Expositions

 

 

 

Harriet Backer (1845-1932)

La musique des couleurs

 

 

 

 

 

Le musée d'Orsay continue son exploration du domaine nordique en consacrant une exposition à l'artiste Harriet Backer (1845-1932 aussi célèbre dans son pays, la Norvège, qu'elle est méconnue chez nous. C'est une agréable découverte qui malgré des mérites certains, ne bouleversera pas notre vision de l'art de la fin du XIXe siècle : en fait de modernité l'artiste s'est arrêtée à l'impressionnisme, bien qu'elle fut, entre autres, la quasiment exacte contemporaine de son compatriote Edvard Munch (1863-1944) il ne l'a guère influencée pas plus que les novateurs qu'elle a pu rencontrer durant ses pérégrinations en Europe, entre autres durant le séjour de près d'une dizaine d'années qu'elle fit à Paris.

 

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Harriet Backert fait partie de cette cohorte de peintres féminines et féministes qui se sont levées à la fin du XIXe siècle dans les pays d'Europe du nord, plus particulièrement en Scandinavie. Ces femmes trouvaient dans un environnement amical, quiet et civilisé un lieu propice à leur épanouissement personnel et artistique leur permettant de tenir une place importante dans le développement culturel de leurs pays. Elles se sont rencontrées aux cours de leur formation en Europe dans les ateliers à Berlin, Munich ou Paris. Elles s'appréciaient, entretenaient des liens d'amitié intellectuelle, musicale ou artistique, se soutenaient, suivaient leur évolution mutuelle, voire se réunissaient en colonies de travail. Elles choisissaient souvent, comme Harriet Backer le célibat voire menaient une vie commune avec une amie. La première salle de l'exposition illustre ce monde à la fois fervent et discret. Une série de portrait contemple le visiteur et malgré la diversité des factures, des attitudes il se dégage de cet ensemble un indéniable air de famille. Artistes, musiciens, intellectuels, toute une société cultivée, saisie dans sa diversité et sa richesse se dresse devant nous avec une étonnante présence. Le chef d'œuvre de cette séquence introductive est sans conteste le Portrait de Jeanna Bauck (1881) par Bertha Wegmann (1847-1926) : la jeune femme, simplement mais élégamment vêtue de noir, interrompt sa lecture comme pour répondre à un interlocuteur. Assise sur un banc dans l'arrière cour de son atelier, elle se penche légèrement et sourit, à ses côté, pinceaux, palettes, esquisses, linge, disent son activité. Sa silhouette nimbée de lumière se découpe sur le fond sombre d'un mur, un habile renvoie de lumière cisèle la silhouette, sculpte le visage ; la chevelure blonde, ébouriffée, mousseuse, forme comme une auréole autour de cette figure de la bienveillance et de la sororité. Une réussite...

 

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Arriet Backer est née en 1845 dans le village d'Holmestrand que ses parents, quinze ans plus tard, quittent pour s'installer à Kristiania (Oslo aujourd'hui). Très tôt elle fait preuve de dons artistiques évidents. Ses trois autres sœurs étaient également douées : Inga sera cantatrice, Agathe, pianiste et compositrice, enfin Margrethe, artiste peintre mourra jeune. Harriet, nonobstant l'atmosphère cultivée dans laquelle baignait d'une famille exempte de préjugés, en tant que femme ne pouvait prétendre à un enseignement artistique officiel, elle se formera dans des ateliers privés, chez Johan Frederick Eckersberg à Kristiana, puis à Berlin, à Florence, à Munich où elle rencontre celle qui va devenir sa compagne Kitty Kielland ; elles s'installeront en 1878 à Paris pour une dizaine d'années. à trente trois ans, elle a déjà vendu au roi Oscar II, un tableau remarqué. « Dans le quartier des domestiques » (1877) ; une toile bizarre qu'il faut analyser avec attention pour reconnaître dans ce qui semble être un pastiche caravagesque, une scène contemporaine. De ces dix années parisiennes elle retiendra surtout la grande leçon des impressionnistes : sans pour cela répudier les canons de l'art traditionnel, sa palette s'éclaircit, sa touche se libère, la couleur scintille au point que dans ses dernières années les formes se dilueront dans un brouillard éclatant. De retour dans son pays, elle va devenir un des artistes majeurs de la scène norvégienne au point de devenir une sorte de modèle. N'organisera-t-on, un an avant sa mort, une retraite au flambeau en son honneur, à Oslo ?

 

Harriet Backer est, sans surprise pour une artiste femme de l'époque, la peintre de l'intimité, l'illustrateur de la vie quotidienne, des moments de complicité autour d'activités prosaïques que sont la lecture, les travaux d'aiguille, la tapisserie au petit point, les jeux de cartes, le déjeuner d'un enfant. Elle sait représenter avec sensibilité les espace empreints encore de la présence humaine, que ce soit une ferme en Norvège ou en Bretagne, la bibliothèque d'un bibliophile, la serre d'un diplomate norvégien à Paris. Elle a su donner à ce registre, faussement limité, une profondeur et une intensité rares. Elle a abordé aussi le paysage et la nature morte mais il faut bien avouer que cette partie de son œuvre n'est pas la plus convaincante.

 

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Harriet, luthérienne comme la majorité des Norvégiens, était sincèrement religieuse, les portraits d'églises qu'elle a peintes en témoignent : La sainte communion dans l'église de Stange (1903), montre les Pratiquants de dos, s'approchant de la table sainte, groupe sombre marchant vers la lumière, vers la vérité. Elle multiplie les représentations de petites églises rurales anciennes, cadres de cérémonies religieuses certes mais surtout témoins d'une cultures populaire vivace : les deux représentations de la stavkirke d'Uvdal, église de bois, très vénérable, très remaniée au cours des âges, plongeant dans le vieux passé vicking sont spectaculaires par leur coloris vif. Son sentiment religieux se double en outre d'un fort affect patriotique. Les Norvégiens tout au long du siècle, s'interrogent sur leur identité au sein de la Scandinavie, le pays vivant sous le régime de la double monarchie avec la Suède, cela ne les satisfaisait pas. Ils acquirent l'indépendance totale en 1905. Ces petites toiles disent cela aussi.

 

S'il fut un sujet rebattu dans la peinture fin XIXe siècle, c'est bien celui du joueur ou plutôt de la joueuse de piano. Toute maison bourgeoisie possédait un instrument et les jeunes filles bien nées taquinaient le clavier avec plus ou moins de bonheur. Harriet donne une ampleur extraordinaire au thème : non seulement elle l'a illustré tout au long de sa carrière, mais en amoureuse de la musique - n'oublions pas que deux de ses sœurs, un de ses neveux étaient des musiciens de renommée internationale – elle essaye d'aller plus loin que le simple représentation. Ses tableaux, généralement petits baignent dans une aura de musicalité pleine de poésie. Sur une esquisse, elle a cherché à trouver un équivalent pictural à la musique au moyen de touches de couleurs pures vivement brossées recouvrant imparfaitement la toile. Dix ans avant la révolution fauve à Paris ! Rien que pour cette petite toile l'exposition mériterait une visite...

 

 

 

 

 

 

 

 

Intérieur, le soir, 1896, huile sur toile, Oslo, © National Museum, photo de l'auteur.

Intérieur de la Stavkirke, 1909,Huile sur toile, Bergen, © Kode Bergen Art Museum, photo de l'auteur.

Au piano, huile sur toile, Oslo, © National Museum, photo de l'auteur.

 

 

 

 

 

Harriet Backer (1845-1932)

La musique des couleurs

Jusqu'au 12 janvier 2025

Musée d'Orsay

Esplanade Valéry Giscard d'Estaing, 75007 Paris

www.musee-orsay.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le lundi, de 9h30 à 18h., nocturne le jeudi jusqu'à 21h30. Tarif 16 et 13€, 10€ jeudi à partir de 18h.

- Publication : Catalogue.- 2024, Paris, coédition Orsay/Flammarion, 184p., 130 illustrations, 39€

- Programmation culturelle : visites guidées, conférences, concerts, spectacles, production audiovisuelle consulter le site du musée.