Expositions

 

 

 

Gustave Caillebotte (1848 – 1894)

             

             Peindre les hommes

 

 

 

Etrange personnage que ce monsieur Gustave Caillebotte qui brille au musée d'Orsay en cet automne pluvieux. La foule se presse au point de rendre pénible la visite de l'exposition qui lui est consacrée. Mais c'est un effort nécéssaire pour qui veut découvrir un artiste que, il n'y a pas si longtemps, on considérait comme une figure secondaire de l'impressionnisme. Il était plus célèbre pour la fabuleuse collection de tableaux de ses amis qu'il avait réunie que pour sa propre production. Rappelons que le legs qu'il fit à l'état forme aujourd'hui le noyau du musée d'Orsay. De ce dédain il s'ensuit que la plupart de ses œuvres clés se trouvent à l'étranger aujourd'hui, aux états-Unis plus particulièrement. L'occasion ne se reproduira pas de sitôt de voir un rassemblement aussi complet.

 

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Caillebotte appartient à une famille bourgeoisie enrichie dans la fourniture aux armées. Fortune récente ce qui explique, peut-être, que, pourvu de revenus plus que confortables, son comportement dans la vie n'était ni aussi désinvolte, ni aussi aisé, par exemple, que celui de son ami Manet, authentique grand bourgeois qui méprisait les conventions. Chez lui pas de femmes, ou si rarement, si sagement, pas de divas et de divettes, pas de ballerines, pas de bars, de cafés-concerts, de chahuts, encore moins de bordels et de prostituées, pas de petit trottins, pas de courses, ses scènes de rues décentes ont peu de chose à voir avec celles des grands boulevards et leur foule mélangée qui inspiraient ses amis. Au fond l'artiste se contente de peindre son environnement proche. Ses vues de Paris ? Toutes réalisées dans un périmètre de moins d'un kilomètre carré. Ses toiles de canotage, de jardins ? Elles se situent alentours des propriétés de la famille proches de Paris. Le sexe ? On ne connaît de lui que quatre nus dont trois sont exposés ici. Un seul nu féminin et d'une rare laideur, deux nus masculins nettement plus avantageux. Cela a suscité des commentaires infinis, on s'en doute. Bien qu'il ait terminé sa vie en compagnie d'une femme qu'il n'épousa pas mais qu'il dota ; peut-être une dame de compagnie... Le sexe n'a guère influencé son art. Tout au plus peut-on noter une certaine raideur dans sa production par rapport à celle de ses amis impressionnistes, signe d'une tension intérieure.

 

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Son monde est celui de célibataires, rentiers pour la plupart, à la vie bien réglée. Ils sont là, ses amis portraiturés de manière sobre, austères effigies qui fixent le visiteur, quelquefois saisies dans leur activité préférée, lecture, écriture, ou encore, tel Paul Hugot, dressé en pied presque grandeur nature, sur un fond neutre, discrètement bichrome pour suggérer le passage du sol à l'espace. Crânement coiffé d'un haut de forme à large bord, canne à l'épaule, bizarrement assez peu sûr de lui, il hoche du chef : véritable icône de la bourgeoisie triomphante, « C'est presque un portrait à la Balzac. » dira un critique de l'époque (1878).

 

Une grande toile, venant du Louvre d'Abu Dahbi, La Partie de besigue (1881) décrivant six hommes – son frère et cinq amis - réunis autour d'une table de jeu, est significative de cette fraternité de jeunes mâles. Le groupe vu de près, la scène devient plus intime, est habilement disposé. L'ambiance amicale régnant entre les joueurs est rendue avec beaucoup de naturel comme leur concentration sur les cartes ; seul l'un d'eux affalé sur le canapé semble étranger. Ces trentenaires nous semblent sages, bien éloignés de toute subversion qu'elle soit esthétique ou autre. On remarquera l'austérité du coloris et son raffinement : prégnance des couleurs froides, le gris-bleu éteint des boiseries, le vert du tapis, les habits sombres des personnages, que réchauffent le rouge du fauteuil, le doré du cadre du tableau au mur, l'acajou de la table. L'œuvre constitue en quelque sorte l'acmé de la salle des portraits.

 

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Caillebotte est surtout le peintre de la ville Haussmannienne. La célébrissime « Rue de Paris, temps de pluie » (1877) est venue de Chicago comme le « Pont de l'Europe » (1876) de Genève. Deux images iconiques du Paris de l'époque, deux images de son quartier, celui de l'Europe, où son père a fait construire l'hôtel familial quand ce territoire alors industriel avait été loti. Nous frappe dans ces deux toiles la perspective quasi scolaire qui organise l'espace ; les immeubles avec leurs lignes de fuite ressemblent à des portants de théâtres. Au fond, tout est dans les personnages, ils animent et scandent la composition avec beaucoup d'habileté, par la justesse de leurs proportions qui s'amenuisent en fonction de l'éloignement mais aussi leurs attitudes variées, leur naturel. Ce sont eux le vrai sujet et pour cela le peintre s'est livré à un travail sérieux en amont comme il l'a appris à l'école - dessins et esquisses sont exposés tout à côté. Le jeu des parapluies noirs pour le Temps de pluie n'est pas sans humour ainsi que la scénette du Pont de l'Europe où l'on voit un gandin aborder une dame pas plus intéressée que cela. Sourires rares dans la production de l'artiste, Caillebotte est un monsieur sérieux, il ne laisse rien au hasard. La trouvaille, l'improvisation, l'heureux accident, n'ont pas leur place chez lui. 

 

Il pose sur sa ville un regard singulier, le regard distancié d'un homme sans doute déprimé, ou à tout le moins désœuvré. Paris vu de la fenêtre, du balcon... Si proche et si étranger malgré tout, peuplé qu'il est de gens affairés. Une ville qu'il représente sous son aspect le plus insolite : vue d'en haut, parfois en à pic « Boulevard vue d'en haut » (1880) tableaux si neufs, si originaux, uniques en ces temps... « Jeune homme à la fenêtre » (1876) de dos face à la baie grande ouverte, en fait son jeune frère la mauvais garçon de la famille qui mourra à vingt-cinq ans, scrutant, peut-être, une liberté pour lui incompréhensible. « Intérieur » (1880) montrant une dame regardant la rue à sa fenêtre close, tournant le dos à un homme plongé dans la lecture de son journal, figure de l'ennui dominical... Figures de l'ennui tout court, du vide.

 

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Dans les dernières salles, la peinture s'éclaircit, l'espace s'aère. Caillebotte quitte Paris où il ne revient qu'occasionnellement. Il s'installe dans la maison qu'il s'est faite construire au bord de la Seine pour être plus près de ses ultimes passions, les sports nautiques et l'horticulture. Il se convertit à la peinture de plein air. L'artiste était ce que l'on appelait à l'époque un Sportman, un sportif aujourd'hui. Il a toujours pratiqué le canotage et d'ailleurs l'un des garçons de la Partie de bésigue, Maurice Brault assis en face de son frère, était comme lui membre du Cercle de le voile de Paris. Il donne de ce monde une image neuve, comme s'il était non un spectateur mais bien un participant de la scène. Regard sans distance, regard empathique, rendu par une perspective surprenante que l'on ne retrouvera que dans la photographie cinquante ans plus tard...

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gustave Caillebotte.

Peindre les hommes

Jusqu'au 19 janvier 2025

Musée d'Orsay

Esplanade Valéry Giscard d'Estaing, 75007 Paris

www.musee-orsay.fr

- Téléphone :

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf lundi, de 9h30 à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h45 ; tarifs 16 et 10€ (pour les nocturnes à partir de 18h), pour les gratuités consulter le site.

- Publications : Catalogue sous la direction de Paul Perrin, Scott Alan et Gloria Moon.- Paris, 2024, coédition, Hazan/Musées d'Orsay et de l'Orangerie, 256p., 177 illustrations, 45€ ; Carnet d'exposition.- Paris, 2024, coédition musée d'Orsay/Découvertes Gallimard, 64p., 36 illustrations, 11,50 € ; Paul Perrin, Stéphane Guégan, Fanny Matz et Souria Sadekova : Caillebotte et les impressionnistes, histoire d'une collection.- 2024, coédition Hazan/musée d'orsay musée de l'Orangerie, 144p., 89 illustrations, 35€ ; Stéphane Guégan : Gustave Caillebotte, raboteurs de parquets.- 2024, Paris, coédition Bnf/musée d'Orsay et musée de l'Orangerie, 64p., 40 illustrations, 12€.

- Autour de l'exposition : Concerts, conférences, projections, visites guidées, ateliers pour enfants, etc consulter le site du musée.