Expositions

 

 

 

 

Jean Hélion (1904-1987), la prose du monde

 

 

 

 

 

Jean Hélion, une des personnalités de la scène artistique parisienne les plus contestées de la seconde moitié du XXe siècle en France, tiendrait-il sa revanche ? La grande exposition monographique que lui consacre le musée d'art moderne de la ville de Paris et qui triomphe en ce printemps un peu morne semblerait le prouver. L'itinéraire du peintre se fit à rebours de l'évolution de l'art de l'époque : peintre abstrait, et de la manière la plus rigoureuse qui soit aux aurores du mouvement, il évolua vers la figuration juste au moment où l'abstraction triomphait à Paris ; Parcours dénotant d'une solide confiance en soi et d'une irréductible singularité qui ne lui furent pas pardonné, au point de subir un véritable boycott de la part des galeries et institutions parisiennes dans les années 1950-60. Et pourtant, pourtant, tout au long de l'exposition ce qui frappe le visiteur c'est la grande originalité et la profonde cohérence d'une démarche dont l'aboutissement peut se lire dès les premières œuvres. C'est dû à la singularité d'un regard distancié, teinté d'humour, que l'homme portait sur les êtres et les choses, à un mépris total des modes.

 

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Jean Bichier de son nom pour l'état civil - Hélion est un pseudonyme adopté plus tard - est né en 1907 dans une petite ville normande, Couterne. Rien ne le prédisposait dans son milieu d'origine à adopter une carrière artistique. À vingt ans, alors qu'il travaille chez un architecte parisien en tant que dessinateur technique, il se met à la peinture et expose ses œuvres à la Foire aux croûtes de Montmartre. Le Trombone (1929) datant de ses débuts, peint en une pâte épaisse, rare témoin de sa toute première manière influencée par Soutine, ouvre l'exposition ; la déformation de l'instrument, vanné, usé, que l'on retrouvera cinquante ans plus tard dans un des tableaux inspirés par la foire aux puces, dit l'attention du jeune homme envers les rebuts, ce que l'on considère comme négligeable, à tout du moins inintéressant. Hélion revient de façon récurrente sur les mêmes objets, les thèmes identiques, des personnages, qui semblent l'obséder et qu'il décline et organise en des compositions qui peuvent parfois laisser le visiteur songeur. Le Surréalisme n'est jamais loin chez un artiste qui pourtant n'adhéra pas formellement au mouvement.

 

L'Uruguayen Torrès-Garcia, qu'il rencontre à la fin des années vingt et qu'il héberge dans son atelier, le met en relation avec le cercle des peintres abstraits. Il fait alors la connaissance, entre autres, de Théo Van Doesburg, de Piet Mondrian, et, à leur exemple, adopte une ligne picturale d'une abstraction rigoureuse à base de lignes noires et d'à-plats géométriques de couleurs primaires. Trois ans plus tard, il essaye une ligne plus dynamique en peignant des tableaux, qu'il appèle « équilibre », « Tensions », faits de surfaces arrondies qui se contre-balancent, enfin il dresse des figures composées de sortes de volumes s'emboitant suggérant ainsi des personnages, des constructions, voire des actions. Il saute le pas en 1939, il dispose les formes pour créer des têtes, émileédouardCharles... ce retour à la figuration est définitif. À ses yeux cependant ce n'était pas une rupture mais la suite logique de ses recherches plastiques, ces chefs étant de simples arrangements de formes abstraites. Figuration ne signifie nullement réalisme à ses yeux...

 

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La guerre éclatant la vie d'Hélion prend le tour d'une véritable aventure : il revient des états Unis où il s'était installé det marié, s'engage dans l'armée, est fait prisonnier, s'échappe en 1942, passe par Paris, puis traverse la ligne pour rejoindre Marseille, enfin embarque à nouveau pour l'Amérique, où il publie « They Shall Not Have Me », un succès de librairie. Devenu veuf, il épouse la fille de Peggy Guggenheim et revient à Paris en 1946... Il s'inspire des menues scènes de la vie new-yorkaise : les fumeurs, les passants, ceux qui se saluent dans la rue, qui se croisent dans un escalier, les lecteurs du journal, les vitrines des magasins avec leurs mannequins etc. une sorte de théâtre de l'absurde quotidien du non-sens où se côtoient sans se rencontrer de petits personnages chapeautés, cousins de ceux de Magritte. Les femmes ne sont pas absentes, impassibles à leur fenêtre, nues bien entendu, pas vraiment sensuelles pour autant, aussi impassibles que leurs alter-égo masculins. La guerre ? Elle surgit discrètement : Nature morte à la flaque d'eau (1944), réunissant un parapluie démantibulé, un jounal froissé, une tuyauterie déchiquetée, jetés sur un sol dit les ravages du monde, Figure gothique, New York (1945), magnifique et sensible aquarelle représentant un mutilé, symbolise l'effroyable bilan humain du conflit.

 

Le plasticien s'intéresse aux choses de la vie de tout les jours, aux parapluies, aux chapeaux, aux mannequins quasi humains, aux fleurs, aux légumes – ah les citrouilles dérangeantes ! -, aux rebuts, tout un monde dont la bizarrerie nous échappe de par sa quotidienneté, mais parfois inquiétant dont il donne à voir la singularité dans des arrangements surprenants. Il s'essaye aux grands formats, des triptyques démesurés, des toiles qui tiennent plus du panorama que du tableau où se côtoyent de nombreux personnages enfermés chacun dans son unicité et curieusement étrangers à l'autre. Triptyque du Dragon (1967), Jugement dernier des choses (1978/9), Choses vues en mai (1969) sont en quelque sorte les bilans à un moment de sa trajectoire...

 

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Sur de grandes feuilles, il reprend, en dessin, les objets et les personnages de ses tableaux, il leur donne une vie propre et en fait des œuvres à part entière : les parapluies bien sûr, les mannequins, mais aussi des grolles éreintées, des journaux pliés, froissés, son lit, des têtes de poissons. Un inventaire improbable. Hélion est un dessinateur remarquable. On scrutera attentivement les nombreux carnets de croquis où il note tout ce qui retient son attention. Cela va de la silhouette notée d'une plume rapide, à la scène plus élaborée aux crayons de couleurs, jusqu'à une étude poussée d'un portrait d'un Goya alors récemment entré au Louvre (donnation Beistégui). Les aquarelles dont le coloris éclatant, lumineux, allié à une subtilité dans les dégradés, restent peut-être ses créations les plus séduisantes, elles sont structurées par un trait de plume plein d'autorité, allient la force à la subtilité de la polychromie. Le travail du fusain est tout aussi superbe où le trait juste marie hardiesse et autorité à une sensibilité inattendue.

 

Hélion fut-il étranger aux grandes questions de son temps ? Là encore il faut scruter les écrits éparpillés dans les carnets exposés ici. Ils éclairent la significations de ces toiles et dessins exposés. On y décèle une vive sensibilité anarchisante qui le fait vibrer aux luttes du temps, particulièrement celles de mai 68 comme en témoigne ce texte qui nous servira de conclusion : « Le 4 avril 1968 j'ai su que je m'appelais Martin Luther King et que je suis nègre. Mais, aujourd'hui 24 mai, je m'aperçois que je suis aussi Juif Allemand. Je suis interdit de séjour, on aurait tort de m'appeler Jean Hélion, je me nomme Cohn Bendit. »

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean Hélion, la prose du monde

Jusqu'au 18 août 2024

Musée d'Art Moderne de Paris

11, avenue du président Wilson, 75116 Paris 

- Tél. : 01 53 67 40 00

- Internet : www.mam.paris.fr

- Horaires et tarifs : du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h30. Tarifs, 15 et 13€, pour la gratuité et le tarif réduit consulter le site du musée.

- Publication : Catalogue, 248p., 45€.

- Animation culturelle, consulter le site de l'exposition