur des auditeurs, hommes et femmes mélangés, est tangible - où sont les sérails fantasmés par les Occidentaux ?

 

L'artiste fut aussi un très grand dessinateur. L'œuvre graphique où la virtuosité du trait rivalise avec la verve de la scénographie trouve son acmé dans la mise en images de Antar poème héroïque des temps antéislamiques, paru en 1898. Les dix-huit illustrations exposées ici, que ce soient les portraits des héros – la tête de Antar hurlant -, les combats – la charge des guerriers sur des chameaux-, les scènes plus descriptives – le Temple du feu -, montrent le savoir faire de Dinet qui se hausse au niveau des plus grands illustrateurs d'une époque où les talents dans ce domaine ne manquaient pas. Citons aussi, les portraits de femmes à l'aquarelle, au lavis rehaussé de blancs, femmes des villes, du désert, qui sont plus que des dessins ethnologiques mais de véritables portraits.

 

Posons un bémol cependant ; sous le titre pudique « l'Ambiguïté d'une exaltation charnelle » les organisateurs ont réuni quelques toiles dont le thème interroge : des jeunes filles nues à peine nubiles s'ébattant dans la nature, se reposent sur la terrasse... Certes ce sont modèles choisis dans le bordel d'à côté mais quand on connaît la pudibonderie des sociétés musulmanes traditionnelles on reste songeur quant à l'authenticité de ces scènes. Notre surprise ne fait que croître avec « Le Martyr d'amour (1911). où un jeune homme, chahuté par trois jeunes femmes, contemple le sourire au lèvre une Ouled Naïl énigmatique, parée de ses bijoux... 

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

1 - Une crue de l'oued M'ZI, 1890, huile sur toile, collection privée

2 - Meddah aveugle chantant l'épopée du prophète ou le Conteur arabe, (vers 1922), huile sur toile, collection privée

3 - Antar, poème héroïque arabe des temps pré-islamiques, Antar (vers 1896/7), carton, encre noire, plume, lavis, © Musée d'Orsay

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Etienne Dinet, Passions algériennes

du 30 janvier au 9juin 2024

Espace des donateurs (niveau -2)

IMA, Institut du Monde Arabe

1, rue des fossés St-Bernard, 75005 Paris

- Tél. : 01 40 51 38 38

- internet : www.imarabe.org

- Horaires et tarifs : du mardi au vendredi de 10h à 18h, samedi et dimanche, jusqu'à 19h. Tarifs, 8 et 6€, tarif couplé avec celui du musée 13 et 4€. Consulter le site du musée pour les exemptions et les tarifs réduits.

- Publication : Etenne Dinet, passions algériennes, 52p., 12€. Hors série Beaux-Arts Magazine.