Expositions

 

 

De Gauguin aux Nabis

 

Le droit de tout oser

 

 

 

 

à la fin des années 1880 pour de nombreux jeunes abordant la carrière artistique, l'Impressionnisme se trouve dans une impasse esthétique. Ces jeunes gens tentent d'explorer d'autres possibilités de rendre la réalité. Les uns, à la suite de Seurat, expérimentent le Divisionnisme et le Pointillisme, d'autres la supra réalité ce sera le Symbolisme, d'autres, enfin, sous la houlette de Gauguin recherchent dans le primitivisme l'essence du réel. Le musée de Lodève propose une exposition très intéressante sur un de ces mouvements à la courte carrière mais à l'héritage fécond : les Nabis et leurs amis Symbolistes.

 

 

 

paysage_decoratifTout a commencé avec Gauguin qui, désireux de s'éloigner du monde parisien et de ses coteries pour se plonger dans la réalité, s'installe en Bretagne en 1886. Il recherche dans cette province, alors pauvre et arriérée (mais bon marché, Gauguin comme ses émules était impécunieux), un primitivisme pur, quête décevante qui le conduira plus tard jusque dans les îles françaises du Pacifique. Il réunit autour de lui une équipe de jeunes artistes enthousiastes et curieux de toute innovation : c'est une sorte de phalanstère où chacun expérimente, montre ce qu'il a fait, adopte les trouvailles des autres : « Je voulais à l'époque tout oser, libérer en quelque sorte la nouvelle génération... » Il y a là des Français – Paul Sérusier, émile Bernard etc. -, des étrangers – le Belge Verkade, le Hollandais Meier de Haan (voir Actualité des Arts, archives mars 90), le Danois Mögins Ballens... Ils inventent le Cloisonnisme, une peinture posée par à-plats, aux tons sourds, éclatants et arbitraires. L'influence des gravures japonaises, qui commencent à se diffuser, les conduit à remettre en cause le cadrage traditionnel, comme la perspective héritée de la Renaissance. Le dessin simplifié, brutaliste ne retient du motif que l'essentiel souligné d'un épais trait sombre selon une perspective écrasée qui donne la même valeur aux différents plans. Ce genre de peinture ne pouvait que heurter un public qui se remettait difficilement de l'Impressionnisme. Mais elle trouva un accueil chaleureux auprès d'une élite intellectuelle.

 

 

 

La Vieille Bretonne sous un arbre de Paul Sérusier illustre parfaitement cette peinture : une vielle femme au visage taillé à la serpe, tassée sur elle-même, chaussée de grolles monstrueuses, s'appuyant sur un bâton noueux, s'avance, une dérisoire branche de fleurs à la main. On remarquera les troncs de platane verdâtres et bleuâtres, le sol terre de sienne et bistre, la forêt (ou une colline) brun noir qui clôture l'espace. Sur le ciel jaune et verdâtre se détachent trois feuilles. Refusant tout sentimentalisme le peintre a su restituer une dignité à cette pauvre femme usée par les travaux. Dans un registre plus léger le Paysage décoratif de Jan Verkade se compose d'une sorte de marqueterie d'à-plats colorés aux teintes a-réalistes : les feuillages, cinabre, citron, rose... Une oeuvre qui illustre magnifiquement la définition de Maurice Denis : « Se rappeler qu'un tableau – avant d'être un cheval, une femme nue ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. »

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En fait, Si Gauguin fut l'initiateur, l'exposition tourne autour de l'oeuvre de Maurice Denis qui fut un théoricien très influent et qui ici joue le rôle de passage de témoin. Bien que ce dernier n'ait pas participé directement aux activités de l'école de pont-Aven, il en connaissait la démarche et il entretenait des liens d'amitié avec plusieurs d'entre eux : Sérusier, entre autres, qu'il a côtoyé à l'académie Jullian. De plus il a visité l'exposition du café Volpini en 1889.

 

 

 

Dans le grand tableau Les Régates à Perros Guirec de 1897 à l'audacieuse perspective en plongée, ce qui élimine pratiquement le ciel, on retrouve ici aussi les personnages simplifiés aux visages à peine esquissés, l'étagement des plans non hiérarchisés, l'emploi de couleurs peu ou pas modulées ; noter la manière dont le miroitement de l'eau est simplement rendu par des touches vermiculées blanches ou bleu pâle. Mais la joie d'un beau jour d'été, le plaisir d'une compétition amicale sont magnifiés par des couleurs franches et gaies. Il a su rendre palpable la fraîcheur de l'air marin en Bretagne.

 

 

 

au caf concertSi Pierre Bonnard, Odilon Redon, édouard Vuillard, Aristide Maillol, Félix Vallotton, voire Kerr Xavier Roussel, Armand Seguin, Paul Ranson sont assez connus du grand public, il n'en va pas de même d'autres artistes plus confidentiels exposés ici. Ce sera une occasion de découvrir un Louis Anquetin ou un Henri-Gabriel Ibels, plus connu pour ses gravures que pour ses peintures; pourtant elles méritent que l'on s'y arrête. Le Clown et l'otarie étonnante composition de trois personnages se détachant sur un fond auréolé, ou encore Au café-concert où il fait preuve d'une sensibilité sociale bien étrangère à ses compagnons : Une misérable chanteuse de bastringue fait la quête après sa performance, tandis que dans le fond, sur la scène, sa compagne affalée sur une chaise attend son tour pour chanter. On ne vit pas seulement dans la compagnie des femmes lianes!

 

 

 

Il faudrait parler du rapport que les Nabis entretenaient avec les arts décoratifs. Ils pensaient que l'art n'avait pas de frontière et qu'il pouvait y avoir autant de beauté dans une assiette, un meuble, un objet que dans un tableau. Cette séquence est peut-être la moins convaincante en dépit de quelques modèles de papiers peints ou de vitraux au charme certain.

 

 

 

 

 

Gilles Coÿne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jan Verkade Paysage décoratif (1891-92), collection particulière © ADAGP Paris 2010

Maurice Denis Régates à Perros-Guirec (1897) musée-jardin Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye © ADAGP Paris 2010

Henri-Gabriel Ibels Au Café-concert (c. 1892), collection particulière

 

 

De Gauguin aux Nabis

 

Le droit de tout oser

 

Jusqu'au 14 novembre 2010

 

Musée de Lodève

 

Square Georges Auric, 34700 Lodève

 

Tél. : 04 67 88 86 10

 

Fax : 04 67 44 48 33

 

Internet : www.lodevois et Larzac.fr

 

Publication : Catalogue.- Bez et Esparon, études & Communications, 2010, 284 p., 42€. Le catalogue contient outre l'analyse des séquences de l'exposition et la reproduction des tableaux, une partie documentaire précieuse : lettres, poèmes, textes littéraires, permettent de mieux cerner ce milieu, les idées qui l'agitaient et, surtout, la profonde complicité qui unissait ces créateurs.