Expositions
Alexandre Cabanel (1823-1889)
La Tradition du Beau
étendue nue sur la mer, son corps nacré reposant sur une riche chevelure auburn, offerte à tous les regards, Vénus flotte sur l'onde et l'écume qui viennent de lui donner naissance. Un peu sournoise, elle regarde le spectateur tandis que dans le ciel cinq amours enjoués la contemplent et annoncent à son de conques l'événement : La naissance de Vénus d'Alexandre Cabanel est une toile bien séduisante, un tableau manifeste du goût hédoniste du second empire. D'ailleurs Napoléon III, grand amateur de dames, acheta l'oeuvre, sur sa cassette, pour sa collection personnelle. L'empereur avait déjà commandé à l'artiste un portrait ainsi qu'une autre composition mythologique « Nymphe enlevée par un faune » où, cela ne surprendra personne, le faune n'est là que pour servir de repoussoir au corps plein de morbidesse d'une jeune femme qui se défend mollement.
Alexandre Cabanel (1823-1889) est le dernier des « chers maîtres » du XIXe siècle à n'avoir pas bénéficié d'une exposition monographique. C'est chose faite aujourd'hui grâce à la grande rétrospective qu'organise le musée Fabre de Montpellier, sa ville natale. Plus de deux cents tableaux, dessins, gravures, photographies retracent la vie et la carrière d'un artiste dont on a peine à imaginer aujourd'hui la renommée. Ses toiles dispersées aux quatre coins du Monde, principalement aux états Unis, témoignent encore d'un engouement planétaire.
La Naissance de Vénus est l'exacte contemporaine de l'Olympia de Manet, cet autre nu, emblématique de la modernité lui. Cette dernière, moquée, ridiculisée, vilipendée – ne disait-on pas qu'elle sentait la morgue par opposition au corps poudré et parfumé de Vénus - va supplanter sa rivale et en effacer jusqu'au souvenir. Au point qu'il faudra attendre l'ouverture du musée d'Orsay, un siècle plus tard, pour réhabiliter cette trop charmante toile.
Le talent d'Alexandre Cabanel fut précoce, on conserve encore une autoportrait datant de sa treizième année et un autre de ses dix-sept ans qui font preuve tous deux d'une maturité étonnante. Après un cursus formateur assez traditionnel - école des beaux-arts de Montpellier, bourse, atelier de Picot à Paris, concours pour le prix de Rome, séjour dans la ville éternelle de 1848 à 1851 – Cabanel s'installe à Paris en 1852, où après quelques débuts difficiles, il s'affirme. Très vite s'enchaînent, récompenses, médailles au salon, décorations, commandes prestigieuses, postes officiels. Sa peinture qui s'inscrit dans la mouvance d'Ingres plaît par son classicisme, son dessin impeccable, sa ligne élégante, ses couleurs claires, sa manière de revisiter les compositions des grands ancêtres. Il néglige le paysage, au profit du portrait – une activité très rémunératrice – et des thèmes littéraires, mythologiques, ou religieux. On lui confie de grands chantiers : un Triomphe de Flore pour un plafond du Louvre, Des peintures murales illustrant la vie de saint Louis au Panthéon, et le banquier Pereire, l'industriel Say lui demandent d'orner les salles de réception de leurs somptueux hôtels particuliers. À l'étranger, Maximilien II, père de Louis II de Bavière, commandera une immense composition pour le Maximilianeum de Munich, disparue au cours d'un bombardement pendant la seconde guerre mondiale ; il sera envisagé aussi un séjour à St-Petersbourg pour peindre l'effigie du tsar Alexandre II.
Le portrait de l'Américaine Olivia Peyton Murray Cutting (1887) en tenue de bal est typique de son art de portraitiste : la jeune femme est assise dans un confortable fauteuil capitonné, le buste légèrement penché vers le spectateur qu'elle fixe comme si elle allait lui parler. La robe pâle, rose feu, le bustier qui suit étroitement les lignes d'un corps mince et souple, le léger nuage de tulle et de dentelles qui cerne un généreux décolleté soulignent et décuplent une séduction naturelle. On remarquera la discrétion de Mrs Peyton en fait de bijou : à la différence de ses consoeurs européennes de la haute société, elle ne porte qu'un rang de perles à la naissance du cou. Le peintre livre ici l'image d'une femme jeune et élégante, même si l'on peut soupçonner qu'il a discrètement flatté son modèle. Un cou un peu trop long... Des épaules parfaites... Des bras idéalement ronds... Cela dit, Cabanel n'est ni David, ni Ingres qui savaient faire des personnages qu'ils portraituraient des archétypes. Qui penserait en regardant cette effigie certainement ressemblante, mais idéalisée, qu'il est devant une femme cultivée, une philanthrope qui n'hésita pas à s'engager dans la Croix-Rouge américaine lors de la guerre américano-espagnole de 1898?
Cabanel, s'il fut adulé de son vivant, fut aussi la cible de nombreux critiques qui n'étaient pas tendres, critiques ne se recrutaient pas seulement dans les rangs des défenseurs des Impressionnistes... On lui reprochait un goût trop prononcé pour les jolies femmes, même lorsque le thème ne l'imposait pas : n'a-t-on pas comparée sa Phèdre à une « ...tourterelle mal gardée... »? Loin, bien loin de la tragédie racinienne. Sa quête d'une beauté calme ne fut pas toujours comprise, on trouvait que son oeuvre manque singulièrement de dynamisme. Dans son tableau de Cléopâtre on aura peine à prendre au sérieux une anecdote pourtant cruelle (voir Un regard, une image).
Mais aujourd'hui où nous sommes accablés d'images aussi rudes que « signifiantes » la charme de cette peinture opère...
Gilles Coÿne
La naissance de Vénus, vers 1863, Paris, musée d'Orsay C RMN (Musée d'Orsay)/Hervé Landowski
Portrait de Miss Olivia Peyton Murray Cutting, 1887 Museum of the City of New York Gift of the daughters and granddaughters of Willian Bayard Cutting C Museum of the City of New York.
Alexandre Cabanel, 1823 – 1889
La tradition du beau
Jusqu'au 5 décembre 2010
Musée Fabre
39, boulevatd Bonne Nouvelle – 34000 Montpellier
Tél. : 04 67 14 83 00
Fax : 04 67 66 09 20
Ouverture : mardi, jeudi, vendredi, dimanche de 10h à 18h ; mercredi de 13h à 21h ; samedi de 11h à 18h.
Prix : 11€ ; pass'agglo, 8€ ; tarif réduit, 7€.
internet : www.montpellier-agglo.com/museefabre
Publication : Catalogue, Montpellier 2010, Somogy/musée Fabre, 504p., 39€.