Expositions

 

 

 

Dessins de la Renaissance italienne

 

 

 

 

Le musée Boijmans-Van Beuningen à Rotterdam ferme ses portes pour une restauration lourde qui doit durer quelques années. Les conservateurs ont tirés de ses riches collections de dessins italiens – plus de huit cents pièces – cent-vingt feuilles qui sont exposées à Paris, à la fondation Custodia pour trois mois. Il faut y courir car depuis quelques années les amateurs de dessins anciens ne sont guère gâtés chez nous et ce remarquable ensemble mérite vraiment une visite attentive.

 

La pratique du dessin qui n'a jamais vraiment été oubliée en Europe pendant le moyen-âge (il n'est que de penser à l'épanouissement magnifique de l'enluminure) a connu en Italie un développement remarquable, et ce dès l'origine de ce qui deviendra la Renaissance. L'apparition et la fabrication à la fin du XIIIe siècle d'un nouveau support, le papier a rendu possible cet essor. La petite ville de Fabriano en était le centre de fabrication majeur. Le papier, invention chinoise, parvenu en Europe par le truchement des Arabes, offrait aux artistes un matériau abondant et partant moins cher à l'inverse du parchemin, plus résistant, plus luxueux, mais couteux. Il se forme dans les ateliers, des ensembles graphiques qui forment en quelque sorte le capital de la boutique. Le maître, ses assistants, les jeunes placés par leur famille pour formation, trouvaient là une sorte de banque de données où piocher idées et modèles. Le dessin devient aussi le moyen incontournable pour étudier la réalité, faire des essais, hésiter, comparer, choisir une composition plutôt qu'une autre, préciser un détail, un geste, une attitude, voire écarter ce qui ne satisfaisait pas, en un mot exécuter tout un travail préparatoire. En deux siècles les artistes italiens vont inventer les diverses utilisations du dessin telles que nous les connaissons aujourd'hui et cette inventivité presqu'entièrement représentée ici peut servir de ligne de visite. Presqu'entièrement ? En effet manque le dessin achevé, œuvre à part entière, complète, qui se suffit à elle-même, destinée au cabinet de l'amateur. Le genre, inventé par Michel-Ange, ne se développera que plus tard au XVIIe siècle...

 

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Une miraculeuse petite feuille (plume et encre sur parchemin) de Antonio Pisanello (1395-1455) représentant quatre nus féminins, vus de dos, est étonnante à plusieurs points de vue : ces silhouettes élancées, chevelure compliquées, taille pincée, évoluent en une sorte de ballet d'une grande élégance d'où tout érotisme est banni. Recherche de la meilleure attitude, sans aucun doute, modèles proposés aux élèves de l'atelier... La page ainsi que cinq autres de la collection est extraite d'un de ces carnets qui étaient conservés dans les ateliers et se transmettaient de génération en génération. Deux autres exemplaires sont exposés ici : le livre de dessin Koenigs (du nom de son dernier possesseur), d'un atelier anonyme de la fin du XVe siècle, sur parchemin lui aussi, comprenant des dessins à la plume aquarellés de deux artistes, de deux générations différentes et un dernier, sur papier cette fois-ci, attribué à Benozzo Gozzoli (1420-1497). Ces très rares rescapés à ne pas avoir été démembrés sont un peu frustrants. On aimerait les feuilleter...

 

Le parcours suit l'ordre chronologique, depuis le XIIIe siècle. Il n'est évidemment pas question de commenter les cent vingt pièces exposées. Signalons, quand même, les treize dessins de Fra Bartolomeo (1472-1517), l'un des artistes majeurs de Florence, dont le musée possède l'ensemble le plus riche – quatre cents pièces ! Toutes les techniques utilisée par le maître se retrouvent, plume, sanguine, pierre noire, rehauts de blanc etc. Tous les sujets, esquisses d'ensembles, études de détails, de personnages, de paysages, la gamme est complète. Plusieurs études sont mises en relation avec les tableaux réalisés, reproduits en photos pour comparaison. Pour notre part nous choisirions L'étude pour un Saint Georges et le dragon. La cheval cabré est superbe, saisi dans sa fougue.

 

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Comme toute collection, celle du musée néerlandais possède ses points forts comme ses manques. Pas de Botticelli par exemple, ni de Titien, du moins pas ici. Le trio « Star » de la renaissance florentine – Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël – est présent certes et avec des feuilles remarquables, mais de manière un peu courte. Un seul Léonard (La Hollande ne conserve de lui que deux feuilles), composition achevée et d'un intérêt exceptionnel. Il s'agit d'une recherche pour la Léda et de Cygne, variante du tableau dont le maître confia la réalisation à ses élèves. La Mortelle, nue, accroupie,caresse le long col de l'oiseau (Zeus travesti), à ses côtés, cachés dans les roseaux, les œufs d'où écloront Castor et Pollux, Hélène de Troie et Clytemnestre. La composition, un carré presque parfait, très resserrée sur le nu contourné de la femme, a sans doute été abandonnée par Léonard au profit d'une autre en hauteur où Léda est debout, moins lourdement sensuelle et plus conforme à l'idéal épuré de la renaissance. 

 

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Les artistes de la première renaissance abondent et en qualité. Il faut signaler le seul dessin que l'on connaisse de Giorgione, un personnage féminin assis dans un vaste paysage qui n'est pas sans rappeler la mystérieuse Tempête de l'Académie de Venise. La sanguine a un peu pâli et on lit difficilement le motif mais cette relique émeut et fait regretter la disparition de la totalité de l'œuvre graphique du Vénitien. L'école de la « Sérénissime » est, d'ailleurs, particulièrement bien représentée : Carpaccio, Bellini, Mantegna, Cima da Conegliano, mais surtout, pour le XVIe siècle les grands maîtres, qui se révèlent d'une étonnante liberté de facture, Véronèse, Le Tintoret, les Bassano etc . Les nus masculins du Tintoret, tout en nodosités musculaires frappent par leur modernité expressive tout comme la feuille où le Véronèse jette sur le papier, d'une plume nerveuse rehaussée d'un lavis sommaire, des silhouettes pour diverses compositions. Une fiévreuse activité créatrice au fil de l'inspiration, de la pensée. Superbe.

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

1 - Antonio di Puccio Pisano, dit Pisanello (Pise vers 1395 - Rome 1455). Quatre études de femme nue, une annonciation et deux études de femmes nageant, plume et encre brune sur parchemin, vers 1431/32, © collection Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs).

2 - Léonard de Vinci (Vinci 1452 – Amboise 1519). Léda et le cygne, vers 1505/7, Pierre noire, plume et encre brune, © collection Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs).

3 - Baccio della Porta, dit Fra Bartolomeo (Florence 1472 – Florence 1517).étude de composition pour saint Georges combattant le dragon, pierre noire et rehauts de blanc sur papier préparé chamois, vers 1509. © collection Museum Boijmans Van Beuningen (ancienne collection Koenigs).

 

 

 

 

 

 

Naissance et renaissance du dessin italien

La collection du Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam.

12 octobre 2024 – 12 janvier 2025

- Fondation Custodia, 121, rue de Lille, 75007 Paris

- Téléphone : 01 4705 75 19

www.fondationcustodia.fr

- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le lundi de 12h. À 18h. ; tarifs 12 et 10€.

- Publications : Catalogue (anglais).- Londres, 2024, Paul Holberton Publishing, 304p., nombreuses illustrations en couleurs, ; Livret guide de visite, (français).- 2024, Paris, fondation custodia, 96p. (gratuit).