Expositions
Achille Laugé
Les visiteurs avaient pu remarquer lors de l'exposition consacrée au Néo Impressionnisme au Musée d'Orsay, quelques toiles et pastels étonnants par leur luminosité, la simplicité de leur mise en page et la maîtrise parfaite dans l'utilisation du pointillisme et du divisionnisme. Ces œuvres étaient signées d'un peintre peu connu, Achille Laugé. Le Musée de la Chartreuse à Douai, continuant à explorer les régions moins courues de l'art français de la fin du XIXe siècle, présente, après Carcassonne et Limoux, une rétrospective qui rendra enfin justice à ce créateur.
Achille Laugé est né en 1861 dans une famille d'agriculteurs languedociens. Ses études achevées, il finit par persuader ses parents de poursuivre une carrière artistique ce qui, dans ce milieu, n'avait rien d'évident. Il suit les cours de l'école des Beaux-Arts de Toulouse puis il monte à Paris où il entre dans l'atelier de Cabanel. A Toulouse comme à Paris, il se lie d'amitié avec Bourdelle, Henri Martin, Maillol... Ces jeunes méridionaux, très pauvres, partagent expériences et ateliers. Ils découvrent dans le Paris d'alors, les grands peintres du XIXe, Courbet, Delacroix, Millet, les Impressionnistes et, bientôt, le Post -impressionnisme. Achille Laugé séduit par le pointillisme de Seurat adopte définitivement cette manière de peindre.
Dès 1888, le peintre revient dans son pays natal qu'il ne quittera plus, en dehors de quelques escapades à Toulouse, Paris, Collioure. Trois ans plus tard, il se marie et se fixe à Couffoulens, petit village proche de Carcassonne, puis au Cailhau, non loin de là où il fait construire une maison « L'Alouette ».. Il va labourer inlassablement cette petite région, le Razès, qui forme l'essentiel de son inspiration. Point de grands voyages, point d'exotisme, l'aventure esthétique est au bout du chemin vicinal... Pour pouvoir peindre plus commodément sur le motif, quelles que soient les conditions climatiques, il se construit une sorte de cabine dépliante qu'il fixe sur une charrette à bras qu'il pousse lui-même. Modestie d'un tâcheron qui le mènera loin.
Ses thèmes de prédilection? Les paysages familiers, les portraits de sa famille, des ses amis, de ses marchands, les natures mortes composées de fleurs et de fruits du jardin... Il faut bien l'avouer dès qu'il s'éloigne de cette inspiration il devient moins convaincant : sa Notre Dame de Paris (1910), peinte sans doute à partir d'une carte postale, ses vues de Collioure malgré leur charme emportent moins l'adhésion...
La vie était pauvre, à la limite de la gêne parfois. Mais il bénéficia du soutien d'un groupe restreint de mécènes, d'amateurs et de marchands qui lui permirent de mener à bien une œuvre exigeante.
Quoi de plus simple que le tableau de 1910 Route aux amandiers en fleurs? Dans un paysage qui ondule mollement à l'horizon, quelques amandiers fleuris brandissent leurs branches fleuries le long d'un chemin qui tourne. Mais il y a dans la composition, une sorte de joie devant le renouveau : les champs clairs, tout en camaïeu de verts tendre et de jaunes, le bleu lavande du ciel qui vibre de minuscules touches de vert, de rose, de blanc. Le maître a créé une véritable ode au printemps, à la nature avec cette composition franche mais très raffinée. On retrouve les mêmes qualités dans La Gardie, près de Cailhau (1902) qui conserve la fraîcheurs des peintres siennois et florentins de la première renaissance.
Ses portraits sont tout aussi subtils avec leur apparente évidence et leur traitement pictural aussi sophistiqué. Le Contre-jour – Portrait de la femme de l'artiste (1899) est une brillante composition : au premier plan la figure féminine, assise, s'appuyant sur une bâton comme une déesse antique, vêtue d'une robe saumon, se dresse en contre-jour sur un fond de jardin aux couleurs stridulantes. On remarquera que le paysage est peint comme une tapisserie en plans parallèles. Devant la fenêtre (1899, décidément une année féconde!), est la seule scène de genre peinte par l'artiste. Sa femme et une repasseuse travaillent devant une large baie ouverte sur le jardin. Les deux figures, simplifiées et monumentales, disposées en diagonale, plongées chacune dans son travail, comme étrangères l'une à l'autre, composent une véritable allégorie de la vie simple.
Les natures mortes, qui doivent beaucoup aux gravures japonaises comme beaucoup de peintres de l'époque, offrent leur lot de surprises. Il faut bien scruter la Nature morte aux deux vases, pommes et grenades ou la Composition au trois vases pour repérer les deux puis les trois récipients que l'on peut aisément confondre avec des ruptures de plan. Faut-il comprendre ces incertitudes du regard comme un jeu du peintre pour égarer la trop grande confiance du spectateur? De même, dans le premier tableau, le coin des murs qui diffère de celui de la table recouverte d'une nappe de même couleur ne risque-t-il de troubler le sens? Nous sommes loin d'une prosaïque représentation des plaisirs qu'offrent les choses simples au fil des jours...
Gilles Coÿne
Route aux amandiers en fleur, vers 1910, collection particulière, droits réservés
La Gardie près de Cailhau, 1902, Musée d'Orsay © ADAGP
Composition aux trois vases, 1893/94, collection particulière, droits réservés
Achille Laugé
le point, la ligne, la lumière.
Jusqu'au 6 juin 2010
Musée de la Chartreuse
130, rue de la Chartreuse, Douai
Tél. : 03 27 71 38 80
Mèl. : muséCette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Internet : www.ville-douai.fr
Publication : catalogue. Nicole Tamburini : Achille Laugé, le point, la ligne, la lumière. - Milan, 2009, Silvana Editoriale, 143p.