Expositions
Gandhâra, un art métis
Le musée Guimet propose - avec près de 200 pièces en or, en stuc, en schiste, provenant des musées pakistanais - une exposition sur l'un des mouvements artistiques le plus intéressant du continent asiatique : l'art du Gandhâra ; une occasion à ne pas manquer pour qui désire approfondir ses connaissances sur un art que l'on connaît certes, mais superficiellement, alors qu'il s'agit d'une des expériences artistiques les plus stimulantes de l'Asie.
Ce minuscule territoire, à l'échelle du sous-continent indien, dont la surface n'excède pas celle d'un département français, placé aux portes de la passe de khyber qui ouvre la voie à l'Afghanistan, à l'Asie centrale et à la route de la soie, a vu se développer, du Ier au VIe siècle, un art original. Dans les monastères entourant les villes antiques qui ont précédé Taxila près de Lahore, s'élabore une conception nouvelle du Bouddhisme qui met l'accent sur la vie terrestre du Bouddha historique et propose au croyant l'exemplarité d'un itinéraire menant au renoncement. Stupas et sanctuaires s'ornent de petites scènes réalistes pleines de charme, retraçant la vie de l'Illuminé, ses combats, ses victoires sur les misères et les tentations de la condition humaine. C'est un art prédicant qui vise à édifier le fidèle à lui montrer la voie. Un peu comme l'art des cathédrales en Europe se voulait la Bible des analphabètes.
Le Gandharra, carrefour des civilisations où s'affrontèrent, se rencontrèrent, soldats et marchands, possède une histoire pleine de bruit et de fureur : là se situe le point extrême de la folle épopée d'Alexandre le Grand au IVe siècle avant J.C. Certes, au 1er siècle de notre ère, tout cela s'est effacé et les royaumes grecs qui ont succédé à l'empire macédonien ont disparu. Mais la région n'a pas complètement oublié une civilisation de la mesure, une esthétique basée sur un réalisme épuré. Souvenirs que l'art Romain, héritier direct de l'art grec, revivifie : Parthes et Sassanides, pourtant ennemis jurés de Rome, mais subissant son influence culturelle feront le pont. L'art du Gandhara est donc un art métissé où le fond indien s'enrichit et s'épure grâce à une forte influence méditerranéenne.
Dans la première salle une série d'oeuvres paraissent à première vue purement helléniques : Un torque en or, une broche de même matériau, une intaille provenant des villes qui ont précédé Taxila auraient pu être découvertes dans des sites hellénistiques du Moyen Orient. Encore que la broche, représentant Amour et Psyché, deux adolescents aux formes un peu lourdes, dénonce une influence locale. Que dire des têtes en stuc provenant de stupas ? Sinon que l'on retrouve là encore les traces d'un hellénisme très pur comme dans la tête de faune, avec sa barbe et sa chevelure vermiculées, ses traits accusés digne d'une production de la Méditerranée orientale. On peut faire les mêmes constatations pour le la tête féminine ou la tête de moine. En revanche des oeuvres comme la Femme à la fleur, qui possède le port et le hiératisme des anciennes Korés grecques, l'Athéna du musée de Lahore, l'Harpocrate de Taxila montrent avec leurs silhouettes trapues, leurs proportions non canoniques, leur surcharge décorative, que d'autres courants esthétiques irriguent ces thèmes classiques.
Le stupa du Gandhara, immense reliquaire de pierre autour duquel les fidèles déambulaient en récitant des prières, affectait la forme d'un dôme disposé sur une terrasse. Aux quatre coins s'élevaient quatre colonnes supportant chacune la statue d'un lion. Le décor surabondant de la terrasse empruntait à la double source de l'art méditerranéen et de l'art indien. En témoignent les chapiteaux corinthiens exposés ici : dans la corbeille surgit un buste de Bouddha entre les rinceaux. Ou encore ces guirlandes soutenues par des Putti, là aussi thème occidental, revu par un praticien oriental. Citons enfin cette scène érotique où deux femmes quasiment nues boivent en compagnie d'hommes : la ligne sinueuse de leurs dos, le délicat drapé qui leur tombe sur les reins, évoquent irrésistiblement l'art alexandrin.
Le grande Arche, décor architectural exposé plus loin est tout aussi étonnante : La surabondance des personnages disposés les uns contre les autres est classiquement indienne Mais en regardant de plus près on remarquera les deux quadriges en bas à droite et à gauche visiblement d'origine méditerranéenne. Les crans rectangulaires placés le long de l'arche servaient à fixer un plafond voûté, dont plusieurs exemplaires sont exposés à côté. Le décor de ces éléments – un buste de personnage dans un cadre carré – fait irrésistiblement songer aux tombeaux de Palmyre où le buste du défunt en bas relief, ornait le « casier » abritant son corps.
Mais plutôt que d'accumuler les exemples qui abondent dans l'exposition, on s'attardera devant les grandes statues du Bouddha : le visage serein, les traits épurés, appartiennent aux deux traditions artistiques. On s'arrêtera devant la magnifique tête de jeune prince : son nez grec, mais un peu trop sensuel, son menton un peu lourd, sa bouche au sourire un tantinet désabusée, ses yeux en amandes mais un peu trop étirés, l'arcade sourcilière sa chevelure bouclée surabondante... Tout dans ce chef d'oeuvre séduit grâce à une synthèse harmonieuse des deux traditions.
Gilles Coÿne
1 Chapiteau à figure, Pakistan Swat, schiste vert, Swat Museum © Droits réservés
2 Tête de Buddha monumentale, Pakistan, Taxila, stuc, Taxila Museum © Droits réservés
3 Le culte du stupa, Pakistan Swat, schiste vert, Peshawar University Museum © Droits réservés
4 La visite à l'ascète, Pakistan Gandhara, schiste, Peschawar Museum © Droits réservés
Pakistan, terre de rencontre (Ier – VIe siècles)
Les Arts du Gandhara
21 avril – 16 août 2010
Musée Guimet
6, place d'Iéna, Paris 16e
Tél. : 01 56 52 53 00
Internet : www.guimet.fr
Publication : Pakistan, Terre de rencontre Ier – VIe siècles. Les arts du Gandhara. - Paris, 2010, RMN/Musée Guimet, 159 pages. Album de l'exposition, 30€. Hors série Connaissance des Arts, 9€.
Hors série Art Absolument, 5€