Expositions

 

 

 

 

Les Chevaux de Géricault 1791-1824

 

 

 

 

 

 

Géricault, nimbé d'une légende tragique, était un personnage complexe, difficile à déchiffrer. Un dandy ? Un héros ? Un peu tout cela. Il était excessif, que ce soit dans ses choix amoureux, dans sa vie comme dans son art. Il offrait l'image parfaite de l'artiste romantique, véritable Michel-Ange du XIXe siècle, n'hésitant pas à affronter une surface immense, comme celle du Radeau de la Méduse, en un combat héroïque : l'art ne consistant pas en un simple culte de la beauté mais devant exprimer un supplément d'âme, moral ou philosophique. Issu d'une famille bourgeoise aisée il ne fut jamais, comme son ami et quasi contemporain Delacroix, dans l'obligation de gagner sa vie par la peinture, ce qui lui assurait une grande liberté de création. Après avoir illustré avec ses cuirassiers et chasseurs à cheval les heurs et malheurs de la Grand armée, il s'engagea dans les mousquetaires gris de Louis XVIII et à ce titre le suivit dans son exil à Gand pendant les cent jours. Pourtant en dépit de cette tentation légitimiste en peignant l'immense toile du Radeau de la Méduse il a fait le constat glacial de l'impéritie de l'administration Bourbonienne. Les autres sujets qu'il n'eut pas le temps de réaliser mais sur lesquels il travaillait ne pouvaient que révulser les Ultras : la libération des prisonniers de l'Inquisition, La Traite des Nègres, l'Affaire Fualdès – assassinat d'un ancien conventionnel qui déboucha sur la condamnation à mort de deux innocents à l'issue d'un procès qui passionna la France. Affaire typique de la Terreur blanche qui fit autant de victimes que l'autre, ce que l'on sait moins.

 

 

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L'exposition que propose le musée de la vie romantique est consacrée à son amour pour le cheval, animal qui l'a inspiré plus que tout et en qui il voyait comme un double, un alter ego, l'expression de la force de la nature, l'incarnation de l'élan vital. il les a dessinés, peints, gravés, comme nul autre artiste de son temps, mais avec un regard, une empathie, totalement originaux : à l'écurie pansé par le lad, dans leurs amours furieuses, leurs luttes de mâles concurrents, dans les heures glorieuses du combat comme celles de la défaite, enfin dans les moments de durs labeurs Il était sensible à leur puissance, à la violence de leur caractère ombrageux – il montait volontiers des chevaux entiers plus rétifs, plus dangereux qu'il poussait jusqu'à la rupture. Funeste passion dont il est mort à trente deux ans des suites de mauvaises chutes, compliquées d'une probable syphilis. Une agonie affreuse dont plusieurs artistes amis ont laissé des images effrayantes, et qui ne sont pas pour rien dans la légende qui l'entoure.

 

Oublions les contestations concernant l'authenticité de certaines œuvres exposées ici, on a parlé d'un tiers des pièces, ce qui est quand même exagéré, pour ne laisser la place qu'au plaisir de voir un rassemblement d'œuvres passionnant et représentatif de cette fascination. On regrettera simplement que certains aspects soient sacrifiés par un accrochage paradoxal. Quelle idée de faire voisiner dans un espace étriqué ce qui aurait dû être des moments forts ! La Course de chevaux barbes à Rome et la mort du cheval...

 

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Rome 1817, Géricault lors du voyage d'études qu'il a financé ayant échoué au Grand Prix, assiste à une course de chevaux insolite qui a lieu au moment du carnaval : des étalons à demi sauvages, barbes (de barbaresque de par leur lointaine origine), sont lâchés dans les rues, entravés et retenus par leurs palefreniers. Une fête du muscle, de l'ivresse de la vitesse, de la violence des volontés contrariés, celle de l'animal, celle du valet... la poussière, les cris, les injures... L'ambiance frénétique fascine le jeune artiste qui songe à en tirer une grande toile ; il accumule, les dessins et esquisses peintes dont quelques-uns sont ici. On notera la jolie toile du musée de Rouen représentant quatre garçons plus ou moins nus retenant un étalon renâclant, sur fond de paysage. La composition en frise selon les canons du néoclassicisme, la lumière claire d'un ciel légèrement nuageux qui sculpte les musculatures, l'action puissante mais comme fixée en un instantané, font le charme et la monumentalité de la toile, en dépit de son format modeste. On notera aussi la facture épaisse, proche de celle du baron Gros dans les scènes de batailles, bien éloignée des lignes délicates et du faire lisse, porcelainé de son maître Pierre-Narcisse Guérin.

 

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Image terrible en fin de parcours, une aquarelle représente une charrette, à l'intérieur, pattes dressées, le cadavre d'un cheval semble jeter au ciel cette plainte éternelle : « Pourquoi ? Mais pourquoi ? ». À l'arrière, attachées, deux rosses, résignées, vont leur chemin vers l’équarrisseur. Ce dessin fort, date de l'un deux séjours à Londres (1820/21). Il est typique de la singularité du regard d'un artiste qui ne s'est pas contenté de représenter comme tant de ses contemporains des chevaux de guerre « héroïques », d'élégantes montures pour amazones ou jeunes gens à la mode, mais l'envers du décor, la rude réalité de l'animal « domestiqué ». Il découvre à Londres le monde du travail, les premiers effets ravageurs de la révolution industrielle. Il dessine ces lourds percherons, larges flancs, poitrail généreux, échine solide tirant à grands ahans des charrois pesants, dans les puissantes lithographies de sa célèbre suite londonienne. Entrance to the Adelphi Wharf, l'une des plus réussie de la série, exécutée à son retour à Paris en 1823 est unique dans l'art français de l'époque. Un monde, sombre et besogneux avec ses cochers, ses attelages, gris, pataud, rarement représenté par les artistes de l'époque. Géricault est l'un de seuls, en France, à s'être intéressé à ce genre de thème.

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

1 - Soldat oriental à cheval, 1820/22, gouache et lavis sur graphite, © Musée Fabre Montpellier, photo de l'auteur.

2 - Cheval retenu pas des esclaves, 1817, huile sur toile, Rouen, © musée des Beaux-Arts, photographie de l'auteur.

3 - Jument morte étendue sur la grêve, 1821, huile sur toile, Paris, collection particulière

 

 

 

 

 

Les Chevaux de Géricault

Jusqu'au 15 septembre 2024

Musée de la Vie romantique

16, rue Chaptal, 75009 Paris

Tél. : 01 55 31 95 67

web : www.museevieromantique.paris.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h. Tarifs, 10€ et 8€ , l'accès aux collections permanentes est gratuit.

- Catalogue : Les Chevaux de Géricault, Gaëlle Rio et Bruno Chenique dir.- Paris 2024, Paris-Musées, 232p., 200 illustrations, 35€.