Expositions
Giacometti & Maeght
1946-1966
Il faut visiter l’exposition Giacometti organisée par la fondation Maeght. Pour une double raison : d’abord, une manifestation sur cet artiste majeur du XXe siècle ne peut laisser indifférent ; ensuite, l’ensemble que l’on découvre ici n’est pas une simple réunion d’œuvres mais aussi et surtout le témoignage de la longue amitié et de l’intimité qui unit pendant deux décennies un créateur, ses amis et leur marchand. Ils sont tous là, le frère et collaborateur si proche Diego, les Maeght ses marchands, Annette sa femme, ses amis écrivains et artistes. Ils sont là en peinture, en dessin, en sculpture. Cela donne un côté album de famille à la manifestation qui en fait le charme et l’originalité. Aimé Maeght se souvient, évoquant les repas dans l’appartement au-dessus de sa galerie : " …à chaque fois, il apporte quelque chose, un petit plâtre ou un bouquet de violettes." Le visiteur les voit ces "petites choses", de minuscules silhouettes en fil de fer, première approche pour les grands totems de bronze ou encore des dessins, des plâtres...
Les deux premières salles ont un intérêt disons « historique ». On remarquer surtout l’autoportrait de 1920 peint avec autorité tout en riches empâtements et coloris raffinés. Il s’inscrit dans la tradition de son père et de ses parrains Cunot Amiet et de Ferdinand Hodler, tous peintres suisses de talent à qui, en France, on ne rend pas encore pleinement justice. La période parisienne surréaliste est représentée par quelques œuvres signifiantes, gravures, bronzes : le Cube aux allures de cercueil, la très africaine Femme cuiller ou encore l’inquiétante Tête cubiste dont on peut se demander si en définitive ce n’est pas un crâne.
C’est en 1946, alors que son marchand Pierre Loeb fermait sa galerie, qu'Aimé Maeght, allié à Pierre Matisse pour les Etats-Unis, accueille Giacometti. Son fils, Adrien Maeght poursuivra cette collaboration qui durera jusqu’au décès de l’artiste. Ces ultimes vingt années voient le créateur qui jusqu’alors faisait partie du tout Paris surréaliste se recentrer sur la réalité.
Un extrait du film du réalisateur suisse, Ernst Scheidegger, le montre au travail dans son atelier de la rue Hyppolite Maindron. Il creuse, modèle, ajoute une pastille de terre, recommence ; labeur sans fin d’un Sisyphe insatisfait, toujours à la recherche d’une vérité qui se dérobe. Pour la peinture, c’est à cette époque qu’il renoue avec elle, il l’avait abandonnée lors de son arrivée à Paris, le processus est le même.
La fantomatique Maison blanche, les natures mortes avec pommes, bouteilles, vases de fleurs, décrivent un monde déliquescent où les formes s’évanouissent dans un fond qui lui-même ne possède pas de frontière très stricte. C’est d’une grande poésie, et assez nostalgique. Ses portraits sont tout aussi étranges pour ne pas dire dérangeants : de grandes effigies hiératiques, fixent le visiteur. Elles sont peintes en tons sourds où les gris dominent, par touches dessinées, nombreuses qui zèbrent la toile et donnent aux figures un aspect de gravure, de dessin. Aimé Maeght remarque que les portraits de sa mère lorsqu’ils furent exécutés, préfiguraient le visage qu’elle aura 20 ans plus tard à la fin de sa vie. La grande toile représentant Jean Genet est fascinante : il l’a peint assis, les bras reposant sur ses cuisses, droit, fixant l’infini en une interrogation muette. Les jambes du pantalon à qui il a donné une ampleur inusitée lui donnent un aspect oriental. Jean Genet en samouraï ? C’est bien vu et cela rend compte de la complexité de l’écrivain, personnage inquiétant et complexe dont la quête de vérité, si dérangeante fut-elle, était proche de la sienne.
Giacometti est surtout un sculpteur. Ce sont les hautes effigies hiératiques de femmes, d’hommes qui ont fait sa gloire. La série exposée ici impressionne. Si on peut sourire devant la statue de chat en maraude longue comme un jour sans pain qui rappelle celle que Picassso a modelée lui aussi, ou encore devant celle du chien maigre et étique (un vrai chien pour Don Quichotte), la série des grandes statues de bronze qui ornaient la cour de la fondation prennent ici un tout autre relief : elles deviennent plus monumentales encore.
Les deux statues de L’Homme qui marche, deux sculptures majeures du XXe siècle, dominent la dernière salle. Le personnage se réduit à une sorte d’idéogramme du mouvement ; le visage plus fouillé pourrait être un portrait. Faut-il voir ici une métaphore de l’Humanité condamnée à toujours avancer ? La série des neuf Femmes de Venise créées en 1956 est tout aussi étonnante. Ces statues représentent neuf moments dans le processus créateur de l’artiste : à chaque étape, Diego, son frère, a fait réaliser un tirage en bronze. On peut parler d’états, comme pour une gravure. Encore qu’ici on a peine à croire, tellement les effigies diffèrent, qu’il s’agit d’un processus continu, saisi à différents moments.
Giacometti est devenu un classique. Ce que l’on sait moins c’est que ces œuvres qui paraissent si modernes s’inscrivent dans une tradition millénaire : La Femme cuiller est directement inspirée des sculptures Tschokwé et l’on a déjà remarqué tout ce que ces grandes figures hiératiques, malgré un traitement rugueux de l’épiderme, doivent à l’Égypte pharaonique et à la Grèce archaïque ; enfin les bustes de Diego ne trouvent-ils pas leur origine dans l’Italie renaissante, voire dans les bustes reliquaires médiévaux ou baroques ?
Gilles Coÿne
A. Giacomett, Portrait de Jean Genet. huile sur toile, 1954/55
© Collection Centre Pompidou, RMN/Adam Rzepka. © Succession Giacometti, Adagp Paris 2010
A. Giacomett, Homme qui marche I, 1960. Bronze peint
© Archives Fondation Maeght, C. Germain. © Succession Giacometti, Adagp Paris 2010
Giacometti & Maeght
1946-1966
27 juin-31 octobre 2010
Fondation Maeght
06570 Saint-Paul de Vence
Tél. : 04 93 32 81 63
Fax : 04 93 32 52 22
Ouvert tous les jours
Du 1er juillet au 30 septembre : 10h-19h
1er octobre au 30 juin : 10h-18h
Entrée : 14€
Publication : Catalogue, 2010, fondation Maeght, 191p. 48€